
Une chronique «Vu du Cambodge» de Yann Moreels
La Thaïlande pourrait-elle être poursuivie pour crime contre le patrimoine de l’humanité ?
Les faits sont là, et les déclarations des responsables politiques et militaires thaïlandais ces derniers jours semblent renforcer l’idée qu’un plan d’attaque de onze points différents le long de la frontière entre le Cambodge et la Thaïlande visait à décourager définitivement les Cambodgiens de se défendre autour des ruines de plusieurs temples considérés comme… khmers !
Temples anciens de grande richesse archéologique, que les cartes du traité de 1907 ont situés au Cambodge, sur des terres que les Thaïs pensaient jusqu’à récemment être à eux.
Au moins aujourd’hui, ou ces quatre derniers jours où les combats visaient à décourager les Khmers pour toujours, était-il nécessaire que les temples soient ciblés par les bombardements ?
Les populations locales étaient sur les routes de l’effroi, les soldats khmers se tenaient à distance pour riposter et se protéger de l’aviation de la Thai Royal Air Force. Alors pourquoi, dès le premier jour des combats, le temple de Ta Krabey a-t-il été partiellement détruit, puis achevé le 8 décembre au soir ?
Le Prasat Ta Krabey, « l’œil du buffle » (krobay), est un temple construit durant la période d’Angkor, l’âge d’or de l’histoire cambodgienne. Site religieux du XIe siècle, hindouiste, il était dédié au dieu Shiva et devenu une attraction touristique intérieure majeure du Cambodge.
C’était (c’était !), un « temple sacré » situé à flanc de colline, que les avions n’ont pas pu facilement pilonner. Des tirs de mortier sur des pierres millénaires ont fait vaciller les voûtes sacrées de ce qui était devenu un petit château fort ces derniers mois, puis déserté au moment des frappes. Sauf peut-être un bonze ermite…
Pourquoi, le lendemain, l’attaque s’est-elle répétée ? Et pourquoi ce site millénaire n’est-il plus aujourd’hui qu’un amas de vieilles pierres ? Les Khmers le pleurent.
Les photos sont terribles et sont parvenues au roi du Cambodge, membre influent de l’UNESCO, qui ne manquera pas de porter plainte comme il l’entend. L’attention de la communauté internationale se portera désormais aussi sur ce patrimoine détruit.
Détruit par des militaires ignorants
Pire : le troisième jour de cette deuxième guerre de décembre 2025, des bombardements et des dégâts ont touché le principal temple situé plus au nord, dans la province de Preah Vihear. Un bijou de l’histoire dont les Thaïs sont très envieux, car il est un potentiel touristique important. À nouveau abîmé par les combats. C’est là que les soldats thaïs avaient fait dix-huit prisonniers ennemis sans armes en juillet dernier, au moment de la signature du cessez-le-feu…
Ce temple est protégé par l’UNESCO depuis 2008, patrimoine de l’humanité situé sur le sol cambodgien. Le roi du Cambodge, SM Norodom Sihamoni, ne laissera pas passer de telles attaques contre le patrimoine culturel mondial.
C’est à se demander si les hordes militaires ne se conduisent pas comme des Talibans — des « Thaïlibans » destructeurs de monuments religieux.
Et si les dirigeants qui s’agitent à Bangkok n’étaient qu’une variété de politiciens incultes. Le peuple, jeune et intelligent, tranchera un jour.
Les Cambodgiens et les observateurs internationaux sont ébahis. Comment justifier de vouloir détruire ce dont on est envieux et que l’on ne parvient pas à atteindre ou à posséder ?
Le ministère de la Culture et des Beaux-Arts du Cambodge a condamné les bombardements touchant le temple de Preah Vihear, soulignant que les frappes ont endommagé les installations du « programme de conservation archéologique » mené par l’Inde sur ce temple khmer, temple déjà qualifié par la Cour internationale de justice.
Bangkok est-elle propice à un prochain coup d’État militaire ? À moins qu’il ne soit déjà engagé et que la dissolution du Parlement ne soit qu’une étape.
Yann Moreels

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