Home Accueil BIRMANIE – POLITIQUE : Retourner aux urnes ? La junte militaire n’y pense pas vraiment

BIRMANIE – POLITIQUE : Retourner aux urnes ? La junte militaire n’y pense pas vraiment

Date de publication : 04/02/2023
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Birmanie défense nationale

 

Notre ami et chroniqueur François Guilbert suit de très prés l’actualité de la Birmanie. Selon lui, la possibilité de voir les généraux au pouvoir organiser des élections est aujourd’hui très improbable.

 

A l’heure où devant les personnels des académies militaires de Rangoun il disait faire tous ses efforts pour tenir de nouvelles élections générales en août 2023, le général Min Aung Hlaing proclamait que celles-ci dépendraient de la « paix et de la stabilité de l’État ». Cet avertissement télédiffusé sur les ondes de la chaîne MRTV à la mi-décembre 2021 demeure d’actualité. Il sonne même, aujourd’hui, comme un risque de report sine die d’une démocratie multi-partis pourtant inscrite dans de multiples chapitres de la Constitution de 2008.

 

Six mois supplémentaires d’État d’urgence

 

Le 31 janvier au matin, le Conseil de défense et de sécurité nationale (NDSC) a décidé, en effet, de prolonger de 6 mois l’état d’urgence. Dans un tour de passepasse constitutionnel dont seules les dictatures font un usage immodéré, la ministre de la Justice a fait savoir que la Cour constitutionnelle pouvait considérer favorablement, vue la « situation extraordinaire » du pays, l’extension du régime d’exception instauré pourtant pour une période maximum de deux ans selon la loi fondamentale que les hommes en uniformes se disent être les seuls vrais garants. En recourant à une interprétation oiseuse de l’article 425 de la Constitution établie par les militaires en 2008, désormais on ne sait plus pendant combien de temps le pays sera administré au titre de l’état d’urgence. En tout cas une chose est sûre : exit l’obligation prévue à l’article 429 de tenir une nouvelle votation dans les 6 mois succédant à son extinction.

 

Des élections ? Pas facile d’y croire

 

S’il ne peut être encore totalement exclu qu’une consultation électorale se tienne avant la fin de l’année 2023 voire aux dates du 3ème anniversaire de la victoire dans les urnes du parti d’Aung San Suu Kyi (8 novembre 2020), la perspective semble bien ténue. Au-delà des considérations météorologiques bien plus favorables dans les derniers mois de l’année qu’en pleine saison des pluies, encore faudrait-il que l’armée se montre capable de l’organiser sur l’essentiel du territoire or, pour cela, il lui faudrait regagner militairement le terrain qu’elle a perdu au cours des 18 derniers mois. Même en recourant massivement aux bombardements aériens et aux razzias sur les villages ruraux du centre et du sud-est du pays comme elle s’y emploie depuis des mois, une telle reconquête semble bien incertaine.

 

L’objectif paraît d’autant plus inaccessible que le président de la République pro tempore, lui-même militaire (général (cr) Myint Swe), a considéré qu’il serait impératif d’installer les urnes dans au moins le même nombre de townships qu’en 2010, soit 98,4 % des divisions administratives. Une perspective bien improbable, y compris aux yeux du chef de la junte. Celui-ci a affirmé ces derniers jours que seuls 65,3 % des cantons sont sûrs à 100 %. Compte tenu de ce défaut de sécurité, il s’est fixé comme objectif d’apporter plus de stabilité à 65 townships. Le 2 février 2023, 37 de ces territoires ont donc été placés sous le régime de loi martiale. Une décision qui s’étend sur 8 des 14 États et régions du pays et pas moins de 11,2 % de ses divisions administratives. Elle militarise un peu plus encore la gestion territoriale et la justice locale. Elle vient, en outre, s’ajouter à d’autres lieux placés depuis le printemps 2021 sous ce statut, comme, par exemple, les townships de l’Hlaing Thayar et Shwepyitha dans la région de Rangoun.

 

Régime d’exception étendu

 

Autrement dit, le régime d’exception a été étendu, cette semaine, à rien de moins que 78 % des entités de l’État Chin, 57 % de celles de l’État Kayah, 30 % de la région de Sagaing et près de 20 % des régions de Bago et Magway. Une géographie qui souligne combien les autorités du Conseil d’administration de l’État ont, non seulement, peu d’emprise sur des terroirs de minorités ethniques mais aussi ceux de populations bamars. Dans ce contexte, le porte-parole du gouvernement d’opposition (NUG), Kyaw Zaw, a beau jeu de proclamer urbi et orbi que la junte vide la constitution de 2008 de son sens et ne contrôle vraiment pas le pays. L’abandon du processus électoral de la junte n’étant pas certain, puisqu’il figure explicitement dans sa Feuille de route en cinq points établie dès février 2021, le NUG s’est doté d’un Comité de travail conjoint contre le simulacre électoral auquel se sont joints des éléments du Comité central de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD).

 

Organes exécutifs remaniés

 

Pour reprendre la main une situation politique et militaire dégradée, à l’heure du 2ème anniversaire du coup d’État, l’armée a remanié des organes exécutifs (cf. Commission anti-corruption (président), Commission électorale de l’Union (5 changements), Commission de la fonction publique de l’Union (président)), le cabinet des ministres (4 entrées) et son Conseil d’administration de l’État (18 entrées – sorties). Une recomposition politico-administrative néanmoins limitée puisqu’elle concerne apparemment qu’une trentaine de personnes dont 6 % seulement sont des femmes. Bien que l’ampleur soit modeste, on peut en tirer quelques leçons.

 

Les civils au sein du SAC ont peu d’importance politique. Tous les membres civils du SAC viennent ainsi d’être remplacés à l’exception toutefois de Mahn Nyein Maung, un ancien responsable de l’Union nationale karen (KNU), et de Shwe Kyain, issu des rangs du Parti de la solidarité et du développement de l’Union (USDP), le relais historique de l’armée. Aucun représentant d’un parti ethnique ne s’est vu adjoindre un renfort ou un substitut. Dans une enceinte à nombre de membres constants, seul l’USDP a gagné un siège. Les « remplaçants » venus d’autres petits partis ethniques (ex. kachin (KSPP), pao (PNO), zomi (ZCD), wa (WNUP)) devraient se le tenir pour dit. Leurs compagnonnages partisans avec l’armée depuis 2010 les ont d’ailleurs affranchis en la matière. Mais, comme leurs devanciers, une fois évincés ils peuvent espérer se recycler si leurs parrains militaires demeurent au pouvoir. Les civils du SAC ne sont que des pions. C’est si vrai que le Secrétaire général du Congrès Zomi pour la démocratie a fait savoir à un journaliste de Radio Free Asia que son nom figurait sur la liste des membres du SAC sans qu’il n’ait été consulté. C’est dire combien les militaires peinent à élargir leurs soutiens au-delà de leurs rangs. Néanmoins ceux que l’on aspire puis rejette ne disparaissent pas, pour la plupart, du paysage politique militaire. Les civils du SAC limogés le 1er février 2023 ont été reversés dans une nouvelle instance dénommée le Conseil consultatif central du SAC. Si la liste des noms de ses 9 membres a été rendue publique, le rôle de cette nouvelle instance n’a été expliqué en rien. Il est vrai que l’ensemble des départs et des arrivées qui touchent à l’organisation du pouvoir exécutif central mais également celui des provinces n’ont pas été plus justifiés. Certains mouvements politico-administratifs de mise à l’écart s’apparentent manifestement à des processus de sanctions-promotions individuelles (ex. 3 des 4 Chiefs Ministers quittant leurs fonctions, le ministre des Affaires étrangères) voire plus collectives pour ce qui concerne les plus hauts responsables territoriaux. Plus d’un quart des Chiefs Ministers ont été relevés de leurs fonctions (États Môn, Rakhine et Shan, région de Mandalay).

 

Sauver la face des responsables

 

Si l’accession au SAC permet de sauver la face de responsables de haut rang de facto limogés comme Wunna Maung Lwin, l’officier qui vient d’abandonner le portefeuille de ministre des Affaires étrangères, et de mettre en scène un régime civilo-militaire associant des responsables de minorités ethniques tels l’ancienne porte-parole du Parti populaire de l’État de Kachin (KSPP), allié au parti militaire en 2010, Dwe B, le secrétaire du Congrès Zomi pour la démocratie (ZCD), Gin Kam Lian, et le ministre en chef de l’État de Rakhine, le docteur Aung Kyaw Min, l’instance exécutive suprême installée par les généraux putschistes demeure leur chose. Bien que le SAC soit composé de 9 militaires et de 11 civils, la stabilité de la représentation de la Tatmadaw dans cette instance, à l’exception du général Maung Maung Kyaw déjà à la retraite depuis janvier 2022, montre qui est aux commandes du pays. Les rangs protocolaires du SAC et du gouvernement le rappellent de manière très explicite. Dans les documents parus, il appert que les 10 premiers membres du SAC sont tous des officiers généraux et 9 des 10 ministres en tête de liste sont des militaires. Le régime instauré par le général Min Aung Hlaing est militaro-centré et ne sort pas de ce cercle. Les 4 vice-premiers ministres venus s’ajouter au général Soe Win sont eux aussi des soldats, tout comme les nouveaux ministres des Affaires étrangères, des Affaires ethniques et du Tourisme. Pour ce qui concerne le dernier, Aung Thaw, il est également le président de l’Association d’amitié russo-birmane ; tout un programme pour l’industrie hôtelière en crise du pays.

 

La police n’est pas oubliée à la tête du pays

 

Si les hommes de la Tatmadaw prédominent dans les institutions, son allié dans la gestion des conséquences du coup d’État, la police, n’est pas oublié dans les partages des lieux de pouvoir. Ainsi, c’est l’un de ses ex-colonels qui prend la direction de la Commission de la fonction publique de l’Union qui gère le recrutement des fonctionnaires. Une tête qui comme bien d’autres est loin d’être inconnue. Des personnalités sous sanction internationale (ex. Than Swe) ou au passé trouble (ex. le colonel Hthien Lin dorénavant Chief Minister de l’État Rakhine était en charge de la sécurité et des affaires frontalières du même État de 2011 à 2017) se voient même promus sur le devant de la scène.

 

Pour gérer et préparer l’avenir de la Birmanie, le général Min Aung Hlaing ne s’appuie pas seulement sur des hommes qui ont revêtis l’uniforme des organes de sécurité, il recourt à des personnels masculins ayant été aux manettes du temps des généraux Than Shwe puis Thein Sein, souvent des retraités, sans projets nouveaux pour le pays. La séquence politico-administrative du moment ne fait pas apparaître aux postes de responsabilités de jeunes officiers, fonctionnaires ou personnalités de la société civile. Les sexa et septuagénaires militaires constituent indubitablement le cœur du pouvoir. Enfin, comme preuve que l’organisation des élections à venir ne nécessite aucune indépendance de l’institution qui aura en charge son organisation, on ne peut que constater une grande porosité entre la gouvernance de la Commission électorale de l’Union et l’appareil du gouvernement. Mme Nu Mra Zan prend les fonctions de vice-ministre des Affaires étrangères et de la Culture tandis que son collègue U Than Win devient un membre du Conseil de la fonction publique de l’Union.

 

Conclusion : à l’échelle de toutes les instances de l’État, la gouvernance militaire s’avère bien plus instable que celle instaurée du temps des cinq ans de gouvernement d’Aung San Suu Kyi.

 

François Guilbert

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