Gavroche
19/10/2010
Société
THAILANDE: Visiteurs de prisons: un "rayon de soleil" à travers les barreaux
Les étrangers emprisonnés à Bangkok sont nombreux, et les prisons thaïlandaises sont loin d'avoir bonne réputation. Des bénévoles d'organisations humanitaires et parfois des touristes en mal de sensations fortes rendent visite à ces détenus. L'occasion d'apporter un soutien moral à des prisonniers qui ont peu de contacts avec leurs familles. Et d'en apprendre plus sur la vie derrière les barreaux.
Un grillage, une rangée de barreaux, une vitre. A travers les reflets, il est parfois difficile de distinguer le regard bleu de Régis, 58 ans, emprisonné depuis trois ans à la prison de Bombat. Pas évident non plus de l’entendre. Le long du couloir où se déroulent les visites, des dizaines de personnes ont pris place en face des téléphones qui permettent de communiquer avec les détenus. Le tintement des chaînes se détache du brouhaha. Les prisonniers qui ont été punis les portent aux chevilles. La sueur dégouline sur les fronts, aucun ventilateur à l’horizon.
Les conditions ne sont pas idéales, mais cela n’empêche pas Régis de plaisanter avec Coralie de Vaulchier, qui lui rend visite toutes les semaines. « On parle de tout et de rien, ils veulent savoir ce qui passe à Bangkok et dans le monde, ce qu’on a fait le weekend… C’est un peu frustrant parfois car ça va vite, on a à peine temps d’entamer une discussion », raconte la Française. Selon les prisons, les visites durent entre 20 et 30 minutes, au bon vouloir des gardiens, qui l’abrègent parfois. Les visiteurs doivent s’inscrire à l’entrée de la prison, et patienter parfois pendant une heure. Puis après une fouille relativement légère, l’appel au parloir. Une routine qui n’a pas découragé Coralie de Vaulchier. Installée en Thaïlande avec son mari expatrié, cette mère de famille a décidé de donner son temps aux prisonniers français. Elle leur rend visite deux à trois fois par semaine. En quatre ans, elle a rencontré une bonne quinzaine de détenus. L’Accueil Francophone de Bangkok (AFB) compte ainsi une demi-douzaine de visiteurs de prison, un chiffre qui varie en fonction des disponibilités des uns et des autres. Selon le consulat, neuf Français sont actuellement emprisonnés à Bangkok et huit en province. Avant d’aller voir Régis à Bombat, prison exclusivement dédiée aux affaires de drogues, Coralie a rendu visite à un autre Français détenu à la prison de haute sécurité de Klong Prem, surnommée le « Bangkok Hilton ». Situés sur le complexe pénitentiaire de Lard Yao au nord de Bangkok, les deux établissements sont distants de quelques centaines de mètres. La zone comprend aussi la prison de Remnand, une prison pour femmes et un hôpital pour les détenus. Les pénitanciers thaïlandais ont beau avoir sinistre réputation, l’atmosphère reste assez bon enfant dans les salles d’attente et au parloir. Les visiteurs, principalement des femmes et des enfants, mangent et papotent. Difficile de se faire une idée des conditions de vie réelles des prisonniers, qui vivent dans des bâtiments inaccessibles aux visiteurs. « Le plus difficile, c’est la promiscuité et la chaleur. On est quarante dans des cellules prévues pour dix ou vingt personnes. C’est comme dans les prisons en France ou en Europe il y a 100 ans. Ce ne sont pas les gardes qui surveillent, mais des détenus de confiance », explique Régis derrière sa vitre. Ces détenus, Pascal, emprisonné à Klong Prem depuis 4 ans, les appelle les « t-shirts bleus ». Juste avant la visite, l’un d’entre eux s’est fait agresser par d’autres prisonniers. « On n’est jamais sûr que rien ne va se passer. Il y a des violences à cause de la drogue, à cause des paris. Tout dépend de si on joue ou pas, si on se drogue ou pas », explique-t-il. Lui aussi se plaint de l’entassement dans les cellules. Pascal accueille avec gratitude l’aide apportée par les visiteurs de prison. Dans un lieu où seul le strict minimum à la survie est fourni, elles permettent d’améliorer grandement l’ordinaire, notamment pour la nourriture. « Pour eux, le problème n’est pas la quantité de riz, c’est d’arriver à l’avaler. Ils ne peuvent pas vivre uniquement avec la nourriture de la prison, qui est vraiment infecte. On leur achète du poulet, des protéines, et des fruits », explique Coralie de Vaulchier. La nourriture venant de l’extérieur étant interdite, les visiteurs font leurs courses à la « boutique » de la prison. En fait, un simple guichet où l’on coche sur une liste les produits que l’on souhaite faire parvenir aux détenus. « A Klong Prem, ce n’est pas évident car tout est marqué en thaï. A Bombat c’est mieux, il y a les photos des produits avec des numéros », explique Coralie. Les produits d’hygiène sont également indispensables. La prison ne fournit ni dentifrice, ni savon. Magazines et livres apportent un peu de distraction aux prisonniers étrangers, qui n’ont pas le droit de travailler, contrairement aux Thaïlandais. Les détenus bénéficient néanmoins d’une certaine liberté de mouvement. De 7h à 15h, ils peuvent sortir de leur cellule et se déplacer dans la cour et dans leur bâtiment. Relation amicale Les visites sont donc un moment très attendu par les prisonniers. « Ils nous disent qu’on est leur rayon de soleil quand on arrive, témoigne Coralie de Vaulchier. On s’en prend parfois plein la figure quand ils sont énervés, à cause du gardien ou d’une lettre qui n’est pas arrivée. Mais ce n’est pas grave, on est là pour ça. » Dans beaucoup de cas, une relation amicale se tisse au fil du temps, qui dépasse les considérations morales. « Ils ont tous fait quelque chose de mal, ils ont été jugés, ce n’est pas à nous de les juger de nouveau », estime la visiteuse. « Je suis régulièrement en contact avec les familles et je me dis que j’aimerais que quelqu’un fasse ça si l’un de mes enfants était emprisonné. Elles disent souvent qu’elles ne savent pas comment nous remercier, mais le remerciement est dans la visite elle-même. » Les détenus français ne sont pas les seuls à avoir besoin de visites. Même lorsqu’ils sont condamnés à de longues peines, des accords entre la France et la Thaïlande leur permettent d’être transférés en France au bout de quatre ans, pour y purger la fin de leur peine. Le délai s’élève à huit ans en cas de condamnation à mort ou à perpétuité. Beaucoup de pays occidentaux ont également passé ce type d’accord, mais pour les étrangers d’autres nationalités, la situation est souvent bien plus difficile. Une activité à plein temps Ugur, par exemple, un Turc de 30 ans emprisonné à Klong Prem, purge une peine de 16 ans pour fraude à la carte de crédit. Il ne reçoit aucune visite. Beaucoup d’étrangers d’origine africaine, sud-américaine ou asiatique sont dans son cas. Certains visiteurs se consacrent donc uniquement à ces prisonniers non-français. Anne Nguyen en a fait une activité à plein temps. Elle rend visite à trois prisonniers latinoaméricains et correspond par lettres avec une cinquantaine d’autres. Chez elle, les piles de courrier remplissent des sacs entiers. « Ils savent que je réponds à tout le monde, alors ils se passent mon adresse entre eux. Ils nous disent souvent : « Tu n’imagines pas à quel point c’est important pour nous. » La jeune femme se rend aussi très régulièrement à la prison de l’immigration, soï Suan Phlu, où sont emprisonnées les personnes en situation illégale. Là, les détenus hommes, femmes et enfants, ne sont donc pas des criminels, mais souvent des réfugiés politiques ou des travailleurs clandestins. Le gouvernement thaïlandais ne paie pas le billet d’avion pour les renvoyer chez eux, ils restent donc en prison jusqu’à ce qu’ils trouvent l’argent. Seule l’aide d’une coalition d’ONG, IDCCC (Immigration Detention Centre Coordinating Committee), qui les aide à payer le billet d’avion au bout de six mois de prison, leur permet généralement de s’en sortir. Comme dans les prisons d’Etat, les détenus de Suan Phlu sont entassés à plusieurs dizaines par cellules. Mais la liberté de mouvement est bien moindre : seule une petite cour est à disposition. Beaucoup de prisonniers passent plusieurs mois d’affilée dans la cellule sans pouvoir mettre le nez dehors. Difficile parfois de faire face à tous ces malheurs : des familles de Tamoul du Sri-Lanka, considérés comme des terroristes, ou bien ce couple de Vietnamiens, emprisonnés à Suanplu depuis 7 ans, qui refuse de retourner au Vietnam mais n’est pas accepté comme réfugié politique par les Etats-Unis. « Au début, c’était vraiment choquant de voir tous ces corps allongés, se souvient Anne Nguyen. Mais cela m’a aussi ouvert les yeux sur beaucoup de choses. J’ai réalisé à quel point nous avions de la chance d’avoir un passeport français. » De retour dans l’Hexagone cet été, elle a décidé de continuer son activité auprès des prisonniers français. EMMANUELLE MICHEL ![]() |
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