Une chronique birmane de François Guilbert
Au-delà de son bilan humain, 17 millions de personnes touchées dans 18% des townships du pays, le séisme dit de Mandalay a des conséquences économiques considérables. Rien de vraiment surprenant : à l’échelle de l’histoire contemporaine, le 28 mars 2025, la Birmanie a connu son tremblement de terre le plus dévastateur depuis celui de Pyin Oo Lwin en 1912, voire celui d’Inwa en 1839. Les destructions ont même été cinq fois supérieures à celles provoquées par le cyclone Mocha qui endeuilla la nation en mai 2023.
11 milliards de destructions
Selon les experts de la Banque mondiale, les dommages s’élèveraient à 14 % du produit intérieur brut de l’année 2024 – 2025. Les effets sur l’inflation, près de + 40% en glissement annuel, la valeur des biens immobiliers à étages (-20 à -30%), et le taux de croissance de l’année peuvent être majeurs. N’oublions pas que le PIB réel s’est contracté d’environ 1 % au cours de l’exercice budgétaire terminé en mars 2025 du fait d’une contraction du secteur agricole due au typhon Yagi en novembre et aux inondations.
Or géographiquement, le saccage intervenu, il y a tout juste deux mois, s’est étendu tout au long d’un axe nord-sud de 460 kilomètres, courant de Singu dans la province de Mandalay à Pyu dans la région de Bago. L’ampleur des dévastations est telle que les réhabilitations à entreprendre prendront du temps. Certains experts parlent d’une décennie et il en coûtera bien au-delà des premières estimations. En attendant, selon la Croix-Rouge birmane, 206 977 personnes demeurent déplacées par le drame dont 41 731 vivent sur 135 sites temporaires.
En valeur brute, la région de Mandalay a été matériellement la plus touchée
Les dégâts dans la province de la dernière capitale royale représentent à eux seuls 50 % de la valeur de tous ceux enregistrés. Si on ajoute ceux répertoriés dans les provinces de Sagaing (2,2 milliards) et Bago (1,7 milliard), 82,7 % des ravages sont à déplorer dans trois régions. Cependant en valeur relative, le coût des destructions s’est montré le plus élevé dans l’aire de la capitale de la Birmanie. A Nay Pyi Taw, au bas mot, 19,3 % de la valeur vénale de tout l’immobilier et des infrastructures provinciales sont partis en poussière. C’est toutefois un peu moins conséquent (18 %, 10,8 %) pour tous les townships de Mandalay et Sagaing.
Tout préjugé politique vis-à-vis du gouvernement central mis à part, l’un des principaux défis de la reconstruction se jouera pour le Conseil de l’administration de l’État (SAC) dans la troisième ville du pays, la capitale inaugurée en novembre 2005 par le régime militaire du général Than Shwe. Non seulement, la junte va devoir y rebâtir nombre de bâtiments publics pour faire fonctionner son administration mais il lui faut également, urgemment, reconstruire un grand nombre de logements pour les fonctionnaires.
45,3 % de la valeur des dégâts sont constitués par de l’habitat résidentiel
Signe d’une Birmanie en manque d’infrastructures, celles-ci ne représentent dans les premières évaluations que 30,6 % de la valeur des biens endommagés. Preuve que la capitale est cependant mieux dotée que le reste du pays : Nay Pyi Taw est la seule région impactée où le coût des dégradations infrastructurelles est supérieur à celui des résidences (413 millions de dollars contre 395 millions).
Mais toute chose égale par ailleurs, l’effort de reconstruction pour les lieux de vie des fonctionnaires devra y être conséquent (37,8 % des destructions de la région-capitale relèvent de l’immobilier résidentiel) voire diligent, sauf à mécontenter un corps social indispensable à la survie du régime militaire. Il y a d’autant plus d’urgence que nombre de victimes du séisme vivent dans des maisons endommagées et réparées temporairement, fragiles au point de s’effondrer à tout nouveau choc. La saison des pluies s’installant, les précipitations et les inondations accentuent le danger dans les maisonnées devenues précaires.
Dans un pays où 120 000 maisons ont été détruites ou défigurées, le relèvement de l’habitat ne sera pas simple à opérer. Il est confié à des départements ministériels pour la plupart exsangues financièrement alors qu’il leur faut, autant que possible, rouvrir leurs bureaux, en installant en toute hâte des espaces extérieurs modulables pour le travail quotidien. Une solution précaire faite probablement pour durer des mois voire des années.
La reconstruction dépend des priorités budgétaires des généraux
Aux vu de la construction du budget de l’État, les personnels relevant directement des systèmes de force et de l’ordre régalien (ex. Défense, gestion des frontières, Intérieur) ont plus de probabilités d’être rapidement lotis et relogés que leurs homologues des départements des affaires sociales. Cela en prend d’autant plus le chemin que la commission chargée du suivi de la reconstruction a été confiée au général Maung Maung Aye, l’ambitieux ministre de la Défense aux affaires depuis le 18 décembre dernier et dont certains commentateurs le désignent comme un des successeurs possibles au général Min Aung Hlaing en 2026.
Cette priorité donnée à l’appareil de sécurité et de défense dans les politiques de reconstruction ne sera certainement pas remise en cause par les échéances politiques à venir. A l’été, une nouvelle gouvernance sera vraisemblablement mise en place, constitution oblige, pour orchestrer les élections promises par la junte en décembre 2025 – janvier 2026. Même si l’autorité intérimaire se voyait être ou affichait un profil plus « civil », elle n’en sera pas moins totalement inféodée aux chefs de la Tatmadaw et à leurs objectifs politico-militaires. C’est pourquoi, nombre d’administrateurs n’ayant pas de soutien de leur employeur pour disposer d’un lieu de vie et/ou de travail adéquat ont décidé de quitter Nay Pyi Taw pour trouver toits et soutiens chez des proches, notamment à Rangoun. Une situation qui pèse(ra) sur le fonctionnement de l’appareil d’État dans son ensemble.
Les organes centraux de l’État sont durablement affaiblis
Dans une économie centralisée et procéduralisée par les militaires, faute de ressources appropriées pour la reconstruction, les services administratifs continueront de connaître d’importantes perturbations. Elles pèsent/pèseront sur la monnaie, l’agriculture, les chaînes d’approvisionnement, l’industrie et les exportations. Cela aggravera les conditions économiques déjà difficiles et accroîtra la pauvreté. Depuis le début du drame, le SAC n’a pas pris de mesures pro-business, de relance, de soutien à la consommation et a évalué les destructions au dixième des calculs de la Banque mondiale.
Cette absence de réaction fait que l’indice des directeurs d’achat fait pour mesurer l’activité manufacturière, a plongé en avril (- 9%), se retrouvant au plus bas depuis 8 mois. Il est vrai que les plateformes industrielles n’ont pas été épargnées par la brutalité des secousses sismiques. Le redressement entrepreneurial sera, lui aussi, long et onéreux. Cette perspective n’a toutefois pas empêché nombre d’hommes d’affaires et de compagnies de se mobiliser financièrement pour venir en aide à leurs concitoyens. Ainsi, plus de 50 millions de dollars ont été immédiatement mobilisés. Cet influx monétaire est d’autant mieux venu que le SAC est impécunieux.
La junte ne dispose pas des ressources financières pour la reconstruction
Si la junte a pu bénéficier de la générosité spontanée d’une bonne partie de la communauté internationale pour venir au secours des victimes (250 millions de dollars, les Européens étant les principaux donateurs), elle ne disposera pas de financements extérieurs en milliards de dollars pour la reconstruction. De son voyage à Moscou, le général Min Aung Hlaing n’a pas rapporté le moindre kopeck, ni de promesses.
A ce stade, seule la Chine parle d’aides à la reconstruction mais sans en préciser les contours, les modalités et la valeur. A n’en pas douter, Pékin se montrera très transactionnel en la matière. A regarder le nombre des édifices en ruines réalisés par les Chinois, les services de la junte seraient bien fondés à examiner avec attention la qualité des offres de service à venir des firmes de la République populaire. Pas sûr toutefois que le conseil militaire ait les moyens de repousser les propositions du grand voisin septentrional.
Sur le plan interne, le SAC doit déjà compter avec un déficit budgétaire global estimé à 5,4 % du PIB. Sauf à jouer de la planche à billets et de la pression fiscale (21% des entreprises paient des impôts, deux fois moins qu’avant le putsch), le SAC n’a pas et ne disposera pas des ressources pour redresser le pays et rétablir les infrastructures mises à bas. La catastrophe a exacerbé ses besoins criants, mais a également laissé 2 millions de personnes supplémentaires dans un besoin urgent d’assistance et de protection.
Au total, ce sont plus de 6,3 millions d’individus qui ont besoin d’évergésie dans les zones les plus meurtries par la catastrophe.
Une situation qui pourrait empirer encore si les 3,5 millions de travailleurs identifiés dans la zone du sinistre par une étude de l’Organisation internationale du travail ne voient pas leurs revenus se redresser. Les Birmans sont confrontés à des pertes de revenus potentielles de 36,8 millions de dollars par jour. La consommation des ménages va en s’affaissant (Mandalay : – 31,7%, Sagaing : -28,7 %, Nay Pyi Taw : – 24,7 %), pénalisant en premier lieu ceux qui sont déjà parmi les plus fragiles en villes comme dans les campagnes car on observe d’importantes perturbation dans les chaînes d’approvisionnement agricoles. Décidément, la Birmanie n’est pas près de sortir de la polycrise dans laquelle l’a plongé le coup d’État du 1er février 2021.
François Guilbert
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