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D’or et de jungle

Date de publication : 23/09/2025
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Livre D’or et de jungle

 

Le romancier-aventurier Jean-Christophe Rufin raconte Brunei, une chronique de François Guilbert.

 

Pour lire un « bon » livre sur le sultanat de Brunei mieux vaut s’en remettre le plus souvent à des récits romancés et de fiction. La littérature académique sur les thèmes politiques et économiques sur le pays est rare et à bien des égards parcellaires. Elle ne saurait notamment aborder le sujet sensible de la famille régnante de manière trop documentée.

 

A l’heure où le vingt-neuvième souverain Hassanal Bolkiah fêtera le 4 octobre sa 58ème année de pouvoir, le récit de l’académicien – aventurier Jean-Christophe Rufin est un moyen bien pratique pour dépeindre les forces et les faiblesses de l’État devenu en 1984 le 6ème membre de l’Association des nations d’Asie du sud-est. Certes, le fil conducteur du manuscrit ne peut être du goût de Bandar Seri Begawan puisque la nation brunéienne a été choisie comme le lieu idoine pour livrer « clefs en main » le pouvoir central au bon vouloir d’une grande entreprise californienne du numérique.

 

L’intrigue est particulièrement bien ficelée

 

Elle ouvre des débats politiques vertigineux sur la capacité de certaines entreprises à « posséder » un État via une supériorité numérique, à disposer de moyens militaires de projection et à se nourrir de services de renseignement performants entièrement à leur disposition. Le scénario est rendu d’autant plus crédible qu’il met en scène des personnages réels au cœur du pouvoir exécutif voire des réseaux d’opposition.

 

Le modus operandi est lui aussi crédible, y compris dans ses recours à la violence. J-C. Rufin s’est documenté sur les barbouzeries de certaines sociétés de sécurité à travers le monde. On croise ainsi le fils bien réel de Margaret Thatcher, lui ayant été embarqué avec des mercenaires sud-africains dans une tentative de coup d’État en Guinée équatoriale en 2004 ou encore l’ex leader du Malawi Hastings Kamuzu Banda (1964 – 1994) obsédé par la possibilité d’être un jour renversé par la force.

 

L’ex-ambassadeur de France au Sénégal (2007 – 2010) et neurologue s’est également intéressé aux intentions libertariennes d’entrepreneurs richissimes cherchant à disposer de leur État (cf. la campagne pour l’indépendance de la Californie menée en 2014 par l’entrepreneur de la Silicon Valley Shervin Pishevar).

 

Mais avec malice, il s’est surtout posé des questions très pratiques sur le processus de prise du pouvoir par des mercenaires : faut-il s’appuyer sur un État failli ou un État stable ? Privilégier un partenaire « beaucoup plus faible » économiquement que l’acheteur ? Un pouvoir parlementaire fragmenté ? Une démocratie gangrénée préalablement ou un régime autoritaire ? Quels sont les inconvénients politiques et opérationnels à mobiliser les minorités opprimées ? Faut-il recourir au sabotage et à des infox ? Serait-il possible de s’en prendre à des États à forts enjeux stratégiques tel le Vietnam ? Quand et comment doit-on rémunérer la société qui fournira l’État-dominé ? Quel type d’entreprise est aujourd’hui capable de « mettre à disposition » un appareil d’État fonctionnel dans son ensemble ? Faut-il privilégier une Révolution ou se contenter d’un ébranlement sociétal ? Si vous savez répondre à ces questions et à quelques autres encore vous voilà paré pour participer au montage d’un putsch.

 

Une lecture à suspense nourrit d’exemples passés

 

On s’amuse à suivre les méandres des réflexions sur pourquoi cibler en Asie – Pacifique le sultanat de Brunei plutôt que la Birmanie, l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines ou encore l’un des territoires d’Océanie. Un coup d’État, c’est une technique et une histoire. Pour le réussir, il faut un peu de chance mais surtout généralement des préparatifs méticuleux. Le récit de J-C. Rufin recèle tout cela et de nombreuses descriptions de la géographie urbaine et routière de l’île de Bornéo.

 

Sur un territoire grand comme le département de la Corrèze, l’ex-cofondateur de Médecins sans frontières a pris soin de mener son lecteur à Temburong ou Miri ; de lui faire franchir les grilles du palais royal à l’heure de la grande fête nationale de l’Hari Raya (Aïd) ; de lui parler de la constitutionalisation de la charia, de la liste de la succession filiale du sultan quasi-octogénaire, des Malais de Brunei, des Ibans, des Chinois dans leur apatridité, du centre local d’aguerrissement des commandos britanniques et des soldats gurkhas ; d’évoquer la rébellion du Partai Rakyat Brunei conduite par Azahari au début des années 60 ; de l’inciter à (re)lire les écrits de Trotski et plus encore de l’historien américain Edward Luttwak (Coup d’État : A Practical Handbook, 1968) ou l‘italien Curzio Malaparte (Technique du coup d’État, 1931).

 

Une somme de détails et d’informations nous abreuvent, sans que cela ne soit pesant quoi que ce soit. Ils donnent de la vraisemblance à un texte qui s’apparente, à vrai dire, à un excellent scénario cinématographique. Somme toute dans ce roman d’aventure il s’agit de piquer son État à l’homme longtemps considéré comme le plus riche de la planète.

 

Jean-Christophe Rufin : D’or et de jungle, Calmann Lévy, 2024, 443 p, 22,50 €

 

François Guilbert

 

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