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CAMBODGE – POLITIQUE : « Pourquoi Hun Sen a peur », une tribune exclusive de Sam Rainsy

Journaliste : Sam Rainsy Date de publication : 30/06/2022
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élections communales Cambodge

 

L’opposant cambodgien en exil Sam Rainsy intervient régulièrement dans les colonnes de Gavroche. Il nous livre en exclusivité son analyse des récents résultats des élections communales au Cambodge.

 

Une tribune de Sam Rainsy.

 

L’intensification de la répression au Cambodge traduit la faiblesse et la peur de Hun Sen.

 

Beaucoup d’observateurs sont surpris par l’intensification de la répression politique au Cambodge au lendemain des élections communales du 5 juin dernier pour lesquelles le parti au pouvoir du premier ministre Hun Sen, le parti du Peuple Cambodgien (PPC), a revendiqué une “victoire écrasante” sur l’opposition représentée par le Parti de la Bougie (PB).

 

Normalement, après une victoire vraiment écrasante le vainqueur peut se permettre de se montrer magnanime. Ainsi, après sa victoire aux élections législatives de 2018 qui lui ont permis de rafler 100% des sièges à l’Assemblée nationale, le gouvernement de Hun Sen a essayé de détendre l’atmosphère politique avec des mesures de clémence comme la libération du président du PSN Kem Sokha.

 

Mais la tendance actuelle est tout l’inverse d’une détente avec la poursuite d’un procès de masse à l’encontre de dirigeants, militants et sympathisants du PSN à qui de nouvelles peines de prison ont été infligées. Je viens d’être moi-même condamné à 8 ans de prison supplémentaires.

 

Il y a eu aussi l’emprisonnement de l’avocate khméro-américaine Seng Theary immédiatement après sa condamnation à 6 ans de prison pour “sédition” et l’arrestation de témoins courageux comme Ley Sokhon qui ont dénoncé sur Facebook des irrégularités électorales.

 

Un chef de commune nouvellement élu du PB, Nhim Sarom, a été détenu pendant 24 heures pour des motifs futiles, de quoi intimider les autres élus de l’opposition.

 

Il y a également des représailles administratives comme le montrent les cas de deux agents de l’État qui ont affiché leur soutien à l’opposition et qui viennent d’être chassés de l’administration : Eng Srouy du département de la santé et Keo Sokmony du département de la police. Avertissement de Hun Sen: Il ne faut pas suivre l’exemple de ces deux insoumis.

 

Un procès en diffamation a été intenté contre le vice-président du PB Son Chhay pour avoir dénoncé des irrégularités électorales. Le PPC lui réclame 1 million de dollars de “dommages-intérêts”, de quoi briser l’opposition financièrement.

 

Manipulation des listes électorales et bourrage des urnes

 

La posture agressive actuelle de Hun Sen ne montre pas qu’il se sent fort comme au lendemain d’une vraie victoire. Au contraire, elle montre sa faiblesse et sa peur.

 

Hun Sen connaît mieux que personne les vrais résultats, sans triche, des dernières élections. Il connaît avec précision l’ampleur des irrégularités et leur impact sur les résultats finaux. Après correction de ces irrégularités que lui seul peut faire avec précision, il découvre la popularité et la puissance réelles de l’opposition démocratique qu’il croyait avoir anéantie avec la dissolution arbitraire du PSN cinq ans auparavant.

 

Il est indéniable que si le scrutin avait été plus transparent et plus honnête, le PB aurait réalisé un score plus élevé. Ce score réel de l’opposition doit être vraiment très élevé pour faire peur à ce point à Hun Sen.

 

En effet, après chaque élection, le PPC peut produire les résultats qu’il veut grâce au contrôle qu’il exerce sur le Comité National pour les Élections (NEC). Celui-ci gère les listes électorales et les manipule à sa guise.

 

Un rapport de l’organisation américaine National Democratic Institute (NDI) sur l’établissement des listes électorales au Cambodge publié en 2013, conserve toute son actualité.

 

Le rapport (1) qui est en fait un “Audit du Registre Electoral” détaille les méthodes utilisées par le NEC pour manipuler les listes électorales:

 

–      Privation du droit de vote au détriment des électeurs suspectés de ne pas soutenir le régime (informations fournies par les chefs de village tous nommés par le PPC). Les suspects sont tout simplement radiés du registre électoral.

–      Introduction d’électeurs fantômes dans le registre électoral pour gonfler les votes en faveur du PPC.

–      Utilisation de noms d’électeurs absents de leurs villages, comme les travailleurs migrants, pour gonfler encore davantage les votes en faveur du PPC.

 

Le rapport montre que seulement 82,9% des citoyens ayant le droit de vote sont effectivement enregistrés comme électeurs, un chiffre très en-dessous et contredisant celui du NEC qui indique un taux d’enregistrement de 101,7%. L’écart entre les deux chiffres donne une idée de la présence massive d’électeurs fantômes dans le registre électoral.

 

Le rapport a aussi révélé que 10.8% des électeurs qui pensaient qu’ils étaient enregistrés dans le registre électoral, ne l’étaient pas. Ce chiffre montre qu’il y a bien une privation effective du droit de vote.

 

Par ailleurs, près de 20% des noms figurant dans le registre électoral étaient des faux noms ou des inconnus, ce qui donne une autre indication du nombre d’électeurs fantômes pouvant être facilement transformés en électeurs pour le PPC.

 

Enfin, le rapport montre que les 9.4% des électeurs dont les noms ont été effacés du registre électoral ont été éliminés à tort de ce registre. Ce chiffre témoigne à nouveau d’une privation sélective du droit de vote à l’encontre d’une certaine catégorie de la population.

 

En conclusion, le rapport NDI a souligné qu’il y avait un “besoin pressant d’une réforme fondamentale du système électoral” mais une telle réforme n’a jamais été initiée depuis la publication du rapport en 2013. Tout ce travail a eu pour seul résultat l’expulsion de NDI du Cambodge en 2017 pour avoir révélé le caractère systémique de la fraude électorale sous le régime Hun Sen.

 

On peut penser que toute révision du registre électoral à l’avenir pour apporter plus de transparence aux prochaines élections, aura pour effet de réduire sensiblement les votes en faveur du PPC et d’augmenter de manière correspondante ceux en faveur de l’opposition.

 

Retour d’une opposition forte et unie

 

Après les dernières élections, la scène politique a notablement changé. Comme je l’ai écrit dans Gavroche du 14 juin, “les élections locales du 5 juin ont mis fin au système de parti unique au Cambodge”(2).

 

Malgré de multiples tentatives pour la diviser l’opposition demeure fondamentalement unie. D’après les résultats officiels (truqués), le PB — anciennement Parti Sam Rainsy (PSR) — a recueilli 22% des voix tandis que 4 nouveaux partis qui prétendent être des réincarnations légales du PSN, ont recueilli ensemble moins de 1% des voix. Le PB a donc remplacé le PSN comme le seul parti d’opposition crédible, au grand dam de Hun Sen qui a tout fait pour ne pas voir réapparaître une opposition forte et unie.

 

A la différence des élections communales de 2017 où le PSN avait pu nommer des observateurs dans chacun des 23 000 bureaux de vote, celles de 2022 ont été beaucoup plus compliquées pour l’opposition représentée par le PB. Ce parti longtemps dormant et tout fraîchement réactivé n’a pu placer ses agents que dans un petit nombre de bureaux de vote, et cela par manque de temps et de moyens et aussi à cause d’une aggravation de l’intimidation et du harcèlement politiques. En l’absence de représentants de l’opposition, le PPC a pu se livrer à cœur joie au jeu de bourrage des urnes d’autant qu’un ordre inhabituel est venu “d’en haut” à la dernière minute de fermer les portes et les fenêtres des bureaux de vote pendant les opérations de dépouillement des bulletins de vote.

 

Triche à tous les niveaux

 

Par exemple, dans un bureau de vote où il y a 1.000 électeurs inscrits et où 600 électeurs seulement sont effectivement venus voter — disons 300 pour le PPC et 300 pour le PB — les partisans du PPC ont profité du fait qu’ils soient seuls entre eux pour

–      d’une part, utiliser les noms de 200 électeurs absents sur 400 pour gonfler d’autant le nombre des bulletins en faveur du PPC,

–      d’autre part, “transférer” 100 bulletins de vote du PB au PPC.

 

Résultat final :

 

–      Le nombre des “votants” passe de 600 à 800, et le “taux de participation” de 60 à 80%.

 

–      Le PPC se voit attribuer 600 voix (300 + 200 + 100). Il a “gagné” avec 75% des suffrages exprimés (600/800), au lieu de 50% réellement (300/600).

 

–      Le PB se voit attribuer 200 voix (300 – 100). Il a “perdu” avec 25% des suffrages exprimés (200/800), au lieu de 50% réellement (300/600).

 

L’exemple ci-dessus au niveau d’un bureau de vote aboutit à des chiffres très proches des “résultats officiels et définitifs” au niveau national tels qu’annoncés le 26 juin par le NEC. Celui-ci donne 74,32% des suffrages exprimés au PPC (contre 75% dans notre exemple) et 22,25% au PB (contre 25%).  Le taux de participation est de 80,32% , très voisin des 80% qui ressortent de notre exemple

 

La pratique de bourrage des urnes a été facilitée en 2022 par le fait que le NEC et ses ramifications provinciales (PEC) et communales (CEC) sont repassés sous le contrôle total du PPC après la dissolution du PSN en novembre 2017 alors qu’auparavant (à partir de 2014) il était dirigé conjointement, à parts égales, par le parti au pouvoir et l’opposition. Cette parité était une demande du PSN que Hun Sen n’a satisfaite que pendant une courte période de temps.

 

Les tricheries de Hun Sen ne peuvent que l’affaiblir dans le temps. Ses pratiques malhonnêtes ne peuvent que se réduire dans le futur avec une réforme inévitable du NEC et une opposition mieux organisée.

 

Stratégie de Hun Sen pour casser l’opposition

 

Hun Sen doit avoir peur du PB en 2022 autant qu’il avait peur du PSN avant la dissolution de celui-ci en 2017. Il doit s’inquiéter des législatives de 2023 autant qu’il avait peur de perdre celles de 2018 jusqu’à sa décision de dissoudre le PSN sept mois avant le jour du scrutin.

 

Ces législatives de 2023 seront d’une importance cruciale pour Hun Sen compte tenu de l’avancement de son âge et de son plan de se faire remplacer par son fils aîné Hun Manet dans la foulée de ces élections. La résurgence d’une opposition forte et unie menace de contrecarrer ce plan de succession familiale qui semble lui tenir particulièrement à cœur.

 

Mais Hun Sen ne peut pas dissoudre le PB comme il l’a fait pour le PSN. Sans parler des réactions internationales, Hun Sen apparaîtrait comme un politicien vraiment petit et indigne de toute considération aussi bien pour la génération actuelle que pour celles de ses enfants et petits-enfants. On se souviendrait de lui comme d’un lâche qui, pour éviter toute compétition, montrerait qu’il ne sait rien faire d’autre que de dissoudre administrativement tout parti politique qui paraîtrait trop fort pour lui.

 

Ne pouvant dissoudre le PB,  Hun Sen ne peut donc que chercher à l’affaiblir et même à le détruire par tous les moyens comme le montre la répression actuelle par son caractère féroce et multiforme.

 

Sam Rainsy

 

(1) https://www.ndi.org/sites/default/files/Cambodia-Voter-Registry-Audit-2013.pdf?fbclid=IwAR2eR3rg_IUoPwIPnjdN9oXurT6YC0Xn7M36XxYbiIkSpF9QHaDdOw_IT2A

 

(2) https://www.gavroche-thailande.com/cambodge-politique-en-exclusivite-sam-rainsy-refute-la-victoire-ecrasante-de-hun-sen-aux-recentes-elections-locales/?fbclid=IwAR0vQXh6eqGFU2MUFFKp7RJEw6OzLxf6rPzUKGv4NxI_9QGjI7Unba-zo3k

 

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