Une chronique birmane de François Guilbert
Le premier tour des élections générales voulues par la junte installée au pouvoir en février 2021 se tiendra le 28 décembre. A cette date, la Commission électorale de l’Union (UEC) vient d’apporter quelques précisions calendaires.
Deux autres consultations électorales s’ajouteront d’ici la fin janvier 2026
Les échéances n’ont pas été énoncées pour autant. Mais puisque chaque votation est censée être séparée de deux semaines, les électeurs seront probablement invités à se rendre aux urnes les dimanches 11 et 25 janvier. Aujourd’hui, ces timings ne sont pas publics. Ils seront dans les faits secondaires pour le régime militaire de la Commission de la sécurité et de la paix de l’Etat (SSPC). Cela peut paraître néanmoins étonnant. Le vote intervenant au 361ème jour de cette année ne concernera en effet que 30,9 % des circonscriptions nationales.
Pas sûr toutefois que ce chiffrage soit celui du général Min Aung Hlaing. Aux premiers jours de 2026, il pourra en effet faire savoir urbi et orbi que la Chambre des représentants (Pyithu Hluttaw) connaît 61 % de ses élus. Alors, 102 des townships auront choisi leurs députés. 56 autres n’auront pu le faire du fait de situations dites « inappropriées » selon le langage de l’UEC. Un chiffrage d’ailleurs bien bas puisque dans ces dernières annonces l’UEC a comptabilisé 7 townships appelés à voter alors qu’ils sont soumis au régime de l’état d’urgence. Quant au commandant-en-chef des services de défense, il aura, lui, pu désigner les personnels des forces armées appelés à occuper les 25 % des sièges parlementaires réservés à des femmes et des hommes en uniformes.
Tout se jouera lors du premier passage dans les bureaux de vote le 28 décembre
Le séquençage des étapes électorales s’il peut donner le sentiment d’une vaste et méthodique consultation citoyenne, il vise, avant tout, à masque l’incapacité de l’appareil de sécurité à maitriser tout le territoire sur une seule et même journée. Il devrait également offrir la possibilité de démontrer que la scène politique est dominée par le parti lige de la Tatmadaw : le Parti de l’Union pour la solidarité et le développement (USDP). Les premiers résultats seront proclamés, dit-on, dès les premiers jours de janvier.
Plus généralement, après quelques atermoiements, l’UEC a fait savoir in fine que 6 formations politiques seulement seront candidates à l’échelon national. Outre le relais historique de l’armée seront présents sur les bulletins de vote les candidats et candidates du Parti pour le développement des agriculteurs de Birmanie (MFDP), une formation agrarienne ultranationaliste enregistrée en 2012 ; du Parti de l’unité nationale (NUP), héritier du Parti du programme socialiste de Birmanie du général Ne Win (1962 – 1988) ; du Parti populaire (PP) fondé en 2019 par une figure de la contestation étudiante de 1988 U Ko Ko Gyi ; du Parti des Pionniers du Peuple (PPP) mis en place en 2019 et dont la cofondatrice devint ministre du gouvernement après le putsch de 2021 ; et du Parti national du développement shan (SNDP) créé en 2010 et parfois plus connu sous le nom du Parti du Tigre blanc.
Tous ces groupes « concurrents » ont un point commun : avoir été des opposants résolus à la Ligue nationale pour la démocratie (NLD) d’Aung San Suu Kyi et cela avant même le pronunciamento du général Min Aung Hlaing.
En outre, ils se sont montrés de dociles compagnons de route de l’USDP, y compris dans ses diatribes antimusulmanes et son hostilité aux Rohingyas. Aucun parti parmi le groupe des cinq faisant face au parti dirigé facialement par le général (cr) Khin Yi n’est et ne sera capable de rivaliser avec l’USDP. Au regard de leur passé et de la bienveillance électorale des régimes militaires successifs, ils peuvent tout au plus espérer quelques sièges en guise de strapontins.
Le NUP en gagna 17 à l’échelle nationale en 2010 (Amyotha Hluttaw : 5, Pyithu Hluttaw : 12). Le SNDP a connu un étiage un plus élevé avec 25 élus en 2010 (Amyotha Hluttaw : 7, Pyithu Hluttaw : 18), et 1 au parlement de l’Etat Shan en 2015 (-30 par rapport à 2010) et 2020. A défaut de sondages disponibles, il est impossible de mesurer le degré d’attractivité de chaque formation politique mais il est soit quasi-inexistant dans le cas du NUP, sans leader, sans programme et véhiculant la désastreuse image de la dictature des années 60 à 80, soit devant faire face à la concurrence de partis régionalistes identitaires.
A titre d’exemple, dans l’Etat Shan seront présentes des formations politiques pa-o (PNO), lisu (LNDP) ou encore danu (DNDP). Face à ces micro-partis ethniques, le SNDP part toutefois avec un certain avantage historique et de notoriété. Il peut en outre espérer bénéficier d’un coup de pouce de l’introduction de la proportionnelle. Sur les bulletins de vote seront imprimés le nom du candidat se présentant au suffrage uninominal à un tour et la dénomination de sa formation politique de rattachement, qui servira d’ailleurs à désigner les élus de la liste partisane des élus à la proportionnelle.
Pour obscurcir un peu plus le discernement de l’électeur, celui-ci aura à se prononcer pour des représentants mandatés pour trois subdivisions territoriales ayant des définitions géographiques non concordantes. Un mécanisme qui n’est pas susceptible de créer du lien entre l’électeur et son « représentant ». A cette dépossession s’en ajoute une autre : celle produite par les partis politiques eux-mêmes. Le choix de leurs candidats s’opère dans la plus grande opacité.
Dans le cas de l’USDP, il semble même se mener en dehors des instances existantes puisque le général Min Aung Hlaing qui n’exerce aucune responsabilité d’appareil, la constitution l’interdit pour les agents publics civils et militaires, a versé purement et simplement et sans discussion des cadres de l’armée et du gouvernement pour qu’ils se présentent sous la bannière du parti pro-militaire structurant.
Les résultats fabriqués mèneront des militaires USDP à toutes les manettes parlementaires
Dans une centaine de jours, plusieurs ministres et dizaines d’officiers supérieurs seront élus ou désignés parlementaires. Une douzaine de ministres vont donc « faire campagne » pour obtenir les suffrages de leurs concitoyens. Parmi ceux-ci figureraient 3 des 4 ministres de l’Union, les généraux Tin Aung San, Maung Maung Tin et Tuin Ohn et 10 des 28 autres détenteurs de portefeuilles du cabinet dont les ministres du commerce, de l’énergie, de la santé, des sports, du travail et du tourisme.
Autrement dit, 42 % des membres du gouvernement du général Nyo Saw semblent prendre les chemins des parlements de l’Union. A ce stade, le premier ministre n’apparaît pas lui-même candidat. Il en serait de même des ministres régaliens (affaires étrangères, défense, intérieur, frontières) et des membres de la SSPC. Parmi les personnalités les plus connues de l’appareil gouvernemental entrant en « compétition », on retiendra les noms de deux hommes influents : le général Mya Tun Oo, ministre des transports et communications (ministre de la défense le 1er février 2021) et le général Aung Lin Dwe, chef de cabinet du Conseil national de défense et de sécurité depuis le 31 juillet 2025, après avoir été le secrétaire du Conseil de l’administration de l’Etat (SAC) depuis 2021. Issus de l’appareil de sécurité. On relève également la présence de deux des adjoints au chef de la police et le patron des industries d’armement.
Aux manettes législatives seront présents des hommes ayant fait preuve de loyauté au SAC et à la SSPC
On est bien loin d’un processus politique inclusif permettant de rechercher voire bâtir les voies d’une sortie de crise. Le général Min Aung Hlaing n’en a d’ailleurs cure et le fait savoir, y compris à ses pairs de l’ASEAN. Depuis la mi-août s’annonçait à Nay Pyi Taw au 19 septembre une visite des ministres des affaires étrangères de l’ASEAN associant autour du malaisien Mohamad Hasan ses homologues indonésien, philippin et thaïlandais. Ce déplacement a été annulé peu avant les départs des capitales. Ils venaient pourtant discuter et s’informer des préparatifs élections de la junte selon les dires de Kuala Lumpur mais le généralissime birman s’est dit indisponible pour recevoir les émissaires. Une rebuffade dont il reste à savoir si elle durable et si la mission prévue sera reprogrammée avant le sommet d’automne des chefs d’État et de gouvernement.
Pour la junte, l’ASEAN n’est pas un partenaire essentiel à son parcours électoral
Bien que plusieurs États d’Asie du sud-est (ex. Cambodge, Thaïlande) aient montré quelques disponibilités à accompagner la votation voulue par le général Min Aung Hlaing, pour lui la bienveillance et les soutiens chinois, indiens, russes sont « suffisants ». Au fond, il est convaincu que les nations de l’ASEAN l’accueilleront tôt ou tard. Le rejet des scrutins 2025 – 2026 par une partie de la communauté internationale ne serait pas si dommageable à ses yeux. Il se plait probablement à rêver d’une situation comparable à celle intervenue après les élections générales de 2010 quand se levèrent les sanctions occidentales, et le régime en place à Nay Pyi Taw devint fréquenté par ceux-là mêmes qui le condamnait quelques années plus tôt. Avec patience et détermination, le numéro 1 de la SSPC se pense incontournable et capable de consolider sa vision de la gouvernance de la Birmanie.
Toutefois, il ne faut pas que le processus électoral soit totalement rejeté. Il sait que ses concitoyens ne vont pas s’empresser aux urnes et qu’il sera impossible de tenir des bureaux de vote dans autant de townships qu’en 2010, 2015 et 2020. Dès lors, il a besoin que les scrutins du 28 décembre soient endossés dans leur narratif par quelques grandes puissances et par des observateurs adéquates. Ce dernier aspect est en cours de montage. Des organisations proches du pouvoir s’y préparent localement.
Pour maitriser au plus près leurs communications, elles auront à remettre leurs rapports d’observation à l’UEC avant toute publication. En somme, le travail ne sera pas trop lourd. Il devrait porter sur le seul jour J et non comme par le passé sur la campagne électorale, le vote, le dépouillement et le temps d’appel. Quant aux observateurs internationaux, ils seront triés eux aussi sur le volet. Les invitations seront envoyées aux seuls pays et organisations « ayant maintenu des relations avec la Birmanie », autrement dit avec la SSPC ; reconnaissant donc la légitimité du pouvoir en place à Nay Pyi Taw depuis quatre années et demie.
François Guilbert
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