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La mystification indienne

Date de publication : 27/10/2025
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Jean Claude Perrier et Octave Mirbeau, deux conteurs qui démêlent le vrai du faux. Une chronique littéraire de François Guilbert.

 

Journaliste et écrivain de renom, pamphlétaire et critique d’art redouté, Octave Mirbeau (1848 – 1917) est aujourd’hui un homme de lettres oublié. Avec un essai sur un pseudo récit de voyage où il s’agit de distinguer le vrai du faux, l’écrivain Jean-Claude Perrier fait revivre un auteur truculent, politiquement engagé mais également capable de facéties rares. De février à avril 1885, le chroniqueur de 37 ans qui employa bien des pseudonymes pour signer ses contributions dans la presse (ex. Alain Bauquenne, Forsan, Gardéniac…), publia dans Le Gaulois puis le Journal des débats politiques et littéraires onze articles rapportant un périple au Moyen-Orient (Egypte, Yémen), en Asie du sud (Afghanistan, Inde, Maldives, Pakistan, Sri Lanka) et du sud-est (Birmanie) qu’il n’a …jamais effectué, ni même programmé de réaliser.

 

Une affabulation racontée avec aplomb, émotion mais se tenant au cœur même de l’aire des rivalités stratégiques de la fin du XIXème siècle

 

Certes, les papiers signés Nirvana puis N. furent publiés en toute connaissance de cause par les rédacteurs-en-chef des journaux auxquels ils furent soumis mais la mystification est bluffante aujourd’hui encore par la véracité de sa teneur. Les textes sont incroyablement documentés sur les lieux « visités » et les événements contemporains qui s’y déroulent. C’est si vrai que plusieurs « interviews » de responsables politiques et religieux (ex. l’émir afghan Abdur Rahman Khan (1840 – 1901), le nationaliste égyptien Ahmed Urabi (1841 – 1911), le philosophe indien Swami Vivekananda (1863 – 1902), le prince birman Myingun (1844 – 1921)) « réalisées » par le fabulateur ont donné à connaître des points de vue factices mais des propos extrêmement réalistes et argumentés. Aucun commentateur ou lecteur de l’époque ne semble avoir décelé la supercherie alors même qu’Octave Mirbeau donnait la parole à des personnalités de renom et signait au même moment à Paris plusieurs articles sous son nom.

 

Les Lettres de l’Inde furent d’abord une entreprise jubilatoire contre un confrère détesté

 

Octave Mirbeau lança son entreprise narrative à l’encontre de Robert de Wierre de Bonnières (1850 – 1905), un poète parnassien – voyageur aux antipodes caractérielles et politiques du normand. Si à son origine le subterfuge visait à mettre à mal les scoops d’un mondain pédant voyageant lui dans les contrées décrites concomitamment par Mirbeau, au fil des chroniques, l’ami de Claude Monet, Camille Pissarro ou encore Augustin Rodin s’est révélé un fin analyste de l’Orient de son époque. Son ton s’avère aussi coloré que les toiles de ses amis impressionnistes mais il n’en est pas moins très juste pour décrire les pays traversés, la nature – le narrateur est un amateur éclairé d’orchidées -, et plus encore les événements du moment et leurs atmosphères. Certes, le propos est dans l’air du temps : patriotique, colonialiste et hostile à la Grande Bretagne mais il est bien plus que cela, tant il chronique et décrypte finement l’actualité afin de soumettre des recommandations de politiques publiques au gouvernement français, l’exhortant d’ailleurs à accorder plus d’importance au monde indien dans sa conquête coloniale.

 

Dommage que dans son enquête sur la supercherie de Mirbeau, Jean-Claude Perrier n’est pas plus détaillé comment le récit fut reçu par ses contemporains mais aussi comment le pseudo-voyageur à constituer sa documentation et forgé son point de vue. Même si l’on sait qu’il bénéficia des savoirs de François Deloncle (1856 – 1922), le journaliste – diplomate ami qui, lui, fit de longues missions en Asie et en publia des rapports circonstanciés. Fanfaron, menteur (cf. faisant référence à des connaissances linguistiques qu’il n’a pas (anglais, arabe) et à des compagnons de voyage totalement imaginaires), Nirvana et N. ayant le goût du pittoresque, de l’exotisme, montrent qu’à la fin du XIXème siècle il était possible par espièglerie, et tourbillon d’érudition et de lectures, de duper sans dommage de réputation ou de carrière les nombreux lecteurs instruits de la presse quotidienne.

 

A l’heure de l’IA et des réseaux sociaux est-il encore possible de réaliser un tel coup monté sans se faire prendre ?

 

Peut-être ! En tout cas, dans le texte déniché et commenté savamment par J-C Perrier pas d’infox. O. Mirbeau n’est pas un vulgaire plumitif. Il ne bidonne pas ses reportages puisqu’ils rendent manifestement compte des événements tous récents, voire encore en cours. L’« envoyé spécial » connaît son public. Il sait contextualiser ses rencontres, ses déplacements et ses récits. Les détails énoncés sonnent juste, d’autant plus juste qu’ils empruntent l’air du temps en faisant des parallèles japonistes à la mode, en s’intéressant aux ethnicités du sous-continent indien, aux débats sur la spiritualité orientale (ex. bouddhisme, hindouisme), la puissance culturelle chinoise, la géopolitique et les soubresauts anticoloniaux (ex. révolte des Cipayes). Bien qu’il expose parfois des généralisations erronées ou hâtives, notamment sur les castes indiennes, il pressent déjà que la destinée des pays occidentaux se joue en Orient. Une perspective au demeurant restée d’actualité !

 

Dans son imaginaire asiatique, Octave Mirbeau a accordé une place à un pays de la région peu connu des Français et documenté par eux, hier et aujourd’hui : la Birmanie

 

Il s’est ainsi employé à dépeindre les liens monastiques entre Kandy et Mandalay, toujours d’actualité ; l’influence chinoise sur le royaume, une réalité très prégnante en 2025, et le mode de conquête colonial britannique mis en œuvre « sous ses yeux » de l’Assam au bassin de l’Irrawaddy. En sachant s’appuyer sur de bonnes sources, O. Mirbeau a su décrire les luttes de pouvoir de la fin de la dynastie des Konbaung après le décès du roi Mindon Min en 1878. Il a également mis en évidence les rivalités franco-britanniques autour du dernier monarque Thibaw Min exilé à Ratnagiri (Etat du Maharashtra) en 1885. A ce titre, on y voit le rôle des comptoirs français de Chandernagor et Pondichéry où certains comploteurs birmans trouvèrent refuge face à la vindicte britannique, à l’image du prince Myingun qui finira sa vie à Saïgon en 1921.

 

Il y a 140 ans déjà Octave Mirbeau comprenait l’importance de la crise birmane dans les jeux de puissance sino-indiens, pour la première puissance mondiale du moment et le voisin siamois. Sur ce théâtre, rien n’a fondamentalement changé depuis ! C’est une raison en soi pour lire la contre-enquête de Jean-Claude Perrier et pour s’interroger sur l’éthique des reportages, le rôle que peuvent avoir des pipoteurs dans le rendu de contrées lointaines, difficiles d’accès ou troublées. En toute circonstance, le lecteur – citoyen doit demeurer et vigilant devant ses conteurs d’actualité.

 

François Guilbert

 

Jean-Claude Perrier : La mystification indienne, Octave Mirbeau voyage, Les Éditions du Cerf, 2025, 215 p, 19 €

 

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