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BANGKOK – POLÉMIQUE : Renommer Bangkok : Un paradoxe politique historique, culturel

Journaliste : Jean Baffié Date de publication : 21/02/2022
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Bangkok vue aérienne

 

Gavroche essaie, le plus souvent possible, de porter à la connaissance de ses lecteurs des éléments d’information complémentaires susceptibles d’enrichir l’actualité. Cette fois, nous pouvons compter sur un expert : Jean Baffié, retraité du CNRS (Aix-Marseille Université) et ancien directeur de la Maison Asie-Pacifique. Son sujet : le changement officiel de nom de la capitale thaïlandaise qui fait tant couler d’encre.

 

Par Jean Baffié

 

Le 15 février, il a été annoncé que Bangkok devrait être renommé pour l’international
Krungthep Maha Nakhon, ce qui est déjà la forme officielle en langue thaïe, souvent donnée en forme abrégé de Krungthep, etc., le etc. étant donné par un signe caractéristique, nommé paiyan noi que l’on retrouve également dans les langues lao et khmère.

 

Un terme générique

 

Cette appellation n’est pas en réalité un nom propre mais un terme générique pour capitale.

 

Ainsi, dans les annales royale du quatrième règne de la dynastie actuelle, celle du célèbre roi Mongkut (1851-1868), la capitale est parfois désignée par l’expression Krungthep Maha Nakhon ou Krungthep, etc. mais parfois par le mot Phra Nakhon, littéralement « ville sacrée ». Dans d’autres annales royales on peut également trouver le mot nakhon luang, pour capitale ou ville royale. Les mots maha et nakhon, d’origine pâlie et sanskrite sans doute à travers le khmer, ayant respectivement les sens de grande et de ville, c’est Krungthep qui est plus obscur. C’est l’expression que les brochures touristiques – à la suite des missionnaires, auteurs des premiers dictionnaires – traduisent par « cité des anges », alors que, bien évidemment, il n’y a pas dans les religions locales (bouddhisme, hindouisme, animisme) de figures correspondant à nos anges. Le terme de krung, lui aussi d’origine mône-khmère, désigne une capitale et un royaume et le mot thep – ou thewada – a le sens de divinités.

 

Ces divinités sont vraisemblablement celles du panthéon hindouistes, car l’hindouisme était autant, voire davantage, que le bouddhisme la religion des souverains, le dieu Indra étant la divinité protectrice de Bangkok. Il est également possible que soient inclues les cinq divinités locales de Bangkok, Chao Pho Ho Klong, Chao Pho Chetkhup, Phra Suea Mueang, Phra Song Mueang et Phra Kanchaisi qui étaient éparpillées dans le centre ancien jusqu’à ce que le roi Rama V (1868-1910) les réunissent dans le sanctuaire du lak mueang (pilier fondateur) où elles se trouvent encore aujourd’hui. Il faut noter qu’Ayutthaya et Thonburi, quand elles avaient le statut de capitale, étaient également désignées par les mêmes termes génériques de Krungthep Maha Nakhon (ou Krungthep Phra Maha Nakhon), Phra Nakhon et Nakhon Luang.

 

Le mot Bangkok est proprement thaï.

 

En revanche, le mot Bangkok, lui, est proprement thaï. C’est le nom populaire d’un village, peut-être dès le départ établi sur les deux rives du fleuve Chao Phraya. Le mot de bang désigne un cours d’eau et très vite un établissement urbain situé à proximité d’une étendue d’eau, le plus souvent une rivière ou un canal, mais parfois la mer comme pour Bang Saen sur le golfe de Thaïlande, bang makok qu’ils traduisent par village des oliviers sauvages. Le ton makok évoque pour les Thaïs des plantes assez diverses. Les plus connues sont de la famille des Anacardiaceae, il s’agit des makok thai (Spondias pinnata Kurz) et des makok farang (Spondias cytherea Sonn.) Les Thaïs mangent les fruits des premiers avec de la pâte de crevette, de la sauce de poisson mais il n’en reste plus beaucoup dans la région de Bangkok. Plus directement, le nom de Bangkok semble venir du nom du wat (monastère) Makok, aujourd’hui Wat Arun, qui fut longtemps le plus grand symbole de la ville.

 

Le nom officiel de Bangkok, devenue ville fortifiée au XVII e siècle, fut sans doute Thanaburi ou Thonburi, terme aujourd’hui réservé à la rive droite du fleuve Chao Phraya, là où se trouve les districts de Bangkok Yai et de Bangkok Noi. Le nom de Bangkok a été adopté par les premiers Européens (Portugais, Hollandais, Anglais, Français), peut-être surtout ceux qui venaient faire du commerce au Siam car c’est le nom que portait le poste des douanes (khanon Bangkok) permettant d’avancer plus avant sur le fleuve Chao Phraya.

 

Renommer les capitales et les grandes villes n’est pas rare dans le monde. En Afrique, c’est pour effacer les traces de la colonisation ; Léopoldville, capitale de l’ex-Congo belge, devenue Kinshasa en 1966 en est un exemple. En Asie du Sud-Est, ce peut être aussi pour corriger les prononciations erronées héritées du colonisateur, comme Bombay devenue Mumbai en 1995pour Rangoon devenue Yangon en 1989. On sait qu’en 1975 Saigon a été rebaptisée Hô-Chi-Minh-Ville (Thành phố Hồ Chí Minh) pour rendre hommage au héros national.

 

L’influence occidentale faiblit en Thaïlande

 

L’influence occidentale faiblit en Thaïlande au profit de l’influence chinoise notamment. Ce changement de nom – étrange tout de même puisqu’il faut rappeler qu’un toponyme proprement thaï, Bangkok, est délaissé au profit d’un terme générique d’origine étrangère (mône-khmère, sanskrite). On peut rapprocher cette initiative de celle – privée celle-là – d’abandonner le nom de Thaïlande pour revenir à celui de Siam, dont l’usage officiel fut très limité dans le pays mais qui correspond à l’époque de la toute-puissance de la monarchie locale, à la fin du XIX e siècle et au début du XX e , période dont une partie de l’élite dirigeante a aujourd’hui la nostalgie. Quand un pays s’éloigne du modèle « occidental » de la démocratie, il peut être compréhensible que les autorités locales choisissent de donner des gages à la partie la plus nationaliste de sa population.

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