
Une chronique birmane de François Guilbert
Depuis quelques semaines, on assiste à un regain d’attention internationale sur le sort d’Aung San Suu Kyi. Le président Emmanuel Macron lui a envoyé, le 1er octobre, une lettre ouverte. Dans ce courrier rendu public par le fils de la Dame, Kim Aris, le dirigeant français a appelé à sa libération immédiate et sans condition.
En novembre, le ministre des Affaires étrangères thaïlandais, Sihasak Phuangketkeow, a fait de même publiquement et a porté ce message jusqu’à Nay Pyi Taw le 7 décembre, au plus grand déplaisir de la junte. Ce langage diplomatique similaire reflète un constat politique commun : il est nécessaire de réintroduire la lauréate du prix Nobel de la Paix dans une équation de sortie de crise négociée. Elle est en effet la dirigeante birmane à l’assise politique la plus large et a historiquement porté un projet de réconciliation nationale pacifique dans un pays en proie à la guerre civile.
Toutefois, au-delà de ce constat, il n’est pas certain que Paris et Bangkok partagent le même espoir de libération. Du côté français, on craint de voir l’octogénaire mourir en détention. En Thaïlande, on espère qu’elle pourra être prochainement élargie, une fois les élections générales convoquées par les militaires les 28 décembre 2025, 11 et 25 janvier 2026. Certes, le chef de la diplomatie thaïlandaise proclame que ces scrutins orchestrés par le général Min Aung Hlaing ne seront ni libres ni crédibles, mais il croit qu’ils pourraient constituer un premier pas vers un retour à la « normale ». Le dernier régime militaire sans partage à Nay Pyi Taw n’avait-il pas ouvert la voie aux réformes il y a plus d’une décennie ?
Il est improbable qu’Aung San Suu Kyi soit libérée rapidement
Espérer qu’elle retrouve ses partisans le 29 janvier 2026, quatre jours après les élections, comme en 2010, paraît inimaginable. À l’époque, elle avait retrouvé sa liberté après 15 des 21 années précédentes passées en détention. Aujourd’hui, elle et son parti sont considérés comme des acteurs « terroristes ». Leur futur et leur statut sont donc bien plus incertains qu’autrefois.
Suu Kyi, âgée de 80 ans, est également plus âgée que ses rivaux militaires, dont certains ont onze ans de moins. En 2010, elle était de la même génération que le nouveau chef de l’État ; aujourd’hui, le temps joue contre elle. Tous ses adversaires militaires ont l’avantage de la longévité et de la puissance institutionnelle.
Le pouvoir militaire plus concentré que jamais
Le général Min Aung Hlaing, qui voue une haine viscérale à Daw Aung San Suu Kyi, exerce un contrôle sur les institutions bien plus large que celui du général Thein Sein en 2011. Ce dernier devait composer avec un commandant en chef novice et un ex-potentat encore influent, le général Than Shwe, ainsi qu’un président de la Chambre basse difficilement contrôlable, le général Thura Shwe Mann.
En 2026, si Min Aung Hlaing s’impose à la tête de l’État, il gouvernera sans véritables contrepoids. Plusieurs de ses hommes de confiance pourraient accéder aux plus hautes fonctions : le premier ministre actuel, le général Nyo Saw (59 ans), et le président de l’USDP, le général Khin Yi (63 ans), viseraient les postes de vice-présidents. Le général Mya Tun Oo (64 ans) pourrait présider la Chambre basse, et le général Aung Linn Dway (63 ans) la Chambre haute.
Ainsi, la Birmanie pourrait être dirigée par des généraux sexagénaires, mais choisis par un chef déterminé à exercer le pouvoir jusqu’au moins 2031. Min Aung Hlaing a récemment reversé près de 500 militaires de haut rang à l’USDP et viserait à se protéger, lui et les autres putschistes, de toute poursuite judiciaire future.
Des élections 2025-2026 radicalement différentes de 2010
Le retour des dirigeants de la Tatmadaw à la tête de tous les organes dirigeants montre que le haut commandement n’est pas disposé à partager le pouvoir. Contrairement à 2010, lorsque l’influence de Than Shwe s’était diluée, il est peu probable que Min Aung Hlaing fasse de même en 2026.
Le processus électoral est également différent. La Ligue nationale pour la démocratie (NLD) a été évincée de jure, et non par un boycott volontaire. Les six formations politiques en lice ne sont pas nouvelles et les candidats ne sont pas libres de leurs propos, sous l’effet de lois coercitives récentes. Le nombre de candidats a diminué de 8,2 % par rapport à 2020 et le nombre de partis de 37,3 %. Dans un tel contexte, il est difficile de croire que ces scrutins amorceront une transition politique.
L’ASEAN n’enverra aucun observateur officiel. Les diplomates qui se rendront sur place se limiteront à des rapports confidentiels. Min Aung Hlaing affirme que l’armée « maintiendra son leadership politique » et que toute réduction de sa participation aux parlements dépendra de l’absence de groupes armés, situation que la Birmanie n’a jamais connue depuis son indépendance en 1948.
Des élections échelonnées pour la première fois en 70 ans
La situation sécuritaire empêche des millions d’électeurs de voter. Le 31 octobre, le Conseil national de défense et de sécurité a prolongé de 90 jours l’état d’urgence dans 63 townships de neuf États et régions. La junte devra réduire le nombre de bureaux de vote : 19 % des sièges de la Chambre basse ne seront pas pourvus et de nombreux bureaux resteront fermés.
En 2026, le pouvoir central sera davantage mobilisé par un agenda sécuritaire que par un agenda électoral. La priorité de Nay Pyi Taw sera la reconquête militaire des territoires perdus depuis l’offensive de 2027, accompagnée d’intensification des bombardements et de la conscription. Les insurgés, eux, refusent massivement la capitulation, rendant la guerre civile toujours d’actualité.
François Guilbert
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