Home Accueil INDOCHINE – LITTÉRATURE : René Jouglet, l’homme des dessous de Saïgon (3)

INDOCHINE – LITTÉRATURE : René Jouglet, l’homme des dessous de Saïgon (3)

Journaliste : François Doré
La source : Gavroche
Date de publication : 07/09/2021
0

 

Et si Lucienne était le bon miroir pour comprendre le Saïgon des années vingt et ses turpitudes. Les amours faciles de la colonie. La fièvre qui vous brûle. La recherche effrénée de fortune des « civilisés ». Suivez notre chroniqueur François Doré sur les traces du romancier René Jouglet…pour ce troisième et dernier épisode.

 

Une chronique Littéraire de François Doré

 

— Quoi ?
Luciennes lui fit voir à la dérobée le billet.
— C’est combien ?
— C’est mille piastres, dit-il. Mais d’où vient ce billet ?
— Ça fait donc vingt-trois mille francs, dit-elle, et je les ai gagnés en un rien de temps.

 

On m’avait bien dit que le métier rapporte, mais à ce point là… Enfin, ajoute-t-elle, ça débute bien.

 

Il se sentit ridicule à un point inexprimable ; il avait envie de s’en aller ; mais il ne pouvait pas non plus faire un esclandre.

 

Tu n’es donc pas cocu

 

— Mon gros, dit Lucienne, on n’est pas mariés ; tu n’es donc pas cocu. Est-ce que je suis venue ici pour te demeurer fidèle ?
— De quoi ai-je l’air ? Tu aurais pu attendre, dit-il.
— Attendre quoi ? Que tu m’aies offert un dîner et deux cents francs ? Mais il faut toujours saisir l’occasion et c’est moi qui t’invites mon gros.

 

Je vois que tu préfères rentrer dans ta cabine. Ça tombe bien. Moi ce temps là m’a donné envie de dormir.

 

Et comme il semblait de plus en plus morose :

 

— Écoute. Tu m’as donné mille balles pour trois semaines et j’ai dit d’accord. Tout de même, tu ne devrais pas te vexer si j’ai trouvé la compensation.
— On pourrait quand même dîner, dit-il, quoique ça n’ait pas été chic de ta part.
— Chic ? dit-elle. Il faut bien que je me nippe quand tu seras parti.
— Bon alors à table, dit Darand.
— Oui, dit-elle. Et après au lit. Chacun de son côté, bien entendu. Je suis vannée par cette chaleur.

 

Il grogna que la chaleur n’était peut-être point la seule responsable de cette fatigue. Alors il la vit se pencher vers lui ; elle n’aimait pas les histoires.

 

— Au revoir, cher Monsieur murmura-t-elle. Vous m’enverrez des cartes postales.
— Hé là, dit-il, ne nous fâchons pas. Entrez, la table est mise.

 

Elle haussa les épaules, puis sourit et resta, car elle était bonne fille. Mais elle ne voulut, le lendemain, accepter de Darand qu’un sou troué.

 

— Mais non, pas davantage… Ça aurait l’air d’un pourboire. Elle ajouta : comme ça tu auras l’air tout du miché. Ça va te flatter mon gros…

 

Car elle était un peu moqueuse…

 

René JOUGLET.
‘La Vie Parisienne’.
5 janvier 1935.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Les plus lus