Une chronique géopolitique d’Yves Carmona, ancien Ambassadeur de France au Laos et au Népal
Le nouveau Premier ministre japonais sera une Première ministre thatchérienne, une nouvelle dame de fer
Il faut saluer l’élection pour la première fois de son histoire d’une femme comme future Première ministre – seuls les États-Unis au sein du G7 n’ont jamais eu de femme à leur tête. Pour en arriver là, Mme Sanae Takaichi (64 ans) est passée par un parcours compliqué.
Il ne s’est agi jusqu’au 4 octobre 2025 que d’une élection interne au parti libéral-démocrate (PLD) au pouvoir avec le Kômei depuis des décennies. Certes, la coalition a perdu la majorité absolue quand le Premier ministre Ichiba Shigeru a été battu à l’élection sénatoriale le 20 juillet dernier mais il a trouvé l’appoint d’autres partis pour gouverner, et la Présidente du PLD, qui vient d’être élue à sa suite, a la quasi-certitude d’être la prochaine Première ministre : cette élection interne au seul PLD détermine habituellement, sauf très improbable surprise, le prochain Premier ministre.
L’élection se déroule en deux temps. Les candidats déclarés (5 cette fois) s’affrontent, mais il est rare que l’un d’entre eux atteigne dès le 1er tour la majorité absolue des 295 membres de la Diète et 295 membres du Parti. Il faut donc procéder à un deuxième tour qui vient d’avoir lieu : Mme Sanae Takaichi (ancienne ministre) a battu M. Koizumi Shinjiro, 44 ans, Ministre de l’agriculture et fils d’un ancien Premier ministre, par 183 voix contre 164. Mme Sanae se présentera à l’Empereur le 15 octobre avec le gouvernement au grand complet, suivra la photo de famille.
L’esprit de famille, d’ailleurs, est affiché : juste après l’élection, les candidats battus sont montés sur la scène de l’amphithéâtre où avaient été proclamés les résultats, et tous ensemble, ils se sont congratulés sous les applaudissements de la salle.
Mme Sanae, qui sera en principe, sauf dissolution de la Diète, Première ministre jusqu’à septembre 2027, apparaît comme représentant une aile dure du PLD. Elle aime se présenter comme inspirée par Mme Thatcher, mais d’autres se demandent si elle ne finira pas comme Mme Truss, autre Première ministre conservatrice qui bâti des records d’impopularité au Royaume-Uni, qu’elle ne gouverna que 7 semaines en 2022.
Il est vrai que sa tâche va être difficile.
Le système des factions, sur lequel a reposé le PLD, a mauvaise presse, celles-ci ayant été très affaiblies à la suite de scandales financiers. En réalité, l’aile conservatrice du Parti à laquelle appartient Mme Sanae continue d’être dominée par les mânes de feu le Premier ministre Abe Shinzo, ainsi que par l’ex-Premier ministre Aso Tarô, qui, à 85 ans, n’appartient plus au gouvernement, mais reste influent. Comment préservera-t-elle l’équilibre au sein d’un PLD très divisé ? Le principal concurrent de Mme Sanae, M. Koizumi, qui n’est pas issu de la prestigieuse université de Tokyo, a de plus été accusé de falsifications dans la campagne électorale…
Mme Sanae s’est fait l’adversaire de changements progressistes : elle s’oppose à ce que les femmes puissent accoler leur nom à celui de leur mari, ainsi qu’au mariage homosexuel, ce qui peut éroder sa popularité ;
Cependant, elle veut faire, y compris en soutenant certaines entreprises, la promotion d’un Japon dynamique, qui reste premier au monde en matière de hautes technologies. Elle bénéficie d’autre part de l’action de son prédécesseur, qui avait obtenu du président Trump un tarif douanier favorable – mais ce dernier a montré sa versatilité. Surtout, aura-t-elle les moyens d’une politique interventionniste ? Le Japon est, au sein du G7, le pays le plus endetté (237 % en 2024), ce qui réduit les marges de manœuvre du gouvernement.
Une des raisons de son élection est le climat politique travaillé par des thèmes populistes : les difficultés des Nippons sont mises sur le compte d’un « mondialisme totalitaire », et les étrangers, qu’il s’agisse du développement du tourisme, de la hausse de l’immigration ou des achats massifs, notamment par des Chinois, de biens immobiliers, facilités par la faiblesse du yen.
Pour conclure rapidement :
– pour la première fois de son histoire, le Japon va avoir une femme comme Première ministre, malgré des électeurs très majoritairement masculins, on ne peut y voir qu’un progrès, d’autant que l’énergie ne lui manque pas.
– il serait regrettable qu’elle fasse des étrangers les seuls responsables des difficultés d’un pays qui reste parmi les plus industrialisés de la planète. L’auteur de ces lignes en avait détaillé les problèmes de tous ordres, géopolitiques comme intérieurs, dans son article du 21 juillet dernier : ils sont toujours présents.
– alors que certains commentateurs japonais prédisent que le PLD risque tout simplement de disparaître, Mme Sanae devra prouver qu’un « changement de génération » (elle n’a que 64 ans, ce qui pour le Japon est jeune) permettra de revitaliser un système politique apparemment à bout de souffle.
Chaque semaine, recevez notre lettre d’informations Gavroche Hebdo. Inscrivez-vous en cliquant ici.