« La voie du farang » : un roman inédit de Patrice Montagu-Williams.
L’intrigue.
1996 : sur fond de contrat pétrolier sulfureux passé avec la junte militaire birmane, de manipulation des médias et des ONG par différents services secrets, Martin Decoud, agent de la DGSE, la Direction Générale de la Sécurité Extérieure, est envoyé en mission à Bangkok.
Persuadé que, comme le dit Ernest Hemingway, « Un homme, ça peut être détruit, mais pas vaincu », le farang, l’étranger, retournera en Thaïlande, près de vingt-cinq ans plus tard, pour tenter d’y reconstruire une existence que la vie a brisée et trouver le « Noble Chemin » des bouddhistes qui mène au nirvana.
Rappel de l’épisode précédent: Exfiltré en urgence vers la Thaïlande par la DGSE et avec la complicité des services thaïs, Martin se cache à présent dans un sanctuaire pour éléphants dirigé par une Française. Une nouvelle vie commence pour lui…
Épisode 22 : A Chiang Mai, le Noble Chemin.
— On te demande au téléphone, lui dit Jam Jun en lui tendant un portable. C’est la police, et ça semble urgent.
Martin, lui, n’a pas de mobile. Le risque de se faire géolocaliser est trop grand et il sait que, même éteint, l’appareil peut se transformer en un véritable mouchard si l’on ne retire pas la batterie. Et puis, cela ne correspond plus à sa nouvelle vie.
Un débarquement suspect
— C’est Winnie. J’ai demandé à te parler parce qu’il se passe quelque chose qui est, peut-être, inquiétant. Trois Russes ont débarqué, il y a deux jours, à Chiang Mai. Un agent du SBB, qui était de service à l’aéroport ce jour-là, les a interrogés. Ils disaient travailler pour le Ministère des Ressources Naturelles. Ils ont expliqué que c’était une administration qui, chez eux, gérait ce qu’ils appellent les zapovedniks, les réserves naturelles. Ils ont ajouté qu’ils venaient visiter le Doi Inthanon, un parc qui se trouve à environ soixante-dix kilomètres au sud-ouest de Chiang Mai. L’agent les a trouvés suspects. Heureusement, ils avaient été filmés, comme on le fait systématiquement avec tous les passagers. Je lui ai demandé de m’envoyer la vidéo et de les faire suivre. Ils sont allés récupérer un Land Rover qu’on leur avait réservé à l’agence Avis de l’aéroport avant de retrouver, dans un hôtel, en ville, un homme qui, manifestement, les attendait, sans doute pour leur remettre quelque chose qui n’aurait pas pu passer les contrôles à l’aéroport, comme des armes. Cet homme, nous l’avons identifié : c’est un membre de l’ambassade de Russie, à Bangkok. Ensuite, tous les trois ont quitté la ville et se sont volatilisés dans la nature. Bien entendu, personne ne les a vus à Doi Inthanon. Entre temps, j’ai passé le film à notre contact, ici, à la CIA. La réponse est arrivée tout à l’heure. C’est pour ça que je t’appelle : il s’agit de trois tueurs de Red Square, l’armée privée d’Olenska. Ce sont des anciens du détachement d’élite du SVR, le Zaslon. Nous avons même leurs noms : les agents Griniov, Lensky et Savélevitch. Comme je pense que tu n’as pas les moyens de te défendre et que je ne peux rien faire pour toi tant que nous n’avons pas de preuves formelles concernant les intentions des Russes, j’ai contacté ton ami Woodward. Il est toujours en poste à Ban Mai Nai Soi. Ce n’est pas très loin de Ban Chang. Il sera chez toi ce soir…
Guet-apens
— Je t’ai amené de quoi faire le travail, dit Woodward à Martin en montrant deux caisses à l’arrière de la jeep. On trouve de tout dans un camp de réfugiés.
— Je ne sais pas ce que vous mijotez tous les deux, mais, si c’est faire la guerre, ça ne sera pas ici, leur ordonna Jam Jun qui s’était jointe à eux sitôt l’Américain arrivé.
Ils allèrent alors s’installer sur une colline de bambous qui dominait la seule route d’accès au camp. Kamoun n’avait pas voulu les laisser seuls. Elle les suivit et s’allongea près d’eux pendant qu’ils débouchaient deux bouteilles de Jack Daniel’s que Woodward avait apporté. Ils passèrent la nuit éveillés à se raconter, sous le regard bienveillant de l’éléphante, ces histoires où l’on se fout de démêler ce qui est juste de ce qui ne l’est pas, et où seule compte, au final, la fraternité entre combattants.
Avec ses jumelles, Martin les vit arriver de loin. Il faut dire qu’ils ne cherchaient même pas à se cacher, comme s’ils étaient sûrs de leur affaire. Le Land-Rover vert olive roulait à vive allure, laissant derrière lui, sur plus d’une trentaine de mètres, une épaisse traînée de poussière ocre. Woodward avait sorti son lance-roquettes antichar portable M72 LAW et, quand le véhicule fut suffisamment près il tira. Le 4x4 explosa.
Tandis qu’ils descendaient vers la piste en courant, ils furent dépassés par Kamoun qui galopait en direction de la carcasse fumante. Elle s’acharna sur ce qu’il restait du véhicule, l’écrasant méthodiquement avant de le retourner. On entendit quelques cris : pomogite ! pomogite ! Au secours ! Au secours ! Et puis plus rien. Aucun des occupants ne put s’échapper.
De la carcasse broyée, Martin et Woodward retirèrent, avec difficultés, trois cadavres carbonisés. Les hommes étaient armés mais n’avaient manifestement pas eu le temps de dégainer leurs pistolets, des Oudav 9 mm dernière génération, préciserait l’enquête ultérieurement.
Une fois sa mission accomplie, Kamoun retrouva son calme et vint enrouler sa trompe, le plus délicatement qu’elle pût, autour du cou de Martin, comme elle le faisait quand ils jouaient dans l’eau, tous les deux.
Règlement de comptes
Une semaine plus tard, Winnie informa Kurtz que son supérieur avait été arrêté. Il s’était toujours opposé à l’exfiltration de Martin et c’est lui qui avait informé les Russes de l’endroit où il se cachait. Peut-être même avait-il monnayé sa trahison. Pour le principe, la Thaïlande avait officiellement porté plainte contre la Russie auprès du Conseil de sécurité pour ingérence.
Dans la poche de l’un des tueurs, on trouva une feuille intitulée instruktsii, instructions. Le texte, traduit et analysé par les services compétents du SBB, comportait des consignes détaillées à suivre dans le cadre d’une opération intitulée Olenskaya Operatsiya, Opération Olenska. À la demande de Winnie, l’enquête, conduite sur place par deux inspecteurs envoyés tout spécialement de Bangkok, avait été classée sans suite.
Sur la Butte
Ce jour-là, Kurtz décida de passer l’après-midi à Montmartre après avoir déjeuné, aux Abbesses, chez Roberta, un restaurant gastronomique italien tenu par Roberta et Michele, son fils, que lui avait fait connaître Martin : il avait pris une Burrata des Pouilles comme entrée suivie de raviolis de ricotta et d’un gelato, pour terminer le tout en beauté.
— Que devient votre ami, lui demanda Michele en posant un expresso devant lui ?
— Il est parti en Thaïlande en me laissant son chat. Il ne reviendra pas.
— Je le croyais amoureux de Montmartre…
— C’est vrai, mais il a choisi maintenant d’emprunter le Noble Chemin, le fameux Sentier Octuple qui mène au nirvana, répond Kurtz au jeune homme qui hoche la tête par politesse, sans comprendre.
La veille, Winnie l’avait appelé. Martin avait disparu. Il avait laissé un mot à Jam Jun :
« Chère Pleine Lune,
Je ne peux rester ici plus longtemps sans mettre le sanctuaire en danger car mes ennemis sont comme les éléphants : ils n’oublient pas. Merci pour tout et encore bravo pour tout ce que tu fais. Martin ».
— Au fond, c’est mieux pour tout le monde, ajouta Winnie. Qui sait, peut-être a-t-il enfin trouvé sa voie ?
— Souviens-toi de la phrase d’Hemingway, Winnie ; répondit Kurtz : « Un homme, ça peut être détruit, mais pas vaincu ».
A suivre...
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