Le 12 mai, les Philippins se sont rendus aux urnes pour des élections de mi-mandat d’envergure, considérées comme un baromètre en vue de l’élection présidentielle de 2028. À cette occasion, les citoyens ont voté pour des milliers de postes, allant des chefs de quartier aux gouverneurs, en passant par les maires et les membres du Congrès.
L’un des scrutins les plus suivis concernait les 12 sièges à pourvoir au Sénat, qui compte au total 24 membres renouvelés par moitié tous les trois ans.
Un test pour l’administration Marcos
Ces élections représentent un test politique pour le président Ferdinand « Bongbong » Marcos Jr., élu en 2022 avec la vice-présidente Sara Duterte, fille de l’ancien président Rodrigo Duterte. Leur alliance électorale baptisée « UniTeam » avait alors balayé la concurrence. Mais depuis, cette coalition s’est effondrée, donnant lieu à une lutte ouverte entre les deux clans, Marcos et Duterte, qui a largement dominé la campagne électorale, reléguant au second plan les enjeux de fond.
Parmi les principales préoccupations des électeurs figuraient pourtant des sujets essentiels : amélioration des services de santé, lutte contre la pauvreté, création d’emplois, et protection de la souveraineté nationale – notamment face aux incursions chinoises en mer de Chine méridionale, où les tensions restent vives.
Des résultats en demi-teinte pour Marcos
Malgré des sondages optimistes, l’équipe présidentielle n’a remporté que 6 des 12 sièges sénatoriaux mis en jeu. La liste soutenue par Ferdinand Marcos Jr. comprenait des figures bien connues, comme le journaliste radio Erwin Tulfo ou l’ancien sénateur Panfilo « Ping » Lacson. Ce score inférieur aux attentes fragilise le président, même si sa base reste solide.
À l’inverse, le camp Duterte tire son épingle du jeu. Quatre de ses candidats, dont le fidèle sénateur Christopher « Bong » Go et l’ancien chef de la police Ronald « Bato » Dela Rosa, ont été élus. Rodrigo Duterte lui-même a été élu maire de Davao City, son fief, en dépit des poursuites engagées contre lui par la Cour pénale internationale pour sa violente guerre antidrogue menée durant son mandat (2016-2022). Au sein de la Chambre des représentants, les alliés de Duterte, bien qu’encore minoritaires, ont enregistré des gains notables.
Le retour inattendu des libéraux
Autre surprise de ces élections : la résurgence de la faction libérale. Longtemps marginalisée, elle a réussi un retour remarqué. Deux figures de proue de l’opposition, les anciens sénateurs Bam Aquino et Kiko Pangilinan – respectivement directeur de campagne et colistier de Leni Robredo lors de la présidentielle de 2022 – ont retrouvé leur siège au Sénat avec des scores élevés, au-delà des prévisions. L’ancienne vice-présidente Robredo a été élue maire de Naga, sa ville natale. Par ailleurs, Leila De Lima, ex-sénatrice et farouche critique de Rodrigo Duterte emprisonnée pendant six ans sur des accusations contestées, a été élue à la Chambre.
Des enjeux multiples à l’horizon 2028
Pour Ferdinand Marcos Jr., l’enjeu immédiat est de conserver une majorité au Congrès afin de pouvoir faire passer ses réformes lors des trois dernières années de son mandat. Officiellement, son programme vise à consolider les avancées économiques, à poursuivre la lutte contre la désinformation, et à améliorer la transparence gouvernementale. Il devra désormais démontrer que la croissance économique, la baisse de l’inflation et les investissements étrangers attirés sous sa présidence se traduisent par des bénéfices tangibles pour la population.
Mais la bataille politique pour 2028 est déjà lancée. Le président, qui ne peut briguer un second mandat en vertu de la Constitution, laisse entendre qu’il pourrait sceller une nouvelle alliance, cette fois avec les libéraux, pour contrer l’influence grandissante du camp Duterte.
Quelle direction pour la politique étrangère des Philippines ?
L’échéance de 2028 sera décisive pour l’orientation stratégique du pays. Une victoire d’un candidat proche de Marcos ou issu du camp libéral maintiendrait probablement l’actuel cap pro-occidental : renforcement des liens avec les États-Unis, modernisation de l’armée philippine, investissements étrangers, et intégration aux réseaux de défense régionaux.
À l’inverse, un retour au pouvoir du clan Duterte – ou de Sara Duterte elle-même – pourrait entraîner un revirement diplomatique. La précédente administration Duterte avait tenté, avec un succès limité, de se rapprocher de la Chine, au détriment des relations traditionnelles avec Washington. Une telle orientation mettrait en péril l’accord de coopération militaire renforcée avec les États-Unis, pierre angulaire de la stratégie défensive actuelle du pays face aux ambitions chinoises en mer de Chine méridionale.
Les prochains défis
Malgré les résultats mitigés, Ferdinand Marcos Jr. conserve une certaine marge de manœuvre. Il pourrait former de nouvelles alliances parlementaires pour faire avancer ses projets législatifs. Son premier défi post-électoral pourrait bien être la gestion sensible du cas Sara Duterte, visée par une procédure potentielle au Sénat. Ce procès pourrait cristalliser les tensions entre les deux anciens alliés et précipiter les grandes manœuvres politiques en vue de 2028.
Chaque semaine, recevez Gavroche Hebdo. Inscrivez vous en cliquant ici.