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THAÏLANDE – SOCIÉTÉ : Le Rod Faï Night Market

Journaliste : Gabriel Bertrand Date de publication : 07/12/2017
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Rod Faï Night Market

 

Le Rod Faï Night Market, dans la périphérie de Bangkok, propose des centaines d’articles vintage. Au milieu des stands sont exposées d’authentiques Américaines des années 1940 à 1960. Leur état exceptionnel est le travail d’un collectionneur passionné et de ses deux mécanos qui les retapent et les bichonnent comme de vraies demoiselles. Une seule consigne : ne touchez qu’avec les yeux !

 

Avant d’être remis en état, cette Chevrolet Fleetline de 1942 (à droite) et un Chevrolet Truck de 1945 (à gauche), deux modèles rarissimes, prennent le soleil dans l’un des hangars (photo : Pascal Quennehen)

 

Derrière le Seacon Square, l’un des plus grands malls du pays, se cache un autre univers où le temps semble s’être arrêté. Au marché de nuit de Rod Faï, au milieu de grands hangars en tôle, on pourrait se croire sur le plateau de tournage d’un film des années soixante.

 

La cinquantaine de voitures d’époque y sont pour quelque chose. Entièrement refaites, elles rivalisent toutes de beauté avec leurs couleurs éclatantes et leurs courbes félines : Chevrolet, Cadillac, Ford… Le voyage dans le temps remonte jusqu’à 1927, avec cet étonnant dragster sorti tout droit de Tintin au pays des Soviets. Une antiquité qui roule de nouveau, grâce aux soins – et aux investissements – du collectionneur Phairoj Roikeaw, propriétaire des voitures et du marché…

 

Ce grand gaillard barbu, la quarantaine, fait partie de ces passionnés dont la fortune permet quelques folies. Comme l’acquisition de toutes ces antiquités sur roues, repeintes et remotorisées de A à Z. En plus des quarante-neuf voitures – toutes en état de rouler – exhibées à Rod Faï, Phairoj possède une centaine de motos et de scooters vintage, de la Harley Davidson, qui ferait pâlir d’envie n’importe quel biker, à la Triumph, en passant par des modèles de Piaggo de plus de soixante-dix ans. Tous sont exposés au public, à condition de ne toucher ces petits bijoux qu’avec les yeux !

 

Sous une couche d’humilité feinte, on peut déceler une pointe de fierté dans le regard de Phairoj lorsqu’il évoque sa collection. « J’aime l’idée de partager ce qu’il me plaît », avoue-t-il. Un de ses mécanos témoigne : « Ce qui fait vibrer le boss, c’est de voir l’émerveillement dans les yeux des gens ». Il existe deux étapes majeures chez un collectionneur. Après un temps d’acquisition, le plaisir de la possession matérielle s’estompe. Arrive alors le temps d’exposition, où le collectionneur veut faire partager ce qu’il accumule depuis des années. Phairoj en est arrivé là. Il achète moins, ou en tout cas ne revend plus.

 

Mais la présence de ces antiquités a peut-être aussi une raison plus commerciale. Si elles ne sont pas en vente, les voitures donnent au marché de nuit de Rod Faï une ambiance envoûtante et offrent une belle attraction aux curieux. Lesquels iront peut-être acheter une bricole dans l’un des stands du marché, comme une Cadillac miniature…

 

Rod Faï comprend des dizaines de boutiques ayant pour la plupart en commun le vintage. Outre les vêtements et accessoires de toutes sortes, on peut y trouver de vieux appareils photo, des vélos, des jouets, des affiches… Le marché compte bien sûr de nombreux stands de restauration. En tout, sa surface est équivalente à celle de treize terrains de football. De quoi s’y perdre…

 

Si Rod Faï se traduit littéralement par « véhicule de feu », nom donné aux locomotives lorsqu’elles fonctionnaient encore au charbon, c’est parce que le marché loue des terrains à la State Railway of Thailand, les Chemins de fer thaïlandais. Ouvert depuis seulement cinq ans, l’histoire du marché est intimement liée à celle de Phairoj Roikeaw.

 

A 17 ans, alors qu’il n’était pas encore multimillionnaire, Phairoj travaillait au marché d’antiquités de Klong Thom, à Chinatown. Il y découvre alors la culture américaine via la musique, « Metallica, Miles Davis, B.B. King… », et le cinéma : « tous les films de Clark Gable et Sean Connery ». Mais le film qui le marque tout particulièrement, c’est Perfect World de Clint Eastwood (1993). Dans ce road movie, les voitures des années soixante sont omniprésentes à l’écran, notamment la Ford Fairlane que conduit Kevin Costner.

 

Alors que la passion de Phairoj s’éveille, il va rapidement faire fortune grâce à une idée de génie : reproduire des meubles anciens. Phairoj rencontre le succès, quitte Klong Thom et s’installe à Chatuchak. Mais l’ambition qui le caractérise le pousse vite à investir dans son propre marché où le « vintage », à savoir tout ce qui provient du siècle dernier à un prix plus accessible qu’une antiquité, constituerait l’originalité du lieu.

 

En 2011, il loue donc pour une durée de cinquante ans une parcelle de terrain à la SRT et inaugure le Train Night Market. Son marché prend rapidement de l’ampleur, à tel point qu’un deuxième Rod Faï a ouvert ses portes il y a deux ans, près de la station de métro (MRT) Rama 9. En parallèle, sa collection ne cesse de s’agrandir.

 

Entre brocantes et sites de revente en ligne

 

Où se procure-t-il ces pièces introuvables ? Comme tout bon collectionneur, Phairoj a ses adresses secrètes. Il se débrouille pour récupérer des voitures américaines importées lors de la présence militaire américaine en Thaïlande pendant la guerre du Vietnam, entre 1961 et 1976.

 

Les taxes sont beaucoup trop élevées pour imaginer les importer aujourd’hui des Etats-Unis. Alors il récupère des carcasses et leur redonne vie. Les innombrables pièces détachées nécessaires à la renaissance de ses Cadillac et autres, Phairoj les déniche sur Ebay. « On trouve tout ce qu’il faut sur internet », assure-t-il.

 

Deux mécaniciens habillés en ouvriers français des années cinquante, avec la casquette et le bleu de travail, travaillent à temps plein pour le collectionneur. Ils sont capables de retaper n’importe quel modèle. Passionné jusqu’au bout des ongles, le « boss » a tout du collectionneur. La connaissance avant tout, acquise après des années d’achats et de revente. A la moindre évocation de l’un de ses modèles, il répond avant tout par la date de fabrication : « Chevrolet Impala…1967. Ford Galaxy 500… 1964. Cette chaise ? 1971 ».

 

Les collectionneurs ont souvent cette fascination pointue pour « l’année de naissance » d’un objet. En bon père, Phairoj connaît l’âge de chacun de ses petits bébés. Un papa aimant donc, mais aussi protecteur : « Personne ne touche à mes voitures, hormis mes mécanos et moi. Je suis le seul à les conduire, une fois qu’elles sont remises en état », précise-t-il.

 

Parmi les quarante-neuf modèles exposés à Rod Faï – Phairoj en posséderait le double –, se trouvent des perles inestimables d’une grande rareté, comme cette Lincoln Continental des années quarante, estimée à plus de 200 000 dollars. Ou cette Cadillac 1960 au rouge éclatant, dont il n’existe que deux exemplaires en Thaïlande. « L’autre, c’est le roi qui l’a », glisse le collectionneur avec un sourire.

 

« La mode, c’est ce qui se démode »

 

Sa passion ne se limite pas qu’aux véhicules : l’endroit est un formidable concentré d’objets insolites, comme ce piano à manivelle sorti d’un western, ces projecteurs de cinéma ayant connu l’âge d’or hollywoodien, ces journaux allemands annonçant le début de la Première Guerre mondiale, ou, plus étonnant encore, ce confessionnal cabossé de deux mètres de haut.

 

Chaque année, Phairoj assouvit ses envies de brocantage en se rendant quelques jours en Italie et en France. Il a ses adresses à Paris, Amiens et Lille où il peut compter sur la grande braderie annuelle.

 

Ainsi, en se baladant à Rod Faï, on peut trouver des lampadaires parisiens d’avant-guerre, des pompes à essence Total rouillées, des parcmètres rayés – en francs bien entendu –, le tout sous le regard souriant d’un Bibendum Michelin à taille humaine.

 

« La mode, c’est ce qui se démode, aime à répéter Phairoj avec un air de philosophe. Le rapport au passé est différent en Europe. Ici, les gens ne s’intéressent pas autant aux objets qui ont vécu. Mes meilleurs clients sont des Occidentaux, des Chinois, des Hongkongais », constate-t-il.

 

Pourtant, le succès du lieu tend à prouver le contraire. Le marché Rod Faï est le seul marché vintage de cette envergure et expose la plus belle collection de voitures du pays. Va-t-elle s’agrandir ? « A priori non, tranche le boss. Cette année, j’ai pris une résolution : je n’achète plus de voitures, j’en ai déjà trop. Bon, j’avais déjà dit la même chose l’année dernière…»

 

Au marché de Rod Fai, certains hangars ont des allures de western… La publicité vintage en plus. La collection ne se limite pas qu’aux quatre roues. Certains Piaggio datent de 1946, année de lancement du célèbre Vespa.

 

Gabriel Bertrand

 

Photos : Pascal Quennehen

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