La Chine par le menu, c’est bien mieux, une chronique de François Guibert
La couverture de l’ouvrage est pâlotte, mais le contenu des plus brillants. Sous-titré « Cuisine, culture culinaire et traditions alimentaires chinoises », le manuscrit est un travail magistral entrepris, de fait, depuis quarante ans.
Il est l’œuvre de Françoise Sabban, aujourd’hui directrice d’études émérite à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. L’intéressée n’a eu de cesse de s’intéresser à la civilisation de la table chinoise, non seulement par ses écrits, mais également en participant à des projets académiques de grande ampleur avec la création et l’animation de revues internationales : Food & Foodways (1986), Anthropology of Food (2001) ou encore Journal of Chinese Dietary Culture (2005).
Un livre de référence en aboutissement de toute une carrière
Au fil des décennies, l’autrice a brillamment concouru à faire des cultures culinaires un véritable objet d’études scientifiques. Ce livre en est une éclatante démonstration. Sa bibliographie abondante atteste des matériaux disponibles, notamment en chinois, pour entreprendre des travaux érudits et originaux. Ici, F. Sabban ne s’est pas tant employée à dépeindre une histoire chronologique de l’alimentation qu’à s’efforcer de camper la sensibilité alimentaire des Chinois au fil des siècles, les philosophies morales et politiques du manger ou encore la construction d’une civilisation par son régime alimentaire.
Cette analyse méticuleuse s’est accompagnée de références aux expériences visuelles, olfactives et gustatives acquises sur place. Accumulées lors de missions successives depuis la fin du maoïsme triomphant, elles sont incontestablement un plus pour les lecteurs « non-savants », car elles rendent le livre particulièrement sapide. Ainsi, elles aident à mieux comprendre le repas comme système de valeurs et une cuisine où les saveurs sont vantées par les poètes, les pouvoirs et les gourmets.
Une véritable histoire du goût en Chine
Bien que les réalités économiques et sociales aient entretenu en Chine deux cuisines, celle répondant aux besoins essentiels et celle dédiée aux gourmandises et aux jouissances, pour leur mise en œuvre, que d’inventivités ! L’essayiste revient ainsi sur la maîtrise des cuissons et du feu, sur le développement de la prédominance des baguettes pour se substanter, les « petites nourritures » (xiaochi) à vendre et grignoter, mais aussi sur la raison diététique. Autant d’éclairages singuliers fort utiles pour appréhender très concrètement comment les Chinois mangent ou s’enivrent, participent d’une civilisation du thé ou s’adonnent aux fondues.
Au fil des pages et des chapitres, l’histoire ancienne et le monde contemporain ne cessent de s’entremêler dans les analyses et de dialoguer. On peut ainsi s’interroger, documentations fournies à l’appui, sur combien de cuisines « chinoises », les oppositions végétarisme – carnivorisme ou encore les luttes contre les excès gourmands et le gaspillage alimentaire, remis au goût du jour par les campagnes de mobilisation endossées par le président Xi Jinping depuis une bonne dizaine d’années. Cette plongée dans les assiettes rend compte des vastes praxis, politiques, imaginaires et rituelles liées à la table chinoise d’hier et d’aujourd’hui.
Françoise Sabban : La Chine par le menu, Les Belles Lettres, 2024, 455 p, 23,5 €
François Guilbert
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