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GAVROCHE HEBDO – ROMAN : HASHTAG SINGAPOUR, épisode 9 : Une intraitable épouse

Journaliste : Alain Guilldou Date de publication : 04/03/2022
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singapour femme élégante

 

Nouvelle d’Alain Guilldou auteur, entre autres, de C’est arrivé à Singapour (éditions Gope, 2022).

 

L’INTRIGUE

 

M. Tong, violoniste mondialement admiré, est très attaché à son Stradivarius et à sa belle demeure de Singapour. Lors de ses tournées dans différents pays, Mme Tong en profite pour retrouver sa passion de jeunesse : chanter les Beatles dans un cabaret démodé. La tension latente dans le couple prend un tournant dramatique lorsque Mme Tong apprend le comportement inadmissible de son mari auprès de certaines femmes. Elle décide de lui donner une leçon d’une façon très personnelle précisément au moment où il est victime d’événements pour le moins inexplicables et qui risquent de lui faire perdre la raison. Mais qu’est-ce que la raison dans cette histoire ?

 

RÉSUME ÉPISODE 8

 

Toujours aussi élégante, Mme Tong se rend à l’hôpital Khoo Teck Puat où elle souhaite en vain avoir un rendez-vous avec le professeur en charge de M. Tong. Les infirmières qu’elle rencontre lui laissent entendre que le cas est désespéré.  Il n’en a plus que pour quelques jours. C’est le cœur brisé que Mme Tong se remet au volant de sa voiture.

 

ÉPISODE 9 : Une intraitable épouse

 

Prisonnier de son plâtre et de sa perfusion, affaibli par le manque de mouvements et moralement abattu, M. Tong demanda d’une voix résignée :

 

— Combien de temps me reste-t-il ?

 

— Généralement, ce sont des choses qu’on ne veut pas savoir, rétorqua sa femme en regardant négligemment le paysage d’automne qui illustrait le mois de novembre du calendrier mural.

 

— Moi, je le veux.

 

Katherine se retourna et lança :

 

— Tu te rends compte que si je te réponds, c’est un peu comme si j’obéissais à un ordre ? Des ordres, tu m’en as assez donné ! C’est fini, ce temps-là !

 

Puis, sur une idée éclose à la vitesse d’une flèche décochée par Robin des Bois, elle ajouta :

 

— A moins de te mentir.

 

— Alors, mens, se résolut le musicien.

 

Mme Tong se positionna au pied du lit et referma les mains sur le montant métallique. Son élégance paraissait presque déplacée dans pareil endroit. A l’évidence, elle profitait de la situation.

 

Pas envie de te faire ce plaisir

 

— Finalement, tu vas rire, je n’ai pas envie de te faire ce plaisir. Rappelle-toi simplement ce qu’a dit le médecin. Moins tu bouges, plus tu te… comment a-t-il dit déjà ? Ah oui, plus tu te prolonges.

 

— Quel médecin a dit ça ? s’étonna M. Tong.

 

— Voilà que tu perds la mémoire maintenant ! Tu es plus atteint que je ne le pensais. Le professeur Sung-Young est en charge de cet étage et il vient te voir tous les matins pour faire le point.

M. Tong s’affola :

 

— Je ne m’en souviens pas.

 

Puis il changea de sujet pour s’accrocher à la conversation, car il éprouvait le besoin de parler, or il n’y avait qu’avec Katherine qu’il pouvait parler. Mais pas souvent. Et pas longtemps.

 

— Nom de Dieu, pourquoi n’y a-t-il pas de fenêtre ? se plaignit-il. J’ai quand même les moyens de me payer une belle chambre.

 

— Ils ont dit qu’ils étaient en travaux, moi je n’y peux rien. Il y a plein d’échafaudages dehors.

 

— Travaux ? On dirait qu’il n’y a jamais eu de fenêtre ici.

— Je n’en sais rien, moi. Je ne suis pas architecte, balança Mme Tong.

 

Trop faible ou trop médicamenté, le violoniste préféra un sujet sur lequel sa femme devait pouvoir lui apporter des éclaircissements.

 

— Pourquoi tu m’as amené ici ? Et dans quel quartier sommes-nous ?

 

— Nous sommes au Khoo Teck Puat Hospital. Je ne t’ai pas amené. C’est les urgences qui ont décidé. Et puis arrête de me poser les mêmes questions tous les jours !

 

— Comment ça, tous les jours ?

 

— Oui, hier, avant-hier ! affirma Mme Tong en replaçant une mèche de cheveux derrière son oreille gauche.

 

Son bras plâtré

 

Son bras plâtré démangeait M. Tong. A certains moments, il sentait qu’il perdait conscience de ce qui l’entourait. Ce n’était que par éclairs qu’il se croyait vivant. Le reste du temps, souvenirs et cauchemars débarquaient arme au point pour l’assassiner.

 

Il revoyait le jour où, lors d’un break entre deux répétitions, il avait décidé de consacrer du temps à la lecture. N’ayant jamais eu un goût prononcé pour les livres, il n’avait lu que ce qui lui avait été imposé, par ses professeurs d’abord, ensuite pour ce qu’il devait savoir sur les compositeurs dont il interprétait les œuvres afin de mieux cerner la personnalité de leur créateur et en traduire les émotions. Sans oublier les contrats que son agent lui avait fait signer au fil des années. Très importants, les contrats ! Cela l’obligeait à décrypter chaque phrase pour débusquer le piège, comme ces messages que les espions cachaient dans l’encre des notes de musique de certaines partitions pendant la guerre froide.

 

Dans une librairie papeterie où il hésitait sur quel stylo Montblanc s’offrir, c’est par hasard qu’il était tombé sur le livre d’Haruki Murakami et de Seiji Ozawa, Absolutely on Music. Les conversations entre ces deux géants de la musique lui avaient fait comprendre qu’il était encore loin du compte dans son art. Qu’il n’irait sans doute pas aussi haut qu’il le voulait, que la dernière marche du podium, celle qui conduit à l’éternité dans la mémoire des mélomanes, serait pour quelqu’un d’autre. Une phrase l’avait interpellé : « Like love, there can be too much “good music”. » Puis il l’avait oubliée.

 

Soudain, il décida de relire certains passages du livre. Profitant de l’absence de sa femme et de sa fille à la maison, il s’étendit confortablement sur un canapé pour feuilleter l’ouvrage. Un pistolet ou plutôt le canon d’un Panzerkampfwagen V Panther braqua alors ses cervicales. Dans ses mains, le livre était devenu encéphalogramme plat. Blanc, comme ces carnets que l’on achète pour raconter ses souvenirs ou insulter muettement quelqu’un dans la tranquillité de son chez-soi. Seules la première et la quatrième de couverture étaient encore imprimées. Il secoua l’ouvrage comme quand on veut en faire tomber une fleur qu’on y a mise à sécher en souvenir d’un jour marquant. Rien n’en tomba. Pas même des milliers de caractères qu’il aurait pu prendre pour des insectes desséchés. Il se leva précipitamment et prit un autre livre. Il en ouvrit un au hasard. Ouf, il était imprimé ! Il le feuilleta machinalement et constata avec effroi que les pages se vidaient de leur contenu au fur et à mesure qu’il les parcourait. Ses yeux étaient devenus des gommes démoniaques.

 

— Tu dors ?

 

M. Tong fut brutalement ramené à la réalité par la voix de sa femme qui s’impatientait, l’air mauvais.

 

Il secoua la tête puis lança la première chose qui lui venait à l’esprit :

 

— Je veux voir mes enfants ! exigea M. Tong, réalisant trop tard qu’il venait de commettre un lapsus meurtrier.

 

Mme Tong éclata d’un rire blessant et se rapprocha du lit, tendant un doigt menaçant.

 

— Tes enfants ? A ma connaissance tu n’en as qu’un. Une fille. Notre fille, Cheryl, qui n’a pas envie de venir te voir. Maintenant, des mômes, tu en as peut-être semé ici ou là à force de baiser n’importe où. Tu veux que je passe un avis de recherche sur Internet ? Je pourrais lancer une invitation dans le genre « Come together ».

 

A suivre…

 

Hashtag Singapour est une nouvelle d’Alain Guilldou auteur, entre autres, de C’est arrivé à Singapour, un recueil de nouvelles publiées aux éditions Gope.

 

L’AUTEUR

 

Après une carrière d’enseignant, Alain Guilldou a été responsable de la communication du Bureau d’Enquêtes et d’Analyses (BEA), ce qui l’a amené à tisser des liens avec de nombreux pays du monde, en particulier ceux d’Extrême-Orient. Il continue d’enseigner à Singapour, la ville-Etat qui lui a inspiré plusieurs nouvelles dont celle-ci.

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