
Une chronique birmane de François Guilbert
Le 28 octobre, la campagne des élections générales des militaires s’est officiellement ouverte. Elle va se dérouler encore pendant vingt-neuf jours. Désormais, tous les townships concernés par la tenue des bureaux de vote les dimanches 28 décembre, 11 janvier 2026 et possiblement 25 janvier, sont donc connus. Enfin presque ! La dernière date de la consultation citoyenne demeure incertaine, pour ne pas dire un secret d’État. La Commission électorale de l’Union (UEC) n’a pas cru bon faire savoir aux citoyens le jour de la troisième étape. Elle n’a pas dit, non plus, quand elle la proclamera. De surcroît, tous les électeurs du pays ne seront pas in fine mobilisés.
19 % des circonscriptions relèvent du régime de l’état d’urgence, elles seront donc privées d’élections. Mais même là où des consultations sont d’ores et déjà programmées, il s’avèrera impossible pour la junte de tenir tous les bureaux de vote nécessaires à une consultation inclusive. L’introduction de machine électronique en lieu et place d’urnes transparentes ne changera rien à l’affaire.
Au deux-tiers de la chronologie électorale militaire, seuls 6 townships sur 10 se seront exprimés
La géographie électorale rendue publique par l’UEC dépeint assez bien la territorialisation des conflits armés en cours. Dans les Etats Chin et Rakhine moins d’un quart des subdivisions territoriales seront sollicitées d’ici la mi-janvier 2026. Pire, dans ces deux provinces adossées au Bangladesh et à l’Inde, le processus de sélection des parlementaires sera même totalement à l’arrêt en début d’année prochaine.
Ce n’est pas les seuls lieux où les militaires peinent à orchestrer leurs élections. Il en est de même dans la partie septentrionale du pays. Sur la bordure kachin après les deux premiers segments électoraux, l’UEC aura cahin-caha tout juste permis la consultation d’un township sur deux. Le 11 janvier, il y aura même dans la province adjacente à la Chine deux fois moins d’arrondissements mesurés qu’à la fin décembre 2025. Signe que la junte n’est pas en mesure aujourd’hui de maîtriser les étendues conduisant à la stratégique province du Yunnan. Pékin a beau soutenir avec ostentation le processus électoral voulu par le général Min Aung Hlaing, leurs volontés conjuguées ne suffisent pas à une reconquête rapide des zones perdues militairement en 2023 – 2024.
Ces dernières semaines en dépit des pressions exercées par la Chine, les combats se poursuivent dans l’Etat Kachin. La Tatmadaw multiplie les bombardements aériens et les opérations de harcèlement des positions de ses ennemis. Mais l’Armée de l’indépendance (KIA) ne plie pas. Elle affiche son hostilité aux scrutins de la junte et maintient ses étaux de combattants sur la ville de Lashio et les installations de la Tatmadaw. Perspectives électorales et début de la saison sèche obligent, les soldats du général Min Aung Hlaing sont à l’offensive.
C’est particulièrement vrai dans près d’un quart des circonscriptions privées d’élections du fait de l’état d’urgence. Les violences nées des élections de la junte ne sont donc pas intrinsèquement liées à un Jour J que les oppositions chercheraient à bloquer, elles sont le fait du processus électoral lui-même. C’est pourquoi, leur escalade a commercé depuis quelques temps déjà. Cependant, la guerre civile ne s’exprime pas seulement sur les champs de bataille, elle innerve aussi les réseaux de communication et de propagande.
Pour donner l’impression que la junte est adoubée par le peuple, le processus électoral est abondamment mis en scène par les médias et les réseaux sociaux
Depuis quelques jours, la communication d’État multiplie la diffusion de « cérémonies de la victoire ». On y voit en provinces des soldats déambulant colliers de fleurs au cou ou défilant en bon ordre dans des rues bordées par des habitants les accueillant plus ou moins fraternellement. La scénographie met en avant une armée inexorablement victorieuse. Pour autant, les avancées territoriales récentes des soldats de la junte sont encore modestes, bien que réelles. Une dynamique très insuffisante pour conquérir de nombreux territoires et y ouvrir à temps les bureaux de vote manquants.
A y regarder de près, au cours des votations étalées sur 28 jours et 3 étapes, l’UEC n’aura réussi à boucler rapidement sa charge électorale que dans la province-capitale de Nay Pyi Taw et l’État Môn. Pour des raisons de sécurité, elle se sera montrée également très précautionneuse dans son ordonnancement des bureaux de vote dans les deux régions les plus urbanisées, y séquençant quasiment par tiers des townships, chacune des étapes d’appels aux urnes.
Le calendrier par États et régions des consultations électorales de la junte
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États et régions |
28 décembre 2025 |
11 janvier 2026 |
Σ au 25 (?)/01/2026 |
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Région Ayeyarwady |
30,7 % |
34,6 % |
65,3 % |
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Région Bago |
28,5 % |
42,8 % |
71,4 % |
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État Chin |
22,2 % |
0 % |
22,2 % |
|
État Kachin |
33,3 % |
16,6 % |
50 % |
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État Kayah |
28,5 % |
28,5 % |
57 % |
|
État Kayin |
42,8 % |
28,5 % |
71,4 % |
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Région Magway |
36 % |
44 % |
80 % |
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Région Mandalay |
28,5 % |
32,1 % |
60 % |
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État Môn |
50 % |
50 % |
100 % |
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État Rakhine |
17,6 % |
0 % |
17,6 % |
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Région Rangoun |
26,6 % |
35,5 % |
62,2 % |
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Région Sagaing |
32,4 % |
29,7 % |
62,1 % |
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État Shan |
21,8 % |
30,9 % |
52,7 % |
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Région Tanintharyi |
40 % |
30 % |
70 % |
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Territoire de l’Union – Nay Pyi Taw |
100 % |
0 % |
100 % |
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Total / 330 circonscriptions |
30,9 % |
30,3 % |
61,2 % |
L’étalement dans le temps des consultations dans les plus grandes concentrations urbaines laisse transparaître une junte craignant de voir ses « chères élections » fortement contestées par les populations civiles. C’est d’ailleurs pourquoi, elle multiplie à l’heure actuelle les mesures d’intimidation. Plus d’une centaine de personnes auraient d’ores et déjà été interpellées et poursuivies devant la justice pour avoir exprimé leur rejet des votations.
Afin d’accentuer un peu plus encore la coercition, il vient d’être annoncé la mise sur pied d’un comité interministériel chargé d’engager des poursuites judiciaires contre la publication d’infox, de contenus obscènes et les attaques politiques sur Internet. Ce nouvel instrument de terreur a été placé sous l’autorité du vice -ministre de l’Intérieur.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le processus de désignation des parlementaires engagé par la Commission de la sécurité et de la paix de l’État (SSPC) est conduit dans un cadre non-démocratique et policier. Il est aussi très opaque et pétri d’inégalités entre les territoires et les candidats. Parmi les curiosités du moment, on ne sait pas, par exemple, si les campagnes des candidats aux députations qui ne seront pas désignés le 28 décembre, seront légalement possibles en janvier 2026. En effet, la date officiellement arrêtée de la fin des mobilisations partisanes a été fixée au 26 décembre : soit 16 et 30 jours avant le deuxième et troisième tour. Dans un tel contexte pas étonnant que les électeurs se sentent peu concernés et les partis peu mobilisés.
Signe que la consultation est pour le moins biaisée, le Parti de l’Union pour la solidarité et le développement (USDP) a été la première formation politique à être invitée à présenter son programme dans les médias. C’est également jusqu’ici la seule à avoir tenu un meeting public d’une certaine ampleur. Par prudence, il a été néanmoins organisé à Nay Pyi Taw, un des bastions du régime militaire. On est vraiment très loin de l’ambiance énergisante et compétitive des semaines de joutes électorales de l’année 2020 qui conduisirent aux triomphes de la Ligue nationale pour la démocratie et de sa cheffe Daw Aung San Suu Kyi.
François Guilbert
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