
Une chronique du conflit birman par François Guilbert
Faisons un peu semblant de croire que les consultations des citoyens organisées par la junte les 28 décembre, 11 et 25 janvier mettent en compétition 57 formations politiques rivales. Pour cela examinons les premières professions de foi telles qu’elles sont énoncées à la face du pays et du monde puisqu’elles sont censées donner l’image d’une campagne électorale libre, transparente et sans entrave étrangère.
Depuis le 28 octobre à raison d’un à deux partis par soir les dirigeants des partis politiques se présentent tour à tour et à heures fixes sur les chaînes du petit écran
Chaque lendemain, les propos sont retranscrits intégralement dans les journaux d’État. Le format des interventions est sensiblement le même pour tous les orateurs, qu’ils soient rattachés aux six formations se présentant à l’échelle nationale ou aux 51 autres concourant aux échelles provinciales.
Dans les colonnes du Global New Light of Myanmar, on retrouve quotidiennement les discours à la même place : en page 10, voire également 11 si une deuxième formation politique a été invitée à s’exprimer. La mise en scène des propos est des plus minimaliste, pour ne pas dire des plus austère. Les leaders s’expriment tous assis, derrière une table sur laquelle figure sagement leurs discours et leurs mains. Les images diffusées sont des plans fixes et resserrés sur le haut du corps. Devant l’intervenant trônent deux micros et l’insigne de sa formation politique, celui-ci étant aussi projeté derrière eux en petit format sur un récepteur.
Tout cela fleure bon le mimétisme, l’absence de passion partisane et de confrontation
C’est en tout cas le premier constat que l’on peut énoncer après 19 jours de campagne et la diffusion de 47 % des programmes des partis politiques engagés, étant entendu qu’aucun des 95 candidats indépendants n’a pris jusqu’ici la parole dans un média d’État.
On est toutefois frappé par le nombre de femmes énonçant les ambitions de leur organisation (12). Six président même aux destinées de leur organisation (Parti des pionniers du peuple (PPP) se présentant à l’échelle de l’Union, et aux échelles provinciales : Parti démocratique (DP), Parti démocratique fédéral (FDP), Parti du peuple Kayin (KPP), Nouveau Parti national pour l’autonomisation (NENP), Parti de l’union, de la paix et de l’unité (UPUP)). Le ratio des genres est présenté comme une évolution « démocratique ».
1 183 candidates se présenteront aux scrutins de 2025, soit près d’un quart du total et une hausse de 30% par rapport à 2020
La question des femmes n’est pas très présente dans les corpus électoraux. Néanmoins, une formation politique, le Parti national démocratique karen (KNDP) a, lui, pris soin de donner la parole à une femme et à un homme ; et une autre, le Parti démocratique des nationalités unies (UNDP) à deux de ses plus hautes responsables. Toutefois en ayant donné la parole à une femme pour trois hommes pour présenter les engagements des six formations en « compétition » à l’échelle de l’Union, on peut donc dire, après trois semaines de campagne, que le leadership féminin est à peu près aussi « visible » au niveau national (25%) qu’à l’échelle des provinces (23,5 %).
Par ailleurs, signe que les élections nationales sont plus signifiantes que celles des subdivisions de l’Union ce sont uniquement les présidents des partis nationaux qui ont pris la parole, ne laissant à aucun de leurs secrétaires généraux ou membres de leurs comité exécutifs le soin de décliner leur projet pour la nation. D’ailleurs signe des temps, à l’ouverture de la quatrième semaine de campagne, 66% des partis nationaux se sont exprimés contre 45% de ceux enregistrés dans quelques provinces.
Le parti relais historique de l’armée a été le premier à entrer en lice
Manifestation du biais pro-junte de la campagne, c’est le président du Parti de la Solidarité et du Développement de l’Union depuis septembre 2022, le général (cr) Khin Yi, qui a pris la parole en premier. Comment ce choix a-t-il été opéré ? Cela n’a pas été avancé publiquement. En attendant, certains analystes promettent à l’ancien chef de la police (2002- 2011) et ministre de l’Immigration et des populations après le coup d’État du général Min Aung Hlaing (2021 – 2022) de hautes fonctions en 2026 : à la tête de l’État (président ou vice-président de la République) ou du parlement.
Si son état de santé et ses relations parfois difficiles avec le numéro 1 de la junte lui barreront peut-être l’accès aux fonctions les plus éminentes, le 28 décembre 2025, il ne risque pas d’échouer dans sa tentative de conquête d’une circonscription à Nay Pyi Taw comme ce fut le cas en novembre 2020, quand il fut défait par un candidat de la Ligue nationale pour la démocratie de Daw Aung San Suu Kyi.
Le discours du 28 octobre du leader facial de l’USDP a été, pour tout dire, un panégyrique de la Tatmadaw et une ode de soutien aux forces de sécurité. Dès ses premiers mots, il a appelé au renforcement de l’action de la police et à la coordination de l’appareil de sécurité. Sans rire, il s’est également montré soucieux de donner mandat à la police de protéger la …faune sauvage. Mais avec solennité et gravité, Il s’est d’abord présenté comme un homme joignant ses efforts à ceux de l’armée, sans pour autant évoquer explicitement les conflits qui ensanglantent aujourd’hui l’Union.
Non seulement l’exercice du pouvoir du général Min Aung Hlaing n’est pas remis en cause par les formations politiques mais elles font toutes assauts de bienveillance vis-à-vis de la Tatmadaw
Partis politiques nationaux ou provinciaux, chacun y va de son soutien au régime militaire. Tous ont endossé la défense des Trois causes nationales principales (non-désintégration de l’Union, non-désintégration de la solidarité nationale, perpétuation de la souveraineté nationale). Beaucoup sont allés plus loin encore. Le Parti national de développant Akha (ANDP) a remercié le général Min Aung Hlaing pour son soutien. Le Parti de la ligue national Inn (INLP) s’est félicité d’avoir travaillé avec les gouvernements successifs depuis 2021 (SAC, SSPC). Le Parti national pour le développement des nationalités Tai-Leng (TNDP) a proposé de soutenir les réformes constitutionnelles esquissées par les militaires dans le passé, le PPP de majorer les allocations des personnels des forces de sécurité engagées en première ligne et l’Alliance politique nationale (NPA) de joindre ses efforts à ceux de la Tatmadaw ; le Parti démocratique fédéral (FDP) voyant même dans l’armée une perpétuelle émanation du peuple.
A l’image du Parti public des travailleurs (PLP) déclarant vouloir œuvrer main dans la main avec la Tatmadaw, chacun proclame son allégeance à l’armée de Nay Pyi Taw et veut lui assurer la garantie des moyens de sa modernisation. Au fond, comme l’a souligné le président du Parti pour le développement des intérêts de la national (NIDP), les intérêts du pays sont ceux de l’État et de l’armée.
Dans un tel environnement, le moins que lui puisse dire c’est que les discours sont formatés. Ils sont en parfaite adéquation avec les attentes des généraux et sont bien l’expression de la « démocratie multipartite dirigée » à laquelle ils aspirent. Pire, l’état d’esprit de cette campagne fait que les questions économiques et sociales sont abordées en quelques mots et avec des tonalités affligeantes, bien qu’y transparaissent plusieurs maux : l’inflation, l’absence d’emploi pour les jeunes, le manque de moyens pour l’éducation et la santé. Mais que la junte se rassure sa responsabilité et celle de ses chefs dans les difficultés présentes n’est nullement évoquée.
François Guilbert
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