Une chronique géopolitique de Ioan Voicu, ancien Ambassadeur de Roumanie en Thaïlande.
A l’heure des pressions commerciales de Donald Trump, cette chronique est particulièrement d’actualité…
L’Organisation mondiale du commerce (OMC), basée à Genève (Suisse), est une institution internationale mondiale, créée en 1995, qui fixe et applique les règles du commerce international. À l’heure actuelle, elle compte 166 pays membres, qui représentent ensemble l’écrasante majorité du commerce mondial. En Asie, il y a environ 35 membres de l’OMC (cela comprend des pays comme la Chine, l’Inde, le Japon, la Corée du Sud, les membres de l’ASEAN, etc.) En 1995, 45 accords commerciaux régionaux étaient en vigueur. En 2024, le nombre de ces accords notifiés à l’OMC était passé à plus de 370.
À ses origines, l’Organisation mondiale du commerce était censée marquer une inflexion majeure dans l’histoire de la régulation économique internationale. L’OMC s’est dotée d’un cadre institutionnel contraignant et juridiquement supérieur, transformant un espace de négociation en un système de gouvernance économique mondiale. Cette mutation a été considérée par le presse comme consacrant la primauté du libre-échange sur tout autre critère — social, écologique ou culturel —, au bénéfice des grandes entreprises transnationales.
Cependant, derrière la rhétorique de la « libéralisation » et de la « transparence », l’OMC a commencé à travailler à l’extension des disciplines commerciales vers les domaines essentiels de la souveraineté nationale : concurrence, marchés publics, investissements. Ces initiatives avaient pour objectif de soumettre les politiques publiques aux règles du marché mondial, notamment la capacité des États à protéger leurs secteurs stratégiques ou à orienter leurs choix économiques. Les projets tels que l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) ou l’ouverture forcée des marchés publics avaient mis en pratique cette logique de dérégulation généralisée.
Dans le même temps, les mécanismes de décision internes à l’OMC — réunions restreintes, consensus formel, pressions diplomatiques — ont souligné le déséquilibre entre pays développés et pays du Sud, confinant ces derniers à une position de dépendance structurelle. Ce processus, en apparence technique, a conduit à la formation d’un pouvoir économique mondial sans légitimité démocratique, où les normes commerciales prévalent sur les choix politiques.
Il est apparu qu’en définitive, l’OMC incarne moins une instance de coopération internationale qu’un instrument de normalisation au service des intérêts transnationaux. En marginalisant la souveraineté des États et en affaiblissant la régulation publique, elle contribue à l’émergence d’une gouvernance mondiale de l’économie — centralisée, opaque et fondée sur la contrainte plutôt que sur la légitimité politique.
Prévisions actuelles
En 2025, les droits de douane imposés par le président américain Donald Trump devraient avoir pour conséquence une baisse du commerce mondial de biens en 2026. Les droits de douane imposés par Donald Trump entraîneront un net ralentissement de la croissance du commerce mondial de biens en 2026, mais l’impact total de la politique commerciale américaine se fera sentir plus tard que prévu, selon les experts de l’Organisation mondiale du commerce.
Plus précisément, avant le ralentissement attendu l’année prochaine, le commerce mondial transfrontalier de biens devrait connaître une meilleure performance que prévu en 2025, grâce à l’accumulation massive de stocks de biens aux États-Unis avant l’entrée en vigueur des droits de douane cet été et à la hausse de la demande mondiale pour les produits nécessaires à la révolution de l’IA.
« Les droits de douane ont un impact significatif. C’est simplement le moment qui a changé », a déclaré Marc Bacchetta, modélisateur économique en chef de l’OMC, lors de la publication des prévisions commerciales de l’organisation pour octobre – les premières depuis l’entrée en vigueur de la série d’accords tarifaires « réciproques » de Trump en août 2025.
L’OMC prévoit désormais une croissance du commerce de marchandises de seulement 0,5 % en 2026, contre une prévision initiale de 2,5 % dans ses prévisions d’avril.
L’absence de mesures de rétorsion contre les droits de douane américains a amélioré les perspectives commerciales cette année, les économistes de l’OMC ayant relevé leurs prévisions de croissance du commerce mondial de marchandises en 2025 à 2,4 %, contre 0,9 % en août.
La directrice générale de l’OMC, Ngozi Okonjo-Iweala, a déclaré que les « actions unilatérales » des États-Unis avaient créé une incertitude politique sans précédent, mais que la « réponse mesurée » surprenante du reste du monde aux mesures américaines avait atténué les conséquences anticipées.
Depuis le retour de Trump à la Maison Blanche en janvier 2025, le taux de droits de douane effectif des États-Unis est passé de moins de 2,5 % à près de 17 %.
« Les perspectives pour l’année prochaine sont plus sombres, et je suis préoccupée », a ajouté Okonjo-Iweala. « Ce n’est pas parce que nous constatons une certaine résilience du système que nous sommes à l’abri, tant l’incertitude est grande.»
Il est nécessaire de rappeler que les prévisions commerciales pour l’année prochaine ont été revues à la baisse pour la plupart des régions. Les exportations du Moyen-Orient ont subi la plus forte baisse, passant de 5,1 % à -0,9 % entre avril et octobre.
L’OMC a déclaré que les difficultés posées par les droits de douane de Trump avaient été compensées par une forte hausse des échanges de biens liés à l’IA – notamment les semi-conducteurs et les équipements de télécommunications – dont la valeur a progressé de 20 % en glissement annuel au premier semestre.
Parallèlement à la constitution de stocks aux États-Unis, la résilience du commerce dit « Sud-Sud » entre les économies émergentes d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie a soutenu un commerce de marchandises meilleur que prévu en 2025.
Le commerce Sud-Sud a progressé de 8 % en valeur sur un an, selon l’OMC, dépassant la croissance de 6 % du commerce mondial dans son ensemble.
Si les droits de douane affectent principalement le commerce de marchandises, l’OMC met également en garde contre un effet domino sur les services, réduisant la demande de transport et de tourisme. La croissance des exportations mondiales de services devrait désormais ralentir, passant de 6,8 % en 2024 à 4,6 % en 2025 et 4,4 % en 2026.
Se tournant vers l’avenir, Okonjo-Iweala a noté des « premiers signes » indiquant que les marchandises chinoises, auparavant destinées aux États-Unis, affluaient désormais vers d’autres marchés.
Elle a indiqué que l’OMC surveillait ces flux commerciaux, mais a exhorté les pays concernés à s’en tenir aux procédures juridiques standard contenues dans la « boîte à outils de l’OMC » s’ils prenaient des mesures correctives.
Conclusion
C’est dans des circonstances peu optimistes que la prochaine Conférence générale de l’OMC, également appelée Conférence ministérielle, se tiendra du 26 au 29 mars 2026 à Yaoundé, au Cameroun. Il s’agira de la 14e conférence de ce type qui réaffirmera l’engagement collectif en faveur d’un système commercial multilatéral ouvert, juste, prévisible, non discriminatoire, inclusif et fondé sur des règles, avec l’OMC en son centre.
Cet événement diplomatique important pourrait contribuer à parvenir ultérieurement à un accord sur l’interprétation du traité constitutif de l’OMC. Cela pourrait avoir pour effet de restreindre, d’élargir ou de déterminer autrement l’éventail des autres interprétations possibles, y compris la marge de manœuvre que le traité accorde aux parties contractantes.
Bien entendu, la revitalisation de l’OMC ne doit pas être comprise comme se limitant à des solutions techniques ou à des ajustements procéduraux. Cela nécessite un engagement politique renouvelé en faveur d’un système commercial qui fonctionne pour tous, pays développés comme pays en développement.
L’OMC, à 30 ans, a désormais le choix : sombrer dans l’insignifiance ou se réinventer comme plateforme de dialogue inclusif et de règles équitables. Cette dernière voie n’est possible que si ses membres considèrent la solidarité non seulement comme une rhétorique, mais comme le principe directeur de la coopération économique internationale. L’OMC doit demeurer la pierre angulaire de la gouvernance du commerce mondial. Son cadre fondé sur des règles doit continuer de soutenir une concurrence loyale et la non-discrimination, de réduire les distorsions commerciales et de fournir une plateforme solide pour le règlement des différends.
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