
Le journal de campagne photographique d’une combattante, une chronique de François Guilbert.
Khin Sandar Nyunt est une photographe-documentariste qui a été autorisée, début 2024, à accompagner des combattants karennis sur la ligne de front. Non seulement elle les a suivis sur le champ de bataille, mais elle a également pu assister aux réunions de planification et de débriefing des combats. Elle a ramené de ce séjour de deux mois un long et détaillé journal de campagne. Jour après jour, elle y a transcrit le déroulé des affrontements, leurs incertitudes et les montagnes russes émotionnelles qu’ils suscitent chez les personnes engagées dans une lutte où la mort rôde en permanence.
Pour les soldats des Forces de défense des nationalités karennies (KNDF), les pertes ont été très lourdes lors de la campagne qui s’est étirée du 10 janvier au 12 février 2024. Les tués et les blessés ont également été nombreux dans les rangs de la Tatmadaw, comme en rend compte la diariste, y compris en évoquant le sort des prisonniers et des fuyards.
La guerre civile se joue jour et nuit
Pour conquérir la région de Shadaw, à proximité de la frontière thaïlandaise, plusieurs centaines d’hommes et de femmes ont été engagés. C’est leur quotidien que raconte la reporter. Elle partage leurs espoirs et leurs idéaux, tout en laissant transparaître un projet politique plus « secret », qui découle autant de la lutte contre un régime militaire putschiste honni que de la (re)conquête rêvée d’un État Karenni souverain, tel qu’il s’était manifesté avant l’indépendance de la Birmanie en 1948.
Au-delà de cette ambition politico-territoriale qui anime l’autrice, l’ethnographe trentenaire dépeint un combat sans merci contre ceux qu’elle dénomme les « chiens » de la junte. D’un côté, on perçoit des forces de la résistance multipliant les embuscades meurtrières tendues aux convois venus en renfort d’un camp de la Tatmadaw, encerclé par des snipers et quotidiennement bombardé par des drones. De l’autre, la Tatmadaw recourt plusieurs fois par jour à des bombardements aériens pour desserrer l’étau des KNDF.
À raison de près d’une douzaine de largages de bombes par raid, les bilans sont lourds mais limités par les capacités des insurgés à intercepter les communications ennemies et par l’action de guetteurs postés en amont pour donner l’alerte salvatrice. Manifestement, de nombreuses attaques air-sol de la Tatmadaw sont programmées pour terroriser et tuer en fin de journée et au cœur de la nuit, afin de ne laisser aucun répit aux assaillants.
Un témoignage unique sur une période longue de la ligne de front
Khin Sandar Nyunt n’y cache pas ses émotions, ses peines et ses joies. Mais elle admet devoir adapter ses supports rédactionnels (audio, écrits, photos) à chaque événement. La reporter-citoyenne reconnaît humblement être incapable de photographier les dépouilles de ses connaissances. Ses clichés rapportés sont en noir et blanc, y compris ceux pris dans la luxuriante nature montagneuse des vallées de la Salween.
Si l’autrice a pris grand soin de s’autoprotéger des affres de la guerre, son récit n’est pas édulcoré pour autant. Cruautés et humanités s’entrelacent pour raconter la saisie d’un territoire aux mains de la Tatmadaw depuis 1969. Ce témoignage de première main plonge au plus près des combats et des lieux de vie de l’arrière. Même si les événements décrits ont plus d’un an, ils rendent compte avec précision de la réalité actuelle des conflits armés dans les États Kayah et Kayin. Les méthodes restent les mêmes des deux côtés, avec leur lot de victimes civiles collatérales et de crimes de guerre.
Un livre en deux volets birman et anglais, en attendant un film
Afin que le conflit ne soit pas oublié du plus grand nombre, notamment de l’autre côté de la frontière, l’Alliance française de Chiang Mai a organisé du 25 au 31 octobre une exposition relatant l’histoire du manuscrit. Ont été ainsi présentés au public des photographies du reportage, mais aussi quelques trophées du terrain. Cet événement a permis de donner quelques échos, notamment médiatiques, à un livre rare tiré à seulement une centaine d’exemplaires.
Mais il ne s’agit que d’une première étape : Khin Sandar Nyunt s’est attelée à la réalisation d’un film avec les rushs et les témoignages qu’elle a assemblés pour raconter, comme elle dit, la « guerre par le bas ».
Khin Sandar Nyunt : Purple Flowers Will Bloom – Ploy Printing House, Chiang Mai, 2025, 200 p.
François Guilbert








