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CAMBODGE – POLITIQUE : Sam Rainsy rallume une nouvelle fois la bougie de l’opposition en exil

Journaliste : Sam Rainsy Date de publication : 29/03/2022
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Cambodge Sam Rainsy

 

Après la dissolution arbitraire du Parti du Salut National, le leader de l’opposition cambodgienne en exil Sam Rainsy nous a adressé cet appel. Il souligne la montée en puissance du Parti de la Bougie après sa récente condamnation par la justice au Cambodge. Selon lui « aucun autocrate ne peut effacer d’un trait de plume le désir de changement de tout un peuple ». Dans son viseur : les élections communales de juin 2022.

 

Un appel de Sam Rainsy

 

Le Cambodge a été ramené au système de parti unique en 2017 avec la dissolution arbitraire du Parti du Salut National (PSN) qui était le seul parti d’opposition parlementaire. Le premier ministre Hun Sen, au pouvoir depuis 1985, jugeait sans doute ce parti trop dangereux pour le laisser participer aux élections de 2018. En éliminant préalablement le PSN, qui avait recueilli — malgré des fraudes massives — presque la moitié des voix aux élections précédentes, Hun Sen a pu faire gagner à son parti, le Parti du Peuple Cambodgien (PPC), 100% des sièges à l’Assemblée nationale !

 

“Sédition” et “trahison”
Regardant encore plus loin, Hun Sen a pris les mesures nécessaires pour empêcher toute résurgence du PSN. Tous les dirigeants de ce parti sont accusés de “sédition” et “trahison” et sont interdits de toutes activités politiques. Dans une atmosphère de répression continue, aucune opposition ne semble plus possible. A côté du PPC, il n’y a que quelques minuscules partis dont la plupart ne semblent avoir été créés que pour présenter une façade de “démocratie pluraliste” destinée à la consommation internationale.

 

Le Parti de la Bougie

 

Et pourtant, un parti relativement ancien mais en veilleuse depuis longtemps, le Parti de la Bougie (PB) semble resurgir subitement pour bouleverser à nouveau la scène politique. Il s’agit de l’ancien Parti Sam Rainsy Party (PSR) que j’ai fondé en 1998 et qui a été mis en veilleuse à partir de 2013 quand Kem Sokha et moi avons fondé ensemble le PSN. Une nouvelle génération de dirigeants se trouve maintenant à la tête du PB.

 

Le PSR a changé de nom en 2017 pour devenir le PB quand des lois qui semblent avoir été taillées sur mesure interdisent à tout parti politique de se référer à un condamné politique, statut que j’avais acquis à la suite d’une longue série de sentences judiciaires prononcées contre moi à partir de 2015.

 

Un parti qui ne respecterait pas cette nouvelle législation serait dissous par les autorités. C’était pour empêcher la dissolution du PSN que j’avais démissionné de sa présidence en février 2017 pour être aussitôt remplacé par Kem Sokha. Mais par la suite, Hun Sen a trouvé un autre prétexte visant Kem Sokha lui-même (accusation de sédition et trahison) pour le faire arrêter en septembre 2017 et pour quand même dissoudre le PSN en novembre de la même année.

 

Élections communales de juin 2022

 

L’électorat est encore sous le choc de la dissolution du PSN et de la prise de contrôle à 100% de l’Assemblée nationale par le PPC quand commencent à la fin de 2021 les préparatifs des élections communales qui auront lieu le 5 juin prochain. Dans une atmosphère de répression caractérisée par des arrestations, des actes de violence dans la rue, la peur et l’intimidation, et à un moment où le procès de Kem Sokha traine toujours en longueur, la surprise semble venir de la résurgence soudaine du PB.

 

A ce stade des préparatifs électoraux l’indication de la force d’un parti peut se mesurer au nombre des candidats ou listes de candidats qu’il peut présenter. Il s’agit pour ces élections communales de juin 2022 d’élire un maire et un conseil communal de 10 à 22 membres en comptant les suppléants pour chacune des 1652 communes réparties sur tout le territoire du Cambodge.

 

Pour pouvoir mettre en place une liste de candidats dans une commune donnée, un parti doit avoir une certaine assise populaire dans la commune en question. A ce jour, parmi les 17 partis en lice, seul le PPC a pu mettre en place une liste de candidats dans chacune des 1652 communes. Cela lui est facile parce qu’il dirige l’administration d’un pays où le parti au pouvoir et l’État se confondent. En revanche, ce qui est plus étonnant c’est le score du PB qui, selon des informations encore provisoires, a pu présenter une liste complète de candidats dans 98 à 99 % des communes, y compris parmi les plus reculées et les plus isolées, là où la peur et l’intimidation règnent avec le plus d’intensité pour un parti d’opposition. Les autres partis figurent très loin derrière ce peloton de tête: moins de 40% pour les troisième et quatrième partis qui sont alliés au PPC, moins de 20% pour le cinquième parti, et, en fin de liste, moins de 2% pour les sept derniers partis.

 

En conséquence, la bataille électorale se livrera essentiellement entre deux grands protagonistes: le PPC et le PB. Sur la plus grande étendue du territoire les autres partis sont trop petits pour être visibles. Le fait que dans plus de 1000 communes sur 1652, l’électeur n’aura le choix qu’entre deux grands partis, indique le retour à la bipolarisation qui existait avant la dissolution du PSN.

 

Les ressorts cachés du PB

 

La question qui vient tout de suite à l’esprit est la suivante: Comment se fait-il que le PB puisse, en l’espace de quelques mois seulement, prendre pratiquement la place du PSN comme seul parti d’opposition crédible ? Comment le PB a-t-il pu acquérir aussi vite cette assise populaire qui normalement ne se bâtit qu’au fil de longues années de lutte politique? Quels sont les ressorts cachés de ce parti ?

 

Les atouts du PB tiennent d’abord à son historique et à la fidélité aux principes affichés depuis sa création. Ayant conservé le même logo (la Bougie) et la même devise (Intégrité, Vérité, Justice) le PB est le prolongement historique du PSR que j’ai fondé il y a 24 ans en tant que premier parti d’opposition parlementaire. Le PSR qui avait participé à de multiples élections législatives et communales a vu sa popularité croître continuellement jusqu’à l’avènement du PSN. Celui-ci, symbole de l’unité des forces démocratiques, a donné un élan encore plus grand à l’opposition à partir de 2013 jusqu’à sa dissolution en 2017. On comprend mieux pourquoi le soutien populaire en faveur du PSN se soit reporté sur le PB qui est maintenant le seul à présenter les caractéristiques d’un vrai parti d’opposition.

 

Ce report du soutien populaire du PSN vers le PB montre qu’aucun autocrate ne peut effacer d’un trait de plume le désir de changement démocratique que ressent tout un peuple. Les électeurs reconnaissent encore mieux le PB comme un vrai parti d’opposition à l’image du PSN quand ils voient que jusqu’à 90% des candidats que le PB présente maintenant, ont été déjà candidats pour le PSN lors des élections communales précédentes de juin 2017 ou sont des élus du PSN dont le PPC a confisqué les postes obtenus par le suffrage populaire pour les redistribuer à des membres du parti au pouvoir (486 postes de maire et 5007 postes de conseiller communal).

 

Menace de dissolution

 

Ayant commencé à se substituer pratiquement au PSN comme le seul parti d’opposition crédible à être considéré comme “légal” selon les lois répressives actuellement en vigueur à Phnom Penh, le PB ne va-t-il pas subir le même sort que le PSN, c’est-à-dire la dissolution, dès qu’il commencera à menacer sérieusement le pouvoir absolu de Hun Sen? Celui-ci ne va-il pas trouver encore un autre prétexte tout aussi fallacieux pour se débarrasser d’un concurrent jugé trop dangereux comme il l’a fait avec le PSN ?

 

Après m’avoir fait condamner à de lourdes peines de prison pour des raisons purement politiques et m’avoir attribué le statut de condamné, Hun Sen a fait adopter des amendements à la loi sur les partis politiques destinés à m’écarter définitivement de la scène politique. Ainsi il est interdit à tout parti politique, sous peine de dissolution, d’être en contact avec un condamné, de mentionner son nom, de faire référence à tout écrit, parole, recommandation, conseil, photo ou dessin se rapportant à ce condamné.

 

Des menaces ont déjà été émises le 1er mars dans la revue Khmer Times qui défend les positions du gouvernement Hun Sen: “Trouble stirs: Rainsy’s support for CLP may violate Law on Political Parties” (Problème en vue: Le soutien de Rainsy au PB pourrait violer la Loi sur les Partis politiques).

 

A Phnom Penh on surveille le moindre de mes gestes et paroles pour y voir un “soutien” au PB et trouver ainsi un prétexte pour dissoudre ce parti. On veut absolument voir ma main ou mon ombre derrière le PB. Khmer Times cité plus haut a aussi écrit, “Former opposition leader Sam Rainsy has publicly thrown his support behind the Candlelight Party he had founded and mobilised support for it” (L’ancien chef de l’opposition Sam Rainsy a publiquement manifesté son soutien au Parti de la Bougie qu’il avait fondé et a appelé à soutenir ce parti). Pour étayer cette accusation Khmer Times met en avant une photo me montrant, avec un groupe de sympathisants, derrière… une bougie. En 1998 j’avais choisi la bougie comme logo du PSR parce qu’elle symbolise la lumière et l’espoir. Le PB a gardé ce logo qui a une signification universelle. Mais sous le régime Hun Sen allumer et se tenir derrière une bougie devient un geste suspect. Ce poème que j’ai récemment écrit et qui a été rapporté par Khmer Times devient aussi suspect:

 

“Dans le noir de la nuit

J’allume une bougie

Pour éclairer mon chemin

Fidèle à ma foi

J’allume une bougie

Pour prier le Seigneur”.

 

Restaurer le processus démocratique

 

Comme je l’ai montré dans Gavroche du 21 février 2021 (“Hun Sen, un homme fort toujours confronté à la soif de changement”), l’homme fort du Cambodge a recouru à un véritable coup d’état constitutionnel pour faire dérailler le processus démocratique en imposant la dissolution du PSN qu’il présente comme un fait accompli.

 

Le peuple cambodgien continue de rejeter cet acte inconstitutionnel qui restera toujours inacceptable.

 

En attendant la réhabilitation du PSN tous les défenseurs de la démocratie et tous les amis du Cambodge doivent pousser Hun Sen à faire preuve d’un minimum d’esprit sportif dans une compétition électorale comme dans un match de boxe, c’est-à-dire le dissuader d’éliminer lâchement un parti politique concurrent en prononçant sa dissolution chaque fois que le concurrent semble en mesure de le vaincre comme ce fut le cas du PSN hier et pourrait être le cas du PB demain.

 

Assurer la survie d’un vrai parti d’opposition est une condition sine qua non pour restaurer le processus démocratique car il ne peut y avoir de démocratie sans contre-pouvoirs, à commencer par un vrai parti d’opposition capable d’assurer une vraie alternance.

 

Sam Rainsy

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