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Groenland, le pays qui n’était pas à vendre

Date de publication : 02/11/2025
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Le Groenland, domino asiatique, une chronique littéraire de François Guilbert

 

Comment s’y prendre aujourd’hui pour s’emparer d’un État ? L’académicien Jean-Christophe Rufin suggère dans son roman D’or et de jungle de confier cette tâche à un entrepreneur de coup d’État. Il choisira pour son client et, en fonction de ses désidératas, le pays cible. Ensuite, il se chargera de trouver toutes les ressources humaines compétentes pour mener à bien le projet d’appropriation.

 

Son compatriote Frédéric Ploton alias Mo Malø imagine, lui, un scénario d’acquisition par la voie d’une vente aux enchères très ordonnée d’un État souverain. Il l’applique à un Groenland devenu indépendant mais rapidement impécunieux après que l’allocation annuelle danoise se soit tarie d’un coup et que le territoire ait fait le choix environnemental stratégique de geler ses exploitations minières.

 

Si le Kalaallit Nunaat existe bien, ce roman est une pure fantaisie dystopique

 

Le récit est d’autant plus convainquant que l’on sait ô combien le président Donald Trump s’est fixé pour objectif d’acquérir à 100% et au plus vite le pays le moins densément peuplé du monde. Seulement voilà, les confins au monde arctique aiguisent les appétits au-delà même des Etats-Unis. Dès lors, pourquoi ne pas imaginer une adjudication réunissant quatre États rivaux : l’ex-puissance tutélaire à laquelle viendrait s’ajouter Moscou, Pékin et bien évidemment Washington, toutes les capitales étant appelées, ici, à se prononcer en cinq heures de temps ?

 

Mais au fait combien peut valoir présentement à l’achat le Kalaallit Nunaat ? Quelques dizaines de millions d’euros ou plusieurs centaines de milliards pour un terroir recouvert à ce jour de 85% de glace ? Si à la valeur stratégique incontestée du territoire s’ajoute celle des ressources terrestres et sous-marines, le montant à payer ne peut immanquablement que s’envoler. Certaines estimations de l’exploitation des sous-sols groenlandais laissent espérer jusqu’à 200 milliards, une « indemnité » bien loin de la peccadille des 10 000 dollars envisagés très officiellement en 2025 par le 47ème président états-uniens pour chacun des 56 000 Groenlandais ou encore les 100 millions offerts par son prédécesseur James Pollock au Danemark en 1846.

 

Dès lors, peut-on envisager un prix plancher en deçà duquel la vente serait un non-sens ? L’auteur a décidé de le fixer à hauteur de 50 milliards. La somme peut paraître astronomique mais, à la vérité, elle ne représente que 12 % du PIB danois, 4 à 6 fois moins que ce qu’a coûté la guerre d’Ukraine à la Russie de 2022 à 2025, un cinquième du dernier budget militaire de la Chine, un tiers des dépenses consacrées annuellement à la protection de l’environnement par la première puissance d’Amérique du nord ou encore de la capitalisation d’Apple.

 

Au-delà de la bataille de gros sous qui s’engage en particulier entre la Chine de Xi Jinping et les Etats-Unis de Donald Trump, le reste du monde, États et citoyens, est rivé devant ses écrans pour se repaitre des annonces fracassantes successives des leaders s’arrachant sans vergogne territoires, ressources, femmes et hommes. Resterions-nous passifs devant les appétits de tels ogres et les stratégies d’États rapaces pouvant même s’allier pour dépecer un pays fragile ? Espérons que non ! Mais qui sait !

 

Le polar de Mo Malø est l’occasion de revenir sur les nombreux aspects honteux de la gouvernance coloniale danoise

 

Sa brutalité n’a eu rien à envier aux politiques impérialistes américaines, européennes ou nippones dans le passé. Les déplacements d’enfants « danifiés » de force, les stérilisations massives de milliers de jeunes Groenlandaises sur plusieurs décennies ou encore l’exploitation secrète de la cryolite au seul profit de Copenhague surprendront plus d’un lecteur. Il en sera de même à l’évocation du rôle des narcotrafiquants canadiens depuis le détroit de Davis et la mer du Labrador ou encore devant le nombre exorbitant des Groenlandais se suicidant chaque année.

 

Si le bilan colonial danois n’est pas toujours réjouissant quel serait celui d’une puissance acheteuse se souciant, elle aussi, bien peu des autochtones ? Mo Malø décrit avec à propos les manœuvres géopolitiques possibles des payeurs mais habilement il aborde les stratégies de conquête du point de vue des populations de Nuuk, des villes et villages du Kalaallit Nunaat ; un angle auquel la Maison Blanche, le Kremlin et Zhongnanhai n’ont que faire. Dans cette farce sordide, le narrateur a veillé avec méthode à préserver quelques règles de droit puisque la vente est censée s’effectuer en conformité avec l’article 1 de la charte des Nations unies, une préservation de la démocratie parlementaire locale, et un certain respect du peuple autochtone et de ses pratiques ancestrales.

 

Le livre est trop bref pour savoir comment et à quelles fins serait utilisée la manne financière versée mais il pose savamment des questions géopolitiques, notamment sur le triangle Etats-Unis – Chine – Russie et une Europe plus fédérale. Si Washington l’emporte quel serait à moyen – long terme les avantages acquis sur la Chine communiste et une Russie demeurant dans un impérialisme post-soviétique ? Que provoquerait sur le monde l’émoi de voir happer un État souverain par une hyperpuissance prédatrice ? Au fond, en soulevant des questionnements politiques, institutionnels et moral, Mo Malø se fait lanceur d’alertes.

 

Pour la stabilité du monde et de l’Asie – Pacifique, il serait bon de l’entendre, quitte à se délecter d’un thriller bien ancré dans l’actualité nourrie par le fantasque Donald Trump. En tout état de cause, la bataille D. Trump – Jens-Frederik Nielsen (le trentenaire premier ministre groenlandais en fonction depuis mars 2025) ne faisant que commencer, autant en connaître mieux les tenants et les aboutissants, y compris au travers d’une lecture romanesque bien ficelée.

 

François Guilbert

 

Mo Malø : Groenland, le pays qui n’était pas à vendre, Édition de la Martinière, 2025, 175 p, 17,50 €

 

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