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CAMBODGE – POLITIQUE : L’opposant Sam Rainsy alerte sur «la bombe à retardement» Hun Sen

Journaliste : Sam Rainsy Date de publication : 23/01/2023
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Sam Rainsy

 

Sam Rainsy demeure le politicien cambodgien le plus populaire au sein de l’opposition. Depuis son exil, il brosse, pour Gavroche, un tableau noir des 38 années de pouvoir du premier ministre Hun Sen.

 

Le premier ministre cambodgien Hun Sen vient de fêter le 14 janvier dernier le 38ème anniversaire de son accession au pouvoir en 1985. Seuls trois despotes africains peuvent concurrencer sa longévité politique : les présidents de la Guinée équatoriale Théodoros Obiang Nguema Mbasogo, du Cameroun Paul Biya et de l’Ouganda Yoweri Museveni au pouvoir depuis respectivement 1979, 1982 et 1986. Des fossiles politiques qui ont fait plus de mal que de bien à leurs pays respectifs.

 

Pour Hun Sen, la longévité politique pour lui-même ne suffit pas. C’est une véritable dynastie à la nord-coréenne qu’il veut fonder afin que le pouvoir se perpétue au sein de sa descendance.

 

Hun Sen est en train de tout orchestrer pour que son fils aîné Hun Manet le remplace à la tête du gouvernement après les élections de juillet 2023. Il voit beaucoup plus loin encore quand il a déclaré publiquement qu’après avoir été “père de premier ministre” il se verrait également “grand-père de premier(s) ministre(s)”.

 

Sur le plan politique, une telle dynastie signifie la perpétuation du pouvoir absolu et de l’impunité qui lui est associée. Sur le plan économique, c’est un accaparement de l’État par une famille qui se livre à une prédation sur les ressources de tout un pays.

 

Secrets de la longévité politique de Hun Sen

 

Pour se maintenir au pouvoir pendant presque quatre décennies, Hun Sen a fait montre de deux “qualités” essentielles :

 

– être dépourvu de tout principe et savoir incarner une chose et son contraire : “dictature du prolétariat” et “démocratie libérale” ; “communisme” et “capitalisme”, “république populaire à la chinoise” et “monarchie constitutionnelle à l’anglaise” ;

 

– savoir naviguer à vue en permanence et savoir changer de cap à tout moment, l’objectif étant uniquement de rester maître à bord. Tant pis pour l’absence de vision et peu importe où va le navire et dans quel état il se trouve, pourvu que le capitaine conserve son poste.

 

Mais si l’on se réfère aux intérêts nationaux, ce style de leadership très personnel ne peut conduire qu’à de piètres résultats qui peuvent devenir catastrophiques.

 

Hun Sen est un ancien commandant militaire khmer rouge qui a fait défection pour se réfugier au Vietnam en 1977 afin d’échapper à des purges internes dans les rangs des soldats de Pol Pot. C’est dans les fourgons de l’armée vietnamienne et à l’ombre d’une occupation étrangère qu’il est parvenu au pouvoir, d’abord comme ministre des affaires étrangères (de 1979 à 1985) puis comme premier ministre fantoche de la “République Populaire du Kampuchea” installée par Hanoï. L’ancien Roi Norodom Sihanouk, alors Chef de la Résistance anti-vietnamienne, l’a comparé à Quisling jusqu’à la signature des Accords de Paris en 1991. Vidkun Quisling était le premier ministre fantoche norvégien, collaborateur de l’occupant allemand nazi pendant la deuxième guerre mondiale.

 

Les élections organisées par les Nations-Unies en 1993 – le seul scrutin authentique que le Cambodge ait jamais connu – a vu la victoire du parti royaliste d’opposition dirigé par Norodom Sihanouk. Hun Sen a alors brandi la menace d’une sécession et d’une guerre civile pour rester aux commandes en tant que “Deuxième Premier Ministre”. Puis, par un coup d’état en 1997 il a éliminé le Premier Ministre légal et pris sa place. Il a aussi pris le contrôle de la Commission électorale pour pouvoir truquer toutes les élections qui se sont déroulées à partir de 1998.

 

Jusqu’à cette année 2023, en particulier au cours de ces cinq à six dernières années, c’est par une répression d’une main de fer qu’il s’est maintenu au pouvoir, faisant assassiner, emprisonner, persécuter ou exiler opposants et critiques de tous bords.

 

Le seul parti d’opposition parlementaire (Parti du Salut National) qui, malgré une fraude gouvernementale systématique, a rassemblé 44% des voix en 2013 puis encore en 2017, a été dissous cette même année, ce qui a permis au parti de Hun Sen (Parti du Peuple Cambodgien) de rafler 100% des sièges à l’Assemblée nationale aux élections de 2018. L’élimination arbitraire de l’opposition en 1997 n’est rien d’autre qu’un coup d’état institutionnel contre la Constitution et contre les Accords de Paris puisqu’il a eu pour effet de ramener le Cambodge à un système de parti unique comme au temps du communisme pur et dur à l’époque de la guerre froide.

 

Un régime de type fasciste

 

Depuis l’effondrement de l’Union Soviétique et la signature des Accords de Paris sur le Cambodge en 1991 mettant fin à la guerre, et surtout depuis le coup d’état perpétré par Hun Sen en 1997 qui a jeté aux orties le chapitre “Démocratie” des Accords de Paris, le Cambodge a basculé vers un régime de type fasciste. Celui-ci, sous des couleurs cambodgiennes, se caractérise par

 

–       Un État policier

–       Un Grand Leader ou “Duce” cambodgien tout-puissant (Hun Sen), qui fait l’objet d’un véritable culte de la personnalité,

–       Un capitalisme sauvage où les plus grosses fortunes sont associées au pouvoir politique,

–       Une répression sanglante à l’encontre de l’opposition,

–       Une attaque en règle contre les syndicats ouvriers,

–       Un Roi potiche, silencieux et complice,

–       Un Clergé (bouddhique) dont les dignitaires sont complaisants envers le régime et lui sont même inféodés.

 

Dans une tribune dans Libération parue en 2011 j’avais déjà dénoncé ce “fascisme tropical” sur les bords du Mékong. J’avais évoqué les propos prémonitoires de Norodom Sihanouk qui venait d’être réinstallé sur le trône de ce qu’il appelait le “Deuxième Royaume” du Cambodge. En 1994, le monarque m’avait fait cette confidence au cours d’un entretien au palais royal où il me recevait en tant que ministre des finances : “J’ai bien peur de connaître un jour le même sort que le dernier roi d’Italie”. Nous nous rappelions qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les Italiens avaient rejeté la monarchie parce qu’ils reprochaient à Victor-Emmanuel III sa trop grande faiblesse envers Mussolini. Au-delà de son souci pour l’avenir de la monarchie, Norodom Sihanouk comparait déjà implicitement Hun Sen, l’homme fort du Cambodge, à Mussolini et il pressentait déjà le danger d’un glissement du régime vers le fascisme.

 

Royaume bananier

 

Sur le plan économique, le passage brutal du communisme au capitalisme au lendemain de la guerre froide et les privatisations sauvages au profit d’anciens apparatchiks du régime communiste ont permis, comme en Russie, l’émergence d’un État de type mafieux avec des relents fascistes. De ce point de vue, Hun Sen peut être considéré comme un “Poutine tropical”.

 

Le Cambodge est devenu un paradis pour une myriade de criminels recherchés par les polices du monde entier. C’est le havre privilégié pour toutes sortes de trafics illégaux ou illicites parce qu’ils bénéficient de la protection des dirigeants de l’Etat. Commerce de drogues, casinos sous toutes les formes, trafic d’êtres humains, blanchiment d’argent sale pour toutes les organisations criminelles de la région, le petit Cambodge brille de tous ses feux.

 

Mais pour ce qui est de la corruption gouvernementale, de l’absence de libertés et de l’évaporation de l’état de droit, le pays se retrouve en permanence au plus bas des classements internationaux établis par des organismes comme Transparency International, Amnesty International, Freedom House ou Reporters Sans Frontières. Avec l’actuel Roi Norodom Sihamoni encore plus peureux et inerte que son père Norodom Sihanouk face à Hun Sen, le Cambodge est devenu un “royaume bananier”. Oui, comme Norodom Sihanouk a voulu le souligner, le Deuxième Royaume est bien différent du Premier.

 

Développement économique trompeur

 

Hun Sen se targue d’un taux de croissance du PIB de 6 à 7% au cours des 10 à 15 dernières années. Mais cette croissance macroéconomique sur le papier cache de bien tristes réalités. Elle a donné lieu à un “développement” qui n’est ni durable ni équitable, donc forcément trompeur et fragile. Comment un tel “développement” peut-il être durable quand le Cambodge est le pays qui a connu, sur la période considérée, le plus fort taux de déforestation au monde? L’environnement, les conditions climatiques, les conditions de vie des paysans (75% de la population) s’en trouvent sérieusement affectés.

 

Beaucoup de lacs autour des villes ont été comblés pour les besoins de la promotion immobilière, entraînant des inondations inhabituelles pendant la saison des pluies et des difficultés accrues pour les segments les plus pauvres de la population urbaine.

 

Peut-on parler de durabilité quand le tissu social se retrouve en lambeaux avec le trafic des êtres humains et le développement de la prostitution qui est une “industrie” parmi les plus prospères du royaume? Où est l’équité quand le “développement” ne profite qu’à une toute petite minorité qui forme l’entourage politico-financier de Hun Sen alors que la majorité de la population continue de vivre dans une abjecte pauvreté?

 

Aucune ville au monde de la taille de Phnom Penh (2 millions d’habitants) ne compte autant de Rolls-Royces et de Bentleys car l’élite politico-financière cambodgienne aime beaucoup s’exhiber. Les injustices sociales de plus en plus criantes font craindre pour la durabilité de ce “développement” et la stabilité du régime.

 

On évoque souvent l’apparition d’une classe moyenne comme facteur de stabilité. Mais à cause de l’absence de l’état de droit et de vision à long terme de la part des dirigeants nationaux, la classe moyenne qui a pu émerger au Cambodge reste très fragile et doute à juste titre de son avenir.

 

Deux signes des temps ne peuvent pas tromper:

 

– La population cambodgienne est la plus endettée au monde en comparaison à son revenu. Les établissements de microcrédit se multiplient comme des champignons et dégagent des profits colossaux. Presque tous les foyers sont endettés jusqu’au cou. Pour la masse des pauvres, c’est la fuite en avant; on emprunte pour rembourser des dettes plus anciennes, pour continuer à survivre, et aussi pour se procurer les services –  nommés “publics” sous d’autres cieux – que l’Etat cambodgien défaillant est incapable de rendre à sa population notamment dans les domaines de la santé, de l’éducation, des transports et de l’aide sociale.

 

– Une proportion considérable de la population – phénomène jamais vu auparavant – est contrainte de quitter le pays pour pouvoir survivre dans les pays voisins comme travailleurs migrants cruellement exploités pour bon nombre d’entre eux, notamment en Thaïlande où ils sont plus de deux millions de jeunes actifs pour une population de 16 millions à l’intérieur du Cambodge.

 

Bombe à retardement

 

Après 38 ans de pouvoir absolu Hun Sen laisse le Cambodge dans un piètre état si on le compare aux pays voisins qui ont su changer régulièrement de dirigeants et sont beaucoup plus prospères et plus avancés sur tous les plans.

 

Au cours des toutes dernières années le régime actuel de Phnom Penh n’a pu se maintenir qu’au prix d’une répression politique de plus en plus dure. Celle-ci ne fait qu’accroître le mécontentement populaire et l’impopularité de Hun Sen malgré une propagande gouvernementale qui veut faire croire le contraire.

 

Dans la situation économique et sociale actuelle et derrière la violente répression politique en cours, l’héritage laissé par Hun Sen n’est pas un gage de stabilité pour le Cambodge. C’est plutôt une bombe à retardement.

 

Sam Rainsy

1 COMMENTAIRE

  1. BELLE VISION ET SUPERBE ANALYSE DE CE PETIT PAYS GANGRENE, TOUT EST VRAI POUR AVOIR VECU 5 ANNEES A PHNOM PENH…
    LA CORRUPTION EST PARTOUT, HUN SEN A DETRUIT CE PAYS QUI NE PEUT PAS SE REVOLTER SANS RECEVOIR DES GRENADES OU DES COUPS DE FUSIL….
    LES GENS SONT DE PLUS EN PLUS PAUVRES AVEC LES CREDITS GERES PAR LES OLIGARQUES DU POUVOIR QUI ROULENT EN ROLLS, FERRARI, BENTLEY ……
    AUCUNE MANFESTATION DANS LES RUES ! LES CAMBODGIENS SOUFFRENT EN SILENCE ! PAS LE CHOIX !

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