Un roman inédit de Patrice Montagu-Williams
L’intrigue.
1996 : sur fond de contrat pétrolier sulfureux passé avec la junte militaire birmane, de manipulation des médias et des ONG par différents services secrets, Martin Decoud, agent de la DGSE, la Direction Générale de la Sécurité Extérieure, est envoyé en mission à Bangkok.
Persuadé que, comme le dit Ernest Hemingway, « Un homme, ça peut être détruit, mais pas vaincu », le farang, l’étranger, retournera en Thaïlande, près de vingt-cinq ans plus tard, pour tenter d’y reconstruire une existence que la vie a brisée et trouver le « Noble Chemin » des bouddhistes qui mène au nirvana.
Rappel de l’épisode précédent :Martin a respecté les dernières volontés de Nina qui ne souhaitait plus continuer à vivre. Ses cendres sont dispersées au Père-Lachaise mais il en emporte une petite quantité avec lui, dans un pendentif. Kurtz l’informe que le bourreau de sa fille sera à Paris, la semaine suivante.
« La voie du farang » : un roman inédit de Patrice Montagu-Williams.
Épisode 20 : L'heure de la vengeance
Anastasia vient ouvrir la porte à cet homme qu’elle a déjà reçu plusieurs fois. Elle ne l’aime pas. Ce n’est rien de plus qu’un client, un de ceux qui lui permettent de vivre comme elle en a toujours rêvé, c’est-à-dire de louer un appartement avenue Foch avec vue sur l’Arc de Triomphe et d’aller dîner au Jules Verne, au sommet de la Tour Eiffel, ou à la Maison Blanche, sur le toit du théâtre des Champs-Élysées, les jours de grand beau temps. Mais celui-là est brutal et il la dégoûte. Il transpire et il couine comme un lapin quand il fait l’amour.
C’est l’un de ces oligarques grossiers qui se croient tout permis. Elle sait que, pour lui, elle n’est qu’une pute de luxe, de celles que l’on ne reçoit jamais chez soi, pour préserver son anonymat. Elle sait aussi qu’il l’a choisie non seulement à cause de son mètre soixante-quinze, de ses petits seins et de ses jambes interminables, mais aussi parce qu’elle est Russe et que, si elle essaye, un jour, de le faire chanter ou de lui créer des problèmes, il aura toujours les moyens de le faire payer à sa famille restée au pays. Pourtant, quand elle avait débarqué à Paris, grâce à une bourse de l’état français, ce n’était pas pour se prostituer, comme nombre des filles qu’elle connaissait : c’était pour suivre un master sur le management de l’innovation, à la Sorbonne. Cependant, belle comme elle était, elle avait commencé à sortir. Et puis, on l’avait invitée à une croisière aux Seychelles. Quand elle était rentrée, elle n’était plus la même, et, maintenant, elle recevait des hommes qui payaient mille euros pour une prestation de deux heures et dix mille euros pour un week-end complet.
Un étrange visiteur
Et, un jour, quelqu’un s’était présenté à sa porte.
— Anastasia Rostov ? Je souhaiterais m’entretenir avec vous quelques instants.
Elle avait tout de suite compris qu’elle avait affaire à un membre de ce que, chez elle, on appelait « les organes », organy, dont seul le nom changeait selon les époques – Tchéka, NKVD, KGB et, maintenant, FSB – mais pas la fonction.
L’homme fut assez direct : il lui dit qu’il savait qu’elle se livrait à la prostitution. Bien sûr, en France, ce n’était pas illégal. Par contre, une personne ayant recours aux services d’une prostituée risquait une amende de mille cinq cents euros. Il y avait donc là matière à négociation si elle voulait conserver sa clientèle. Ce que son service voulait, c’était simplement connaître le nom de ses principaux clients, russes en particulier.
Sur la liste qu’elle remit à l’homme, quelques jours plus tard, figurait, tout en haut, le nom d’Olenska. Son interlocuteur lui demanda de le prévenir chaque fois qu’il viendrait la voir et, maintenant, il était là, qui la poussait sans ménagement vers la chambre en lui disant qu’aujourd’hui, il était pressé.
Le coup de l’escalier
Kurtz avait expliqué à Martin où et quand il pourrait trouver celui qu’il recherchait. Il lui avait indiqué à quel étage était l’appartement ainsi que le moyen de pénétrer dans l’immeuble, par l’entrée de service. Il avait ajouté que le Russe, quand il venait voir Anastasia, n’était accompagné que de son chauffeur qui restait en bas, assis dans la voiture.
Martin était arrivé en avance. Au moment où Olenska sortit sur le pallier, il se glissa derrière lui sans faire de bruit et le poussa violemment dans les escaliers. Le gros homme partit en vol plané. Son crâne heurta un mur, plusieurs mètres plus bas. Quand Martin se pencha sur lui, il vit qu’il était conscient, mais avait le nez et la mâchoire fracturés.
— La journaliste que tu avais violée, à l’opéra, tu te souviens, mon salaud, lui dit-il en lui collant sous le nez le pendentif qui contenait les cendres de sa fille ? Eh bien, je suis son père…
Exfiltration
C’est un appel de Kurtz qui le réveille.
— Ton affaire a fait du bruit, Martin. Pas dans les médias, mais chez nous. Olenska est dans un état grave et son avocat a porté plainte contre toi. Les flics vont débarquer. Il va falloir t’exfiltrer d’urgence. Une voiture passera te chercher dans une heure. Un Falcon de l’Armée de l’Air t’attend à Villacoublay. Tu retournes au royaume des éléphants. Le Special Branch Bureau est prévenu et s’occupera de toi à ton arrivée. Pas à Bangkok, c’est trop dangereux : à Chiang Mai. Bon voyage, amigo.
— Et Lord Jim, mon chat, qu’est-ce que je vais en faire ?
— Prends-le avec toi. Le chauffeur me le ramènera à la maison : on vieillira ensemble tous les deux. Tu connais la phrase de Freud : « Le temps passé avec les chats n’est jamais du temps perdu »
A suivre...
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