Le magazine français Paris Match consacre un article à l’île de Bali, confrontée aux ravages du surtourisme et à une pollution croissante. Nous vous en proposons un extrait, et vous encourageons à lire l’article complet dans Paris Match, ainsi qu’à vous abonner à la publication.
Par Loïc Grasset
Voilà 30 ans, il y a un siècle, une éternité, tout n’était qu’allitération de verts à Canggu : émeraude, chartreuse ou malachite. Ne vous chatouillait l’ouïe que le frisottis du vent sur les herbes des rizières ou le froufrou d’un zéphyr tiède sur les frondaisons des calebassiers. D’aucuns, téméraires, s’aventuraient, le soir, sur les sentes en latérite, pour contempler un soleil orange sanguine se coucher sur les plages de sable noir de ce village de pêcheurs de Bali, l’île des dieux. Si bien nommée. Aujourd’hui, Canggu est synonyme de barouf et de chaos. Bimbos polytatouées en bikini, juchées, sans casque, sur des scooters, pick-up toussoteux, camions qui crachent d’épaisses volutes de fumée noire, tohu-bohu du diable.
Les routes et les venelles sont saturées du soir au matin. Les rizières ont cédé la place à des bars à matcha, des ateliers de Pilates ou des gargotes chics qui servent des Espresso Martini sur fond de musique électro. Comme à Paris, Miami ou Porto Cervo. En contrebas d’un mamelon où s’élèvent une dizaine de casemates en béton gris souris, Agus, 72 ans, et Wita, 50 ans, visages parcheminés par une vie sous le cagnard, s’arc-boutent pour désherber, piquer et manucurer des pousses de riz. Un travail harassant placé sous la haute protection de la déesse hindouiste Dewi Sri, symbole de la fertilité.
Car, à Bali, le riz, c’est du sérieux. Il apparaît dans tous les repas et les offrandes quotidiennes.
Il est consommé sous toutes ses formes, blanc, gluant, frit, bouilli et mariné dans diverses sauces. Le système de plantation est l’une des formes d’agriculture les plus anciennes et les plus sophistiquées de l’humanité. Et détient même le statut de paysage culturel classé au patrimoine mondial de l’Unesco.
«Au début des années 2000, nous avions en fermage 200 hectares de rizières en terrasse contre à peine une dizaine aujourd’hui, explique Agus. Le reste a été transformé en villas ou en coffee shops. Nous continuons parce que c’est la tradition, un labeur sacré depuis des générations. Mais on n’en vit plus : 2 millions de roupies par mois, soit 112 euros. Nos enfants ne feront plus ce métier. C’est un héritage ancestral qui disparaît », déplore-t-il.
À l’orée du XVIIe siècle, les premiers explorateurs de Bali, hollandais ou britanniques, évoquent un enchantement, la quintessence de la beauté et du mystère. Avec son hindouisme syncrétique, son théâtre d’ombres, et ses traditions qui se transmettaient non par écrit mais par des danses aux mouvements subtils, l’île les subjugue.
« Quand je suis arrivé en 1975, tout ici était magique, se souvient le Français Jean Couteau, ethnologue, sage, qui vit en communion avec l’île. Mes sens étaient en éveil permanent avec cette musique omniprésente, des cérémonies de danses spontanées, aucun touriste, pas de circulation, juste des chemins en terre battue. La terre n’était pas une marchandise. “Tu veux une maison ? Installe-toi là”, me disait-on. »
C’était avant que ceux qui viennent chercher ici le paradis n’y apportent leur enfer : matérialisme, cupidité et mocheté.
Île de carte postale, Bali a été idéalisée dans un film comme « Mange, prie, aime », sorti en 2010. Une comédie à l’eau de rose dans laquelle une Américaine sacrément mimi, un peu coincée mais en quête de sens (Julia Roberts), tombe raide dingue d’un bel hidalgo, balinais d’adoption (Javier Bardem). Et elle abandonne notre monde civilisé pour vivre de yoga et d’eau fraîche dans une forêt enchantée. Le mythe est aujourd’hui entretenu par les influenceurs (75 millions d’abonnés pour le #Bali) qui y mettent en scène leur vie de bohème sous les palmiers : eaux claires, sable corallien et noubas du tonnerre.
Hélas, les paradis ne sont que des perfections fragiles dans un monde imparfait. Surtourisme, pollution, nappe phréatique à sec… Bali n’a plus rien du jardin d’Éden tant fantasmé…
L’article est à lire en intégralité sur le magazine Paris Match.
Chaque semaine, recevez notre lettre d’informations Gavroche Hebdo. Inscrivez vous en cliquant ici.