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Voilà au moins un titre de livre qui a le mérite d’être modeste. Plutôt que de raconter son (très) pénible trimestre passé à diriger le gouvernement français entre septembre et décembre 2024, Michel Barnier a décidé de se tourner vers les Français. « Ce que j’ai appris de vous » (éd. Calmann-Levy) est donc composé d’une succession de courtes chroniques, fragments de vie d’un politicien professionnel qui a passé sa vie à se faire élire dans son département de Haute-Savoie, avant de migrer vers Bruxelles puis d’affronter les Britanniques pour négocier le Brexit.
J’ai plusieurs fois rencontré Michel Barnier, lorsqu’il officiait à Bruxelles comme commissaire européen chargé des Services financiers. Le Royaume-Uni n’avait pas encore décidé de divorcer avec l’Union. Barnier regardait la Suisse et sa place financière avec énervement. Le secret bancaire était dans son viseur. Touché, coulé : la crise financière de 2008-2009, et les menaces des États-Unis, ont fait sauter ce trou noir fiscal dont s’accommodaient fort bien des pays comme la Belgique, le Luxembourg ou les Pays-Bas.
Pourquoi je parle du livre de Barnier ici, en pleine tourmente guerrière au Moyen-Orient ?
Parce que cet homme qui n’a pas abdiqué son rêve présidentiel rend les Français sympas. Bizarre, non ? Voici un élu qui aime ses électeurs, et qui se moque au passage de certains travers nationaux, comme l’arrogance des dirigeants tricolores. « Dites bien à Jacques Chirac qu’un président français ne devrait pas faire la leçon au président des États-Unis », lui confia un jour le général Colin Powell. Succulent, à l’heure où beaucoup d’Européens se prosternent devant Donald Trump.
Dommage que Michel Barnier manque d’humour. Dommage qu’il ne soit pas un tribun. L’homme a la carrure du gaulliste. Il aime les gens et il le dit. Il n’est pas sorti du moule des assistants parlementaires apparatchiks devenus politiciens professionnels (à l’inverse de Bruno Retailleau, Gabriel Attal ou Olivier Faure). Il pourrait être un président sympa. Mais il est vrai qu’avec Chirac, le pays a déjà donné. Et on a vu le résultat.
Bonne lecture, dans les neiges savoyardes !
(Pour débattre: richard.werly@ringier.ch)
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Les joies de l’écriture chez les hommes politiques semblent être un exercice bien français, enraciné depuis longtemps. De quoi est-il le symptôme ? Le phénomène, à l’ère des médias de masse, revêt une dimension renouvelée qui implique trois protagonistes : l’auteur, le destinataire et l’intermédiaire — ce que, dans l’Église catholique, on nomme le prêtre, ici le journaliste.
Dans le cas qui nous est soumis, il s’agit d’un candidat potentiel à l’élection présidentielle prévue en mai 2027. Ce cas doit être distingué de ceux qui ne briguent aucun mandat, dont l’écriture est plus rare, ou de ceux situés à un étage inférieur des compétitions électorales. Mais dans tous les cas, la recherche d’un statut d’écrivain — il faudrait plutôt dire d’« écrivan » — est manifeste. Sans doute faut-il voir dans cette entreprise une quête de légitimation d’actions passées ou à venir. Une légitimation que l’élection ne saurait à elle seule conférer, et qui s’inscrit dans une certaine prise de distance à l’égard des paramètres démocratiques. Quel surplus ? Celui du « sacre », dont la « France » — celle qu’on invoque et dont on adjure la personnification — serait dépositaire, surtout si, comme jadis « La Pucelle », on entendit les « voix » en gardant les moutons tout en filant la laine.
Cet exercice d’« écrivance » trouve sa place dans le cours d’une carrière politique dont on va parcourir les étapes, la dernière dans le cas « barnierien ». L’exercice est assez rodé pour avoir été maintes fois emprunté : il étale les exploits passés comme gage de « compétence » et de « sérieux », sans omettre de souligner — assez démagogiquement — les limites ou les erreurs, en adjurant, la vox populi vous étant parvenue, de corriger le tir à l’avenir. (Si l’on suit le regard du proto-candidat, deux autres possibles sont, de ce point de vue, invalidés.)
L’entreprise d’« écrivance » s’analyse alors comme une tâche de contrition, d’auto-purification, d’auto-absolution, destinée à atténuer — voire désamorcer — la critique populaire. Une quête de rédemption. Faire profil bas, tout en présentant avec précaution un catalogue de promesses que tout le monde sait intenables.
L’entreprise « écrivassière » doit idéalement s’adosser à un cursus honorum républicain dont le Graal serait l’agrégation, si possible de lettres classiques, via l’École normale supérieure. Faute de l’un ou de l’autre, on se contentera d’une inscription en entretenant le flou sur les diplômes obtenus. L’ENA reste un autre passage obligé, bien que de moins en moins prisé, tant le vivier s’est élargi depuis 1945 et tant le niveau de Sciences Po, qui y conduit normalement, est en baisse. De plus, elle imprime l’image d’une caste politique forgée à une idéologie technocratique passablement antidémocratique. Monsieur Barnier, issu d’une école de commerce, échappe à ces critiques. Ce qui explique peut-être un besoin irrépressible de reconnaissance, compensé par cette entreprise d’« écrivance ».
L’examen du phénomène de l’écriture « écrivassière » doit être complété par celui de la réception journalistique, relais obligé et moteur de l’écoulement de ces imprimés… qui n’impriment pas. L’obligation est sans doute de mise lorsque le « pensum » vous est adressé, et que la bienséance ou l’intérêt vous contraignent à le commenter — avec ou sans contrat de lecture.
La gent journalistique, consanguinement liée au milieu politique, ne se laisse pourtant pas abuser. Elle joue son rôle dans toutes les nuances possibles. Elle connaît tous les subterfuges de l’« homme politique » et contribue à leur développement, à leur raffinement, dans l’effet de miroir de la rouerie. Notre éditorialiste en est déjà à un nombre non négligeable de présentations d’icônes politiques. Qui sera le prochain, la prochaine ? Dominique Galouzeau de Villepin ? C’est déjà fait !
Je me plais, chaque semaine, à faire des paris… La « concision » du compte rendu ne renseigne guère sur le contenu du livre ; sans doute faut-il lever les mystères, dévoiler les énigmes et les révélations de l’« écrivan », spoiler en français moderne, appâter l’acheteur — que je ne serai pas. L’allusion suffit à notre bonheur de lecteur. Peut-être l’éditorialiste a-t-il craint de sombrer lui-même dans une forme d’apoplexie, que l’ascension des sommets d’« écrivance » provoquerait faute d’air — et d’y entraîner son lecteur.
Comme souvent à la lecture de notre éditorialiste préféré — sorte d’« étoile des neiges » — l’allusion prend la forme d’une litote : « Va, je ne te hais point », et finit par s’éclaircir au bas des pistes, en un tête-à-queue en forme de phrase assassine. On devine, on sait pour qui notre éditorialiste ne « votera » pas… In cauda venenum.
Tout y est ! Les livres derrière, les « livres » devant, comme des sacs de sable dans la crainte des tirs !
Ça dégouline… Une overdose, au cas où l’on douterait des capacités littéraires de ce descendant de Chateaubriand, cherchant à se hisser à la hauteur des Mémoires d’Outre-Tombe.
Comme lui, pas d’ordinateur, un stylo-bille — pas un Montblanc (ce n’est pas Sarko, encore que pour un Savoyard, ç’eût été le minimum), ni une plume d’oie façon Ancien Régime.
Une montre bien cachée.
Un livre écrit par qui et pour qui ?
La chemise couleur des yeux, celle des cieux au-dessus des cimes, azuréennes et élyséennes.
Un regard quémandeur et flou, fixé sur je ne sais quel horizon présidentiel et une ascension à venir.
Une carnation toute rosée, celle qu’on a au bas des pistes.
Une crinière rassurante pour le troisième et le quatrième âge, concurrençant celle de Villepin (deux bourgeoisies dites « gaulliennes » : l’une tendance pompidolienne, l’autre mélencholienne).
Un sous-produit de l’élection du président au suffrage universel, avec ce zeste impudique et racoleur.
Des lèvres entrouvertes, s’apprêtant à délivrer une parole définitive : « Je vous aime », ou peut-être, si la mémoire de cette carte vermeil est toujours active :
Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi, sans ce balbutiement.
…
J’ai tout appris de toi sur les choses humaines
Et j’ai vu désormais le monde à ta façon
J’ai tout appris de toi comme on boit aux fontaines
Comme on lit dans le ciel les étoiles lointaines
Comme au passant qui chante et reprend sa chanson
J’ai tout appris de toi jusqu’au sens du frisson.
…
Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu’un cœur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi, que ce balbutiement.
…
J’ai tout appris de toi en ce qui me concerne
Qu’il fait jour à midi et qu’un ciel peut être bleu
Que le bonheur n’est pas un quinquet de taverne
Tu m’as pris par la main dans cet enfer moderne
Où l’homme ne sait plus qu’être deux
Tu m’as pris par la main comme un amant heureux.
Que serais-je sans toi, etc…
Si l’on veut une version chantée — comme sans doute la préfère notre éditorialiste des cimes helvètes — Jean Ferrat s’y hasarda en 1964, dans le même album où figurait La Montagne.
Pas celle qui accouche d’une souris…
De circonstance, non ?