Une chronique géopolitique de Ioan Voicu, ancien ambassadeur de Roumanie en Thaïlande
L’économie mondiale traverse une période précaire. L’intensification des tensions commerciales et politiques, conjuguée à une incertitude politique croissante, a considérablement affaibli les perspectives économiques mondiales pour 2025.
C’est dans ce contexte complexe que la prochaine session de l’ECOSOC, qui se tiendra à New York (en juillet 2025), aura à son ordre du jour un point intitulé « Coopération régionale ». Les 54 membres de cet organe principal des Nations Unies examineront notamment un résumé des travaux de la Commission économique et sociale pour l’Asie et le Pacifique (CESAP) pour la période 2024-2025, sur la base d’un rapport de 18 pages présenté par le Secrétaire général de l’ONU.
La CESAP, dont le siège est à Bangkok, est la plus grande commission régionale des Nations Unies (62 membres et membres associés). C’est la seule commission régionale dont les cinq membres permanents du Conseil de sécurité sont membres à part entière. Bien que la population exacte de la région CESAP ne soit pas explicitement indiquée en 2025, la population totale de la région s’élève à environ 4,1 milliards.
Le rapport de l’ONU examiné dans ces pages commence par le paragraphe suivant : « La montée des inégalités, alimentée par les disparités de revenus et l’inégalité d’accès aux opportunités, creuse les fractures, tandis que les progrès sur les volets environnementaux des Objectifs de développement durable restent lents. L’urbanisation et les modes de consommation posent des défis considérables et les évolutions démographiques remodèlent le paysage des risques de la région. Malgré ces obstacles, les efforts déployés par les pays de la région Asie-Pacifique mettent en évidence des pistes de progrès pour les années à venir. Des opportunités résident dans la progression de la transformation numérique, la promotion de transitions énergétiques durables et le renforcement de la coopération régionale pour renforcer la résilience. »
Plus précisément, le rapport informe les lecteurs, entre autres, que lors de la huitième session du Comité de l’environnement et du développement, tenue en octobre 2024, un examen des progrès réalisés sur les priorités clés énoncées dans la Déclaration ministérielle sur la protection de notre planète par la coopération et la solidarité régionales en Asie et dans le Pacifique (ESCAP/CED/2022/4/Add.1) a été réalisé et que la Plateforme Asie-Pacifique de localisation des ODD a été lancée. (p. 6)
Ce document diplomatique a le mérite de « réaffirmer que les défis actuels exigent une coopération transfrontalière, ainsi qu’avec l’ensemble de la société, et de souligner l’importance d’une coopération Nord-Sud, Sud-Sud et triangulaire dédiée aux partenariats de développement, ainsi que notre ferme engagement en faveur du multilatéralisme et de la solidarité internationale, notamment en tirant parti des synergies entre les travaux de la Commission et de son organe de tutelle, le Conseil économique et social. »
Traiter concrètement la valeur de la solidarité au niveau régional est une initiative prometteuse, car sans une véritable solidarité, le développement durable risque de rester, à bien des égards, une simple aspiration, sans devenir une réalité tangible.
Aspects fondamentaux :
Dans cette chronique, nous nous concentrerons uniquement sur l’ASEAN (mentionnée expressément 34 fois dans le rapport), qui continue de suivre son redressement post-pandémie. Le rapport apporte des nouvelles encourageantes, mais aussi quelques avertissements quant à la santé économique de la région. Ce rapport de la CESAP montre que les pays de l’ASEAN se renforcent grâce au commerce, à l’investissement et à l’innovation, tout en étant confrontés à des défis majeurs tels que le changement climatique, l’augmentation de la dette et la fracture numérique.
Dans une économie mondiale aujourd’hui marquée par une incertitude croissante, les dix pays de l’ASEAN tiennent bon. En 2024, l’Asie du Sud-Est a enregistré l’une des croissances commerciales les plus rapides de la région Asie-Pacifique, avec des exportations et des importations en hausse de près de 6 %. De fait, la région a représenté une part importante du commerce mondial : environ 39 % des exportations et 37 % des importations de la région Asie-Pacifique.
Les investissements étrangers ont également afflué. L’ASEAN a attiré 226 milliards de dollars d’investissements directs étrangers en 2023, avec un intérêt croissant pour les infrastructures numériques, les énergies vertes et l’industrie manufacturière. De nouveaux plans d’investissement, comme le Plan d’action régional de promotion des investissements de l’ASEAN pour 2025-2030, visent à rendre la région encore plus attractive pour les entreprises durables.
Cela montre que l’ASEAN est non seulement en phase de redressement, mais aussi en pleine transformation : d’une production à bas coût à une économie tournée vers l’avenir, axée sur les énergies propres, l’innovation numérique et la croissance inclusive.
Si l’ASEAN prend au sérieux le développement durable, la finance verte doit occuper une place centrale. Le rapport de la CESAP souligne la nécessité d’investissements massifs dans les énergies renouvelables, dont le déficit annuel est estimé à 0,8 billion de dollars dans la région Asie-Pacifique.
Des exemples sont source d’optimisme. Des pays comme l’Indonésie, les Philippines et le Vietnam progressent déjà. Avec le soutien de la CESAP et de partenaires internationaux, ils développent des stratégies de transition du charbon et des combustibles fossiles vers le solaire, l’éolien et d’autres sources d’énergie propres. Parallèlement, le Cambodge et le Bhoutan élaborent des « feuilles de route pour la finance durable » et expérimentent des obligations vertes, des investissements spécifiques, soutenus par l’État visant à protéger l’environnement. Tous ces efforts contribueront à la construction du réseau électrique de l’ASEAN, un projet régional majeur visant à rendre l’approvisionnement énergétique plus sûr, plus abordable et plus durable pour tous.
Il est généralement admis que le numérique n’est plus un luxe, mais une bouée de sauvetage pour les économies modernes. C’est pourquoi la CESAP aide les pays de l’ASEAN à exploiter le potentiel du commerce numérique, de la gouvernance électronique et des infrastructures intelligentes.
Il est gratifiant de constater que, du développement de l’internet haut débit dans les zones rurales au développement de systèmes commerciaux dématérialisés, l’ASEAN est en pleine évolution. Le Cambodge, par exemple, collabore avec la CESAP pour moderniser ses services numériques publics. Des initiatives régionales telles que l’Indice de numérisation du commerce des Nations Unies et le Forum des entreprises inclusives de l’ASEAN aident les pays à partager leurs meilleures pratiques et à améliorer leur connectivité.
Pourquoi est-ce important ? Il est indéniable que, puisque la préparation au numérique soutient directement les petites entreprises, elle crée de nouveaux emplois et permet aux communautés locales de participer activement au processus de l’économie mondiale.
La réalité montre que la réussite économique de la région dépend également des infrastructures physiques : routes, ports, réseaux électriques et réseaux numériques. Selon le rapport de la CESAP, l’ASEAN a également progressé dans ces domaines.
Il est évident que le commerce multilatéral de l’énergie est actuellement testé dans le cadre du réseau électrique de l’ASEAN. Des ateliers destinés aux régulateurs de l’énergie renforcent la coopération. Sur le front des transports, des pays comme le Cambodge, le Laos et les Philippines avancent dans des projets de transport intelligent, allant d’une meilleure logistique aux bornes de recharge pour véhicules électriques.
Parallèlement, il est nécessaire de rappeler que de nombreux défis subsistent. Le trafic routier et les émissions augmentent rapidement, le nombre de véhicules ayant doublé dans de nombreuses villes au cours de la dernière décennie. On estime qu’une planification urbaine durable et des systèmes de transport plus écologiques seront essentiels dans les années à venir.
Il est aussi évident que derrière toute stratégie de développement réussie se cache un bon financement. À cet égard, de nombreux pays de l’ASEAN sont confrontés à une dette publique et à des recettes fiscales limitées. Dans certains cas, plus de 10 % du revenu national est consacré uniquement au paiement des intérêts des emprunts.
Sensible à ce domaine, la CESAP recommande des réformes visant à rendre les systèmes fiscaux plus équitables, à réduire les niches fiscales et à cibler les dépenses sur la santé, l’éducation et la lutte contre le changement climatique. Les pays ont également besoin d’un soutien international accru, tant de la part des gouvernements que du secteur privé, pour financer leurs objectifs de développement durable. En d’autres termes, il est nécessaire de dépenser plus intelligemment, et non simplement de dépenser davantage.
Développer le partenariat ASEAN-CESAP et planifier ensemble pour 2045 sont des objectifs fondamentaux. Par conséquent, l’un des principaux enseignements du rapport est la solidité du partenariat entre l’ASEAN et la CESAP. Ensemble, elles alignent la Vision 2025 et les objectifs futurs de l’ASEAN sur le Programme de développement durable des Nations Unies. Des outils tels que des indicateurs partagés, un soutien technique et des forums régionaux contribuent à garantir qu’aucun État membre ne soit laissé pour compte.
Dans la perspective de la Vision 2045 de l’ASEAN, les bases sont posées dès aujourd’hui : investissements verts, transformation numérique, commerce inclusif et infrastructures plus intelligentes.
Conclusion
Le rapport de la CESAP offre aux lecteurs une vision claire : l’ASEAN est sur une trajectoire économique positive, mais la pérennité de sa réussite dépendra des choix faits aujourd’hui.
La population jeune, la classe moyenne en pleine croissance et les entreprises innovantes de la région offrent un potentiel considérable. Grâce à une coopération renforcée, à une finance plus intelligente et à une focalisation commune sur la durabilité, l’ASEAN peut devenir non seulement une puissance économique, mais aussi un modèle mondial de développement inclusif et résilient. Citoyens, entrepreneurs et dirigeants ont tous un rôle à jouer dans la construction de cet avenir.
Le dernier paragraphe du rapport examiné ci-dessus invite les lecteurs à rester optimistes. Il indique : « La CESAP a joué un rôle clé en favorisant le dialogue sur des questions cruciales de développement, en fournissant un soutien politique intégré et en renforçant les partenariats entre les gouvernements, le système des Nations unies, les organisations internationales, le monde universitaire, le secteur privé et la société civile. Des efforts continus sont essentiels pour relever les défis urgents de la région en renforçant les partenariats et la coordination régionaux, en affinant les cadres politiques, en renforçant les systèmes de protection sociale et en mobilisant des ressources pour l’action climatique et le financement durable. »
Nous pouvons espérer que la CESAP offrira un exemple réussi de régionalisme fort et productif en cette période de déclin regrettable d’un multilatéralisme efficace.
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