Home Accueil BIRMANIE – DIPLOMATIE : Pour Rangoun, Moscou n’est pas un allié si idéal

BIRMANIE – DIPLOMATIE : Pour Rangoun, Moscou n’est pas un allié si idéal

Journaliste : François Guilbert Date de publication : 20/07/2022
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Birmanie Russie

 

Notre ami et chroniqueur François Guilbert garde un œil attentif sur la situation en Birmanie. A l’ombre de la guerre en Ukraine, il nous livre son analyse sur le rapprochement entre les généraux birmans et le pouvoir de Vladimir Poutine.

 

Une analyse de François Guilbert

 

Alors que depuis des mois les experts de la Birmanie se demandent si les tensions existantes au sein des forces armées (Tatmadaw) peuvent déboucher sur un nouveau coup d’État militaire, cela ne semble pas effleurer l’esprit du général Min Aung Hlaing. Pour la deuxième fois depuis son accession au pouvoir suprême en février 2021, il vient d’effectuer un long périple à l’étranger. Du 10 au 16 juillet, il s’est absenté pour rendre visite à ses interlocuteurs de la défense russe à Kazan, Moscou, Novossibirsk et Saint Petersbourg. Un voyage « privé » a précisé un communiqué du ministère de la Fédération. Certes dans toutes ses apparitions publiques, le généralissime birman est apparu cette année en costume civil, mais il en n’a pas moins rencontré les ministres S. Choïgu et A. Fomin ainsi que le directeur de l’agence Rosoboronexport, chargée des exportations du complexe militaro-industriel russe.

 

Besoin du soutien de Moscou

 

Rien n’a filtré de ces discussions mais il ne fait guère de doute que le chef de la Tatmadaw a voulu s’assurer que le soutien de Moscou ne lui fera pas défaut dans la guerre de haute intensité qu’il mène aujourd’hui contre les groupes ethniques armés et les insurgés de la Révolution du printemps. Sans la supériorité aérienne offerte par les MIG-29 et les YAK-130, la Tatmadaw serait encore plus à la peine qu’elle ne l’est depuis septembre 2021 et l’appel à la lutte armée de l’opposition. Ses hélicoptères venus des usines du Tatarstan lui sont tous aussi essentiels pour la mobilité de ses unités commandos et leur projection sur des théâtres d’opération bien difficiles d’accès. Les révolutionnaires harcèlent voire coupent régulièrement les lignes de communication des soldats de la junte. Dans sa volonté d’écraser au plus vite ses ennemis, le général Min Aung Hlaing a tenu à venir à Kazan et être accompagné de son chef d’état-major de l’armée de l’air, le général Tun Aung.

 

Sur les bords de la Volga, il a voulu faire coup double. Tout en cherchant à sécuriser ses approvisionnements en armes, il a mis en scène l’image d’un chef de gouvernement respecté et reçu par un chef d’État. La propagande de la junte a ainsi souligné le statut de président de la République de Roustam N. Minnikhanov, une désignation protocolaire que récuse pourtant la Russie depuis 2021. Une entorse diplomatique certes, mais bien utile à un chef militaire d’une junte persona non grata dans sa région et bien des pays de la planète.

 

Deux sorties du pays pour Min Aung Hlaing

 

Depuis le putsch de 2021, le général Min Aung Hlaing n’est sorti que par deux fois de son pays. En avril de l’année dernière, il s’est rendu à Jakarta pour participer à une réunion exceptionnelle des chefs d’État et de gouvernement de l’ASEAN. Perspective qu’il n’est pas prêt de renouveler ! Faute d’avoir sérieusement mis en œuvre les 5 points de consensus agréés à cette occasion, il lui sera bien difficile d’être invité au sommet des dirigeants de l’Asie du Sud-Est qui se tiendra en novembre 2022 au Cambodge. A défaut de pouvoir se rendre en Asie, voyager en Russie est de la plus haute importance pour le numéro 1 de la Tatmadaw. Mais encore faut-il être reçu conformément à son rang. Sur ce plan, le Kremlin ne met manifestement pas les petits plats dans les grands. Pourtant, Nay Pyi Taw n’a pas mégoté ces derniers mois son soutien public à l’intervention guerrière russe en Ukraine, la jugeant même conforme à la défense de la souveraineté de la Russie. Un langage de solidarité de la junte, à rebours de son opposition tenant le siège des Nations unies, mais qui n’est toutefois pas allé, contrairement à la Corée du nord, jusqu’à reconnaître diplomatiquement les Républiques autoproclamées du Donbass. Il est vrai qu’un tel geste résonnerait de manière particulière en Birmanie aux vues des dynamiques politico-militaires centrifuges animant le pays d’ouest (États Rakhine et Chin) en est (pays Wa, États Kayah et Kayin).

 

La semaine dernière, une fois encore V. Poutine a été aux abonnés absents. Depuis 15 mois, le général Ming Aung Hlaing n’a été ni reçu, ni pris au téléphone par le chef du Kremlin. Même le patron du MID, S. Lavrov ne s’est pas montré plus accueillant depuis la prise du pouvoir du Conseil d’administration de l’État (SAC). Pire, contrairement à 2019 et 2021, cette fois-ci le très puissant président du Conseil de sécurité de la Fédération, Nikolaï P. Patrouchev, n’a pas pris le temps d’une entrevue. Pour faire passer ses messages au président russe, le général Min Aung Hlaing pourra peut-être néanmoins compter sur l’un de ses hôtes, le patron de Roscosmos, Dimitri Rogozine, un proche du Kremlin.

 

Question d’égo et de prestige

 

L’accès au chef de l’État russe n’est pas seulement une question d’égo et de prestige pour le Premier ministre du SAC. Au-delà d’obtenir des garanties sur la poursuite des coopérations militaires (aide au renseignement, entraînement, formation, livraisons d’équipements militaires et de pièces détachées pour l’armée de terre, les forces aériennes et la marine), le général Min Aung a besoin de s’assurer, au plus haut niveau, du soutien sur deux dossiers clés pour l’avenir de son régime : une flexibilité dans le paiement des factures de son armée – on parle de plusieurs centaines de millions de dollars d’arriérés – et une aide à son secteur énergétique au bord de la faillite.
La coopération financière est en train de devenir un enjeu de première importance entre Nay Pyi Taw et Moscou. Le SAC est dans une recherche forcenée de dollars. Sa monnaie dévisse. En un peu plus d’un an, elle a perdu plus de 45 % de sa valeur. Sur les marchés des changes, le ratio kyat – dollar diverge dorénavant de 20 % selon que l’on s’adresse au système officiel ou privé. Les banques sont au bord du gouffre. Les épargnants ont retiré par défiance 70 % de leurs dépôts depuis le 1er février 2021. Cherchant à arrimer son système financier à celui de la Russie, la junte est par ailleurs mise en cause par ses opposants. Le ministère de la Planification, des Finances et de l’Investissement du Gouvernement d’unité nationale (NUG), dans un communiqué daté du 18 juillet (), a dénoncé la politique du SAC visant à négocier avec la Banque de Russie et d’autres banques commerciales le recours au système de transfert de messages financiers russe (SPFS) en lieu et place du réseau SWIFT, et le moyen de paiement Mir comme alternative aux systèmes VISA – Mastercard.

 

Autre dossier sensible, le besoin en gaz et pétrole. Bien que la Birmanie soit un État producteur, il lui faut importer les produits raffinés dont il a besoin. Et, il lui en manque de plus en plus. Remplir sa bouteille de gaz est devenu, ces jours-ci, un véritable parcours du combattant. Une mauvaise nouvelle de plus dans un pays où, selon la Banque mondiale(), plus de la moitié des ménages s’inquiètent de leurs finances futures et de leur capacité à satisfaire leurs besoins alimentaires. 34 % des Birmans déclarent même s’inquiéter tout simplement d’avoir suffisamment à manger dans les mois qui viennent.

 

Le SAC ne répond pas à ces interrogations existentielles. Sa politique économique et financière est illisible. Ses décisions d’un jour sont fréquemment inversées dans les jours qui suivent (ex. autorisations de paiements en bahts et yuans aux frontières ; exemptions des conversations à taux fixe, inférieur au marché ; dépôts bancaires en dollars ; suspension par la Banque centrale des remboursements des prêts en devises étrangères,…). Cette absence de cohérence des politiques macro et microéconomiques inquiètent les milieux d’affaires nationaux et étrangers, tout comme l’extension galopante de la corruption. Enfin, la mainmise de la famille du général Min Aung Hlaing sur certains secteurs sensibles accentue la défiance des acteurs économiques et financiers. La présence à ses côtés en Russie de son fils Aung Pyae Sone, déjà entrepreneur privilégié dans les domaines pharmaceutiques, de la construction ou du tourisme, laisse entrevoir de nouveaux desseins qui n’inciteront pas à voir venir de nouveaux investisseurs alors que le pays en a tant besoin pour relancer une économie dont le produit intérieur brut devrait à nouveau se contracter de 0,3 % en 2022 selon la Banque asiatique de développement.

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