Home Accueil CAMBODGE – POLITIQUE : En exclusivité, le bilan des décennies Hun Sen dressé par Sam Rainsy

CAMBODGE – POLITIQUE : En exclusivité, le bilan des décennies Hun Sen dressé par Sam Rainsy

Date de publication : 12/08/2023
1

Sam Rainsy

 

Nous publions régulièrement les tribunes du chef de l’opposition cambodgienne en exil Sam Rainsy. Celles-ci n’excluent en rien la possibilité d’accueillir aussi dans les colonnes de Gavroche des points de vue et opinions de personnalités proches du pouvoir Cambodgien. Mais à l’heure où le royaume s’apprête à passer dans les mains d’un nouveau premier ministre, fils de Hun Sen, ce bilan signé Sam Rainsy doit être lu et écouté.

 

Par Sam Rainsy

 

Ce 22 août, après un vote sans surprise de l’Assemblée nationale, Hun Manet deviendra officiellement premier ministre en remplacement de son père Hun Sen qui aura occupé ce poste pendant presque quatre décennies.

 

Le moment est venu d’évaluer ce que Hun Sen a laissé au Cambodge depuis qu’il est devenu premier ministre en 1985.

 

Ses réalisations le plus souvent mises en avant, car indéniables, sont la paix et le développement économique, surtout par rapport aux quinze années précédant 1985 qui ont été marquées par le coup d’état pro-américain de Lon Nol en 1970, la plongée du Cambodge dans la guerre du Vietnam, les massacres génocidaires commis sous le régime khmer rouge dirigé par Pol Pot, l’invasion du Cambodge par les troupes vietnamiennes, l’occupation vietnamienne et la guerre civile – en fait une confrontation entre puissances régionales ou mondiales par Cambodgiens interposés – jusqu’aux Accords de Paix de Paris de 1991.

 

Paix et développement économique

 

Hun Sen a abusivement mis le retour de la paix à son profit exclusif. C’est oublier le rôle décisif dans la réconciliation nationale joué par l’ancien roi Norodom Sihanouk. C’est surtout ignorer le fait que le processus de paix a été facilité par la fin de la guerre froide et l’écroulement du communisme en Europe. La signature des Accords de Paris du 23 octobre 1991 a précédé de deux mois seulement l’effondrement de l’Union Soviétique. Depuis plusieurs années auparavant l’URSS avait prévenu le Vietnam qu’elle ne pourrait plus soutenir son effort de guerre au Cambodge. Quant à la Chine qui soutenait les Khmers rouges contre le Vietnam pro-soviétique, elle n’avait plus de raisons de porter Pol Pot à bout de bras. La guerre ne pouvait que cesser, faute de commanditaires.

 

Maintenant, sous le régime autoritaire et corrompu actuel où la population est privée de liberté et de justice, la paix est vidée d’une partie de sa substance et fait penser à la “paix des cimetières” qui règne en Corée du Nord.

 

Le Cambodge a connu un développement économique remarquable pendant ces trente dernières années. Le contraire eût été étonnant. D’abord le pays qui avait pratiquement été réduit en cendres par les guerres, les massacres et des pillages de toutes sortes, redémarrait à partir d’un niveau très bas. Ensuite, après les Accords de Paris qui comportent un important volet “Reconstruction” dont le financement était assuré par les principaux bailleurs de fonds mondiaux, le Cambodge est l’un des pays qui a reçu le plus d’aide internationale par tête d’habitant. Plus récemment la Chine a consenti des prêt colossaux au Cambodge dont l’utilisation donne lieu à de nombreuses interrogations. En tout cas, ce n’était pas l’argent qui manquait.

 

Capitalisme sauvage gangrené par la mafia

 

Le taux de progression du PIB a été élevé au cours des trente dernières années : au moins 6 à 7% par an en moyenne. Mais il n’a rien d’extraordinaire par rapport aux performances des pays voisins tels que le Vietnam et la Thaïlande. En fait, l’écart de niveaux de vie avec ces pays voisins tend à s’aggraver depuis dix à quinze ans, ce qui conduit à relativiser le développement économique au Cambodge. 

 

C’est la qualité de la croissance en termes de durabilité et d’équité qui laisse à désirer. Les principaux moteurs de cette croissance plutôt anarchique ont été la déforestation (le Cambodge a souffert sur la période considérée d’un taux de déforestation parmi les plus élevés de la planète), la spéculation immobilière, les casinos, le blanchiment d’argent et la prostitution et autres formes de trafic d’êtres humains. Comment parler de durabilité quand les ressources naturelles disparaissent à vue d’œil et que le tissu social se déchire si dangereusement ? Comment parler d’équité quand cette croissance basée essentiellement sur la corruption ne profite qu’à une petite élite politico-financière rassemblée autour de la famille Hun Sen et qu’elle ne fait que creuser les inégalités et injustices sociales ?

 

Comme en Russie ex-Union Soviétique, le passage du communisme au capitalisme et la fausse transition vers la démocratie ont permis à des dirigeants ou clans politiques d’organiser des ventes de biens de l’État d’une manière complètement opaque et arbitraire. Ces agissements ont propulsé la corruption à un niveau jamais atteint auparavant et ont donné naissance à une nouvelle mafia dirigée par les “oligarques” et leurs protecteurs politiques. A la différence de la Russie où il y a eu plusieurs clans rivaux ou successifs représentant l’élite politico-financière, le Cambodge n’a connu que le clan Hun Sen qui a décidé de tout durant cette brutale mutation vers le capitalisme.

 

Deux phénomènes sans précédent reflètent une souffrance sociale indéniable.

 

– Contredisant les statistiques officielles qui indiquent un taux de chômage fallacieux inférieur à 1%, plus de deux millions de jeunes cambodgien, soit quelque 20% de la population active, ont dû s’expatrier pour devenir travailleurs migrants en Thaïlande où ils vivent dans des conditions très précaires. Un tel phénomène de migration transnationale massive pour une raison de survie économique n’était jamais survenu auparavant au Cambodge.

 

– La population cambodgienne est la plus endettée au monde si l’on se base sur le pourcentage de la dette individuelle moyenne par rapport au revenu par tête d’habitant. Cet endettement qui s’accroît chaque année montre que la population ne peut plus compter sur ses revenus déclinants pour faire face à ses dépenses croissantes ne serait-ce que du fait de l’inflation. On peut parler d’une faillite économique cachée provisoirement par un endettement de survie qui n’est qu’une fuite en avant … jusqu’à ce que la situation devienne explosive.

 

Régime néo-khmer rouge avec relents fascistes

 

C’est sur le plan politique que l’héritage laissé par Hun Sen est le plus inquiétant. En tant qu’ancien commandant militaire khmer rouge sous Pol Pot, Hun Sen a gardé une mentalité et une culture caractéristiquement khmères rouges. Il continue de faire reposer le régime qu’il incarne jusqu’à ce jour sur le triptyque de la dictature polpotienne : la peur (khlach), la faim (khlean), l’ignorance (khlav).

 

La logique de contrôle de la population reste identique même si les méthodes utilisées revêtent une intensité moindre.

–       La peur : elle résulte de la préservation d’un état policier qui quadrille, contrôle et terrorise la population en employant des méthodes violentes.

–       La faim : elle consiste à maintenir une population pauvre dans la dépendance économique – ou même simplement alimentaire – à l’égard du parti au pouvoir dont les “donations” sont conditionnées à l’obéissance politique.

–       L’ignorance : elle est associée au manque d’information objective et/ou diversifiée résultant de la fermeture forcée des médias indépendants, ce qui permet de mieux soumettre la population à une propagande partisane obscurantiste.

 

Ce régime néo-khmer rouge présente de surcroît des relents fascistes caractérisés par un État policier qui surveille tout, un grand chef tout-puissant (Hun Sen) qui fait l’objet d’un véritable culte de la personnalité, un capitalisme sauvage où les plus grosses fortunes sont associées au pouvoir politique, une répression sanglante à l’encontre de l’opposition, une attaque en règle contre les syndicats ouvriers, un roi potiche, silencieux et complice, et un clergé apeuré ou opportuniste avec des chefs religieux complaisants envers le régime.

 

Hun Manet ne pourra rien changer

 

Tant que Hun Sen restera vivant et continuera de tirer les ficelles, il est illusoire de s’attendre à une quelconque libéralisation de ce régime néo-khmer rouge mis en place par Hun Sen lui-même. Hun Manet est prisonnier de tout le système décrit plus haut.

 

Tant que ce système restera en place, un changement (plus nominatif que réel) de premier ministre ne changera pas grand-chose. On se souvient des espoirs soulevés en Syrie lors de la succession en l’an 2000 du président Hafez al-Assad par son fils Bashar al-Assad représentant une nouvelle génération plus éduquée et plus ouverte. Ces espoirs se sont vite dissipés car le fils s’est révélé pire que le père en termes de violations des droits de l’homme et de confrontation avec l’Occident. Cela prouve bien qu’un changement de personnes ne changera rien tant que le système reste le même.

 

Le système actuel repose sur la répression politique et policière et ne peut se permettre une quelconque ouverture au risque d’entendre les voix de la contestation couvrir tout le pays et de voir l’opposition démocratique l’emporter à la première vraie élection. La répression de plus en violente à laquelle on assiste depuis plusieurs années est une fuite en avant dans laquelle Hun Manet ne peut qu’emboîter le pas à Hun Sen.

 

Sur le plan extérieur, il n’y aura aucun changement non plus car l’alliance avec la Chine communiste est vitale et irremplaçable pour le régime Hun Sen en termes de soutien politique, diplomatique, financier et militaire. De son côté, la Chine militariste ne quittera jamais le Cambodge tant que la famille Hun Sen restera au pouvoir. Pour la Chine aussi, vassaliser le Cambodge pour en faire un bastion militaire et un avant-poste de Pékin dans la péninsule indochinoise est une option stratégique fondamentale (irréversible tant que durera le régime Hun Sen) pour poursuivre sa politique expansionniste mondiale.

 

L’Occident ne doit plus se faire d’illusions quant à la possibilité de détacher le régime Hun Sen de la Chine et de ramener le Cambodge sur la voie de l’indépendance et de la neutralité comme l’y obligent les Accords de Paris de 1991 ainsi que sa constitution promulguée à la suite de ces Accords. Continuer à nourrir ce genre d’illusions et ne pas comprendre que l’alliance stratégique avec Pékin revêt un caractère existentiel pour le régime Hun Sen, conduit l’Occident et des pays comme le Japon et l’Australie à perdre un temps précieux qui pourrait être autrement utilisé pour définir une stratégie réaliste et efficace pour défendre leurs intérêts et leur sécurité.

 

Sam Rainsy

 

Chaque semaine, recevez Gavroche Hebdo. Inscrivez vous en cliquant ici.

1 COMMENTAIRE

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Les plus lus