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ASIE DU SUD EST – GÉOPOLITIQUE: l’ASEAN face au Covid 19, puissance ou impuissance ?

Journaliste : François Guilbert
La source : Gavroche
Date de publication : 12/06/2020
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Le Centre d’études stratégiques et internationales (CSIS) de Washington vient de publier les résultats d’un sondage consacré à la perception des jeux de puissance en Asie du sud-est. Certes, cette étude a quelques biais. Elle a été réalisée avant la crise du Covid-19 or personne ne doute que la pandémie est en train de malmener en Asie du sud-est les images véhiculées par la République populaire de Chine et les États-Unis. N’empêche: ses résultats sont très intéressants. Y compris pour l’Union européenne (UE), jugée bien sévèrement.

 

Une analyse de François Guilbert

 

L’enquête du CSIS devrait être examinée avec la plus grande attention par les analystes et décideurs européens, notamment ceux qui croient à l’importance à accorder à l’ASEAN comme pivot des politiques Indo-Pacifique.

 

A la question de savoir quels sont les acteurs les plus signifiants politiquement en Asie du sud-est, l’Union européenne (UE) est jugée bien sévèrement. A l’heure du Brexit, les Britanniques devraient eux s’inquiéter plus encore. Ne leur déplaise ce constat, leur rôle en Asie du sud-est n’est même plus jaugé par l’un des plus influents think-tank d’outre-Atlantique. Les Européens n’ont pas pour autant beaucoup de raisons de s’en réjouir. Pour les Indonésiens et les Malaisiens, Bruxelles est même vu comme ayant moins d’influence que Jakarta dans l’ASEAN. En matière économique, c’est la Corée qui est perçue comme plus puissante que l’Europe. A l’horizon 2030, si le poids économique et commercial américain est anticipé comme étant inexorablement en déclin au point de devenir à peine supérieur à celui du Japon, l’Inde et l’Indonésie sont vues comme ayant toutes les chances de peser plus que l’UE des 27.

 

Avertissement aux Européens

 

Si le sondage laisse paraître une diplomatie indonésienne plus attractive qu’elle ne l’est vraiment, les Européens devraient néanmoins méditer leurs scores. Leur rôle est 2,6 fois moins visible que celui du Japon. Seule satisfaction, si l’on peut dire, l’UE est jugée comme ayant encore beaucoup plus de poids politique que les voisins australiens et indiens mais pour combien de temps encore ? A dix ans, la position européenne pourrait bien se montrer plus inconfortable encore. Les Européens de l’UE aux yeux des stratèges de l’ASEAN 6 n’apparaissent pas être susceptibles de tirer le moindre avantage de l’érosion progressive de l’influence des Américains et des Japonais ou encore de la constance du poids de Canberra mais tous devront compter avec une Union indienne plus marquante que jamais. Les décideurs sondés considèrent que dans la décennie qui vient, New Delhi surpassera en influence l’UE et l’Indonésie fera jeu égal avec la Corée du sud. On peut se demander si cette perception n’est pas déjà partagée par nombre de décideurs américains, tant ceux-ci ont esquissé un narratif Indo-Pacifique pour associer plus étroitement l’Inde et l’Indonésie à l’alliance stratégique existante avec le Japon et l’Australie.

 

Le pari du déclin américain

 

Dans ce vaste mouvement tectonique, chaque observateur qui perçoit Washington et Pékin être aujourd’hui d’un même poids en Asie du sud-est, n’hésite plus à parier sur un déclin américain au point de faire des États-Unis une puissance à peine plus influente que le Japon, en tout cas très loin derrière la Chine. C’est à Bangkok et Jakarta que l’on semble le plus convaincus de cette évolution. A contrario, à Hanoï, Manille et Singapour, on croit encore à la parité des influences économiques chinoises et américaines. Ces appréciations nationales laissent à penser que l’avis donné dans l’enquête relève plus de l’espoir d’un statu quo, d’une crainte d’être face-à-face avec une nouvelle hyperpuissance régionale dont on veut croire que les États-Unis sauront contrebalancer les avancées. En outre, si la Birmanie, le Cambodge et le Laos avaient été inclus dans l’étude, il est vraisemblable que le différentiel d’influence anticipé entre la Chine et les États-Unis auraient été plus grand encore. En tout état de cause, il existe un décalage saisissant entre la façon dont les Aseaniens perçoivent l’influence politique et le pouvoir économique de leurs partenaires les plus importants. Alors que la Chine est en mesure de tirer une influence politique importante de sa prospérité économique et de son dynamisme commercial, le Japon continue d’exercer une influence politique relativement faible malgré son importance économique considérable en Asie du Sud-Est et l’importance accordée à l’ASEAN par les gouvernements Abe. Cette distorsion pourrait être due à l’importance accordée aux échanges commerciaux immédiats avec la Chine et, paradoxalement, à la moindre attention aux niveaux des investissements étrangers directs (IED), où le Japon est plus engagé mais peut-être moins visible. Autrement dit, le développement des relations commerciales sino-aseaniennes et l’attractivité de l’Initiative ceinture et route (BRI) qui en découle, rend plus irrésistible la Chine que les investissements massifs japonais créateurs d’emplois.

 

Chine «bienveillante»

 

Dans ce contexte, il n’est pas étonnant de relever qu’une légère majorité des sondés a une vision « bienveillante » de la Chine. 53 % des personnes interrogées ont répondu que la Chine a un rôle régional bénéfique pour la région. Toutefois, cette appréciation positive n’est que très relative. 8 % seulement des élites consultées affirment que la République populaire joue un rôle “très bénéfique”. Les avis sont d’ailleurs très tranchés entre les pays de l’ASEAN. Si une majorité de personnes en Indonésie, en Malaisie, à Singapour et en Thaïlande considère positivement l’action de la Chine, il n’en est pas de même ailleurs. Le contraste entre Singapour et le Vietnam est tout à fait saisissant sur le sujet. 78 % des élites singapouriennes ont donné une fonction « très » ou « plutôt bénéfique » à la Chine continentale. Au Vietnam, 85 % s’en inquiètent. Au Philippines, la condamnation est un peu moins unanime mais 67 % des questionnés partagent l’idée que la Chine est « très » ou « quelque peu » préjudiciable à toute la région.

 

Ce panorama des émotions géopolitiques des élites de l’ASEAN 6 ne doit pas nous faire oublier que les menaces qu’elles perçoivent ne sont pas nécessairement liées aux questions militaires, voire aux risques d’affrontements en mer de Chine méridionale. Plus que jamais, les Aseaniens s’inquiètent des conséquences du changement climatique. C’est d’ailleurs pour eux la première menace qui pèse sur les sécurités nationales. La deuxième des préoccupations est de nature économique et financière. Avant même que la Covid-19 ne fasse son apparition, c’était d’ailleurs la principale des préoccupations des experts singapouriens et thaïlandais. A lire ce chapitre, on peut se demander si réponse militaire contenue dans le concept Indo-Pacifique du président D. Trump répond bien aux perceptions sécuritaires de l’Asie du sud-est. A l’exception des Philippines et du Vietnam, les différends territoriaux et historiques sont considérés comme des préoccupations relativement peu importantes.

 

Le terrorisme inquiète

 

Si le terrorisme est toujours perçu avec anxiété, les autres enjeux de sécurité (ex. conflits armés, prolifération) sont vécus comme des enjeux de second rang. Reste à savoir dans quelles enceintes doivent être traités ces menaces ! Les résultats de l’étude montrent que le Forum régional de l’ASEAN (ARF) n’a pas réussi à convaincre. Un quart de siècle après sa création, il n’est pas considéré comme efficace pour relever les principaux défis régionaux. La division de l’ASEAN est donc bien en marche autant dans les faits que dans les têtes des élites !

 

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