gavroche
16/03/2012
Village francophone
Trois questions à Yves Bernardeau
Le créateur de bijoux, dans le royaume depuis 30 ans, revient sur les évolutions passées et futures du marché de la joaillerie.
Comment, en trente ans, a évolué le marché des pierres et vos créations ? Vos clientes ont-elles toujours les mêmes besoins ?
De façon très spontanée, je vous réponds qu’aujourd’hui je prends beaucoup plus de plaisir à créer, à fabriquer et à vendre mes bijoux à Bangkok. Autrefois, les clientes venaient me voir pour acheter des pierres très classiques (saphirs, rubis, diamants ou émeraudes). Maintenant, elles s’intéressent à beaucoup d’autres pierres et achètent des bijoux bien plus par plaisir. Je pense que l’essor de la bijouterie fantaisie explique ce changement. Les créateurs s’en sont donné à cœur joie dans tous les styles, sans hésiter à prendre des risques sur les mélanges de couleur et de taille des pierres. Autrefois, seules quelques privilégiées pouvaient se permettre une telle excentricité. Maintenant, les femmes s’amusent à porter des styles très différents. La clientèle thaïlandaise achète désormais des bijoux par pure gourmandise car les femmes ont appris à mieux les assortir avec leur garde robe. Donc, plus de frivolité, de fantaisie et d’engouement pour les bijoux de créateurs comme les miens. Comment voyez-vous l’avenir de la joaillerie en Thaïlande ? De nouvelles boutiques ouvrent un peu partout à Bangkok. Je pense que cette tendance va se renforcer et que la concurrence va se faire de plus en plus dans le domaine créatif. L’ère des magasins côte à côte qui proposent tous la même chose est bientôt révolue. Cette évolution est aussi favorisée par l’essor d’une main d’œuvre qualifiée et très souple, ce qui va permettre à la Thaïlande d’accroître encore ses exportations de bijoux. Les acheteurs du monde entier savent désormais que les artisans thaïlandais sont tout à fait « dans le coup », et un certain nombre de noms prestigieux de la joaillerie commandent leurs collections dans le royaume. Pour vous donner un exemple, j’ai eu la chance de rencontrer une créatrice américaine qui souhaitait faire fabriquer ici une collection très « fantaisie » en or 18 carats avec de vraies pierres de couleur. Nous avons commencé avec quelques boucles d’oreilles et, aujourd’hui, nous en sommes à plus de 80 000 bijoux vendus aux Etats-Unis, grâce à la création de centaines de modèles. Cette tendance ne peut que s’accentuer. Quels sont les pays d’Asie du Sud-Est où vous trouvez votre bonheur aujourd’hui ? Je suis ravi de l’ouverture des frontières et de l’évolution des pays alentours. L’Asie du Sud-Est ne se limite plus à la seule Thaïlande. Depuis les années 1980, je me rends aussi souvent en Inde car je suis fasciné par sa richesse culturelle et artisitique qui s'epanouit de plus en plus. Je suis aussi très enthousiaste et confiant dans le développement du Cambodge auquel j'essaie de participer. L’Asie du Sud-Est s’ouvre, les gens et l’information circulent mieux. Donc, les opportunités y sont nombreuses dans de multiples domaines. Dans les villes de Bangkok et Hong Kong, on trouve des artisans très qualifiés et habitués à travailler rapidement pour une clientèle exigeante. À Bangkok, les salaires sont moins élevés et les artisans plus fidèles. Ces deux mégapoles sont aussi des pôles majoritaires du commerce des pierres, Hong Kong ayant en plus l'avantage d'être un port franc. Mais, pour ce qui est de l'innovation, les créateurs asiatiques ne peuvent pas encore rivaliser avec les Occidentaux, car ils sont trop timides ou conservateurs. Quand ils se lancent dans la creation, ils oublient alors que le bijou reste un objet destiné à être porté et pas seulement une œuvre d'art pour le seul plaisir du créateur. Propos recueillis par Olivia Corre ![]() |
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