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Laos : Le « ya ba » au cœur du narcotrafic

Journaliste : Paul Thélès
La source : Gavroche
Date de publication : 16/12/2012
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Aujourd’hui drogue de prédilection dans la plupart des pays d’Asie du Sud-Est, la déferlante de ya ba n’a pas épargné le Laos, où les trafiquants ont su tirer profit de la position centrale du pays, au carrefour entre producteurs et consommateurs.

 

Vientiane, octobre 2009 : la police annonce le démantèlement d’un réseau de trafiquants au sein des milieux étudiants de la capitale. Elle saisira lors de l’opération 7,5 kg de méthamphétamines, du matériel servant à la fabrication de la drogue et des armes à feu. L’événement est salué par les journaux du gouvernement, qui n’ont de cesse de rappeler les succès de la politique d’éradication de la drogue. S’il est vrai que la lutte contre la production et le commerce d’opium a eu un certain succès, les méthamphétamines, dont font partie « yabaa », « ice » et « crystal », ont remplacé les opiacés dans la colonne des faits divers. Alors que personne n’en avait entendu parler avant 1996, on estime aujourd’hui à plus de 40 000 le nombre de consommateurs de yabaa (« pilule qui rend fou ») au Laos.

 

Selon l’ONUDC (1), le marché s’évalue à 400 millions de dollars par an, soit 10% du PIB. La petite pilule orange séduit particulièrement les jeunes de 15 à 25 ans qui veulent prolonger leurs soirées ou augmenter leur consommation d’alcool. Selon un sondage récent publié par le CHAS (2), plus de 75 % des consommateurs l’utilisent à des fins récréatives (consommation d’alcool, relations sexuelles, courses automobiles, sorties en boîtes de nuit, jeux d’argent). D’autres pour prolonger leurs heures de travail, allier emploi et étude, ou encore, perdre du poids plus rapidement. Vendu entre 20 000 et 30 000 kips par comprimé (76 à 114 bahts), les dealers visent en priorité les milieux aisés, où les jeunes entre 12 et 19 ans ont un accès facile à l’argent. La première prise est toujours gratuite et les revendeurs n’hésitent pas à vanter les effets stimulants, créant chez les plus jeunes une confusion entre drogue et médicament. Les mauvais créditeurs sont engagés comme intermédiaires, chargés d’étendre le réseau de consommateurs.

 

En milieu urbain, le yabaa fait rapidement des adeptes. En effet, en 2005, un jeune sur trois avouait avoir essayé, contre seulement 3,7% deux ans plus tôt. Mais peu à peu, la méthamphétamine sort des boîtes de nuit de la capitale et suscite des craintes au sein d’un plus large public. Ainsi, après n’avoir pas pu trouver le sommeil pendant trois jours de suite, malgré les 15 heures de travail quotidiennes, une employée d’usine textile s’enquit auprès de ses collègues de travail : « C’est une pratique courante, les employeurs diluent la pilule de yabaa dans l’eau ou la nourriture distribuée aux ouvrières, sans les avertir, pour leur permettre de maintenir un rythme de travail soutenu. » Si certaines préfèrent jeter les rations alimentaires généreusement offertes, d’autres y voient un coup de pouce salutaire pour tenir les horaires imposés, de 6 heures du matin à 11 heures du soir, avec deux heures de pause pour les repas, six jours sur sept. Signe qui ne trompe pas, Somsonga, l’ancien centre de détention devenu centre de réhabilitation, accueille de plus en plus de consommateurs de yabaa (lire en page 52), souvent envoyés là par leur famille.

 

Deux poids, deux mesures

 

Faut-il voir l’augmentation du nombre de consommateurs de yabaa comme la traduction d’un malaise social, d’une jeunesse laotienne en déroute ? Pas vraiment, car cette fois, les lois du marché sont inversées. C’est en effet une offre en pleine essor sur le marché régional, encouragée à transiter au Laos par le développement des réseaux routiers et une politique d’ouverture commerciale, qui a amené les trafiquants à créer une demande sur le marché local. Ajoutons à cela l’instauration de « zones économiques spéciales » bénéficiant d’une certaine souplesse juridique. Selon un rapport de l’Irasec publié par Danielle Tan (3), ces zones franches « permettent à l’Etat de tirer profit de pratiques classées illicites sur le reste du territoire, comme le jeu ou la prostitution », à l’image du Golden Boten City, à la frontière avec la Chine. Situé au nord du Laos, ce grand complexe hôtelier chinois en pleine forêt tropicale, construit autour d’un immense casino, propose prostitution, produits pornographiques et spectacles de travestis thaïlandais.

 

Selon le Asia Times, le propriétaire et principal investisseur de ce sanctuaire du jeu et de la prostitution ne serait autre que Lin Minxian, plus connu sous le nom de Sai Leun. Cet ancien chef militaire du Parti communiste birman, qui a construit sa fortune sur le trafic d’héroïne lorsqu’il était à la tête de l’Eastern Shan State Army (ESSA) (4), continue de régner sur Mong- La, un autre « Las-Vegas du Triangle d’Or » à la bannière chinoise, en Birmanie. Si plusieurs rapports mentionnent également l’existence de petits laboratoires dans le nord-ouest du Laos, la méthamphétamine en circulation est principalement issue des laboratoires clandestins situés en Birmanie, où le trafic permet de financer les mouvements armés d’opposition. Suite à un nouvel échec des négociations entre la junte et les groupes ethniques rebelles en juin dernier (la junte leur proposait d’assurer le contrôle des frontières en échange d’un cessez-le-feu), la reprise des hostilités encourage la production de stupéfiants des groupes cherchant à grossir leurs effectifs et leurs stocks d’armement.

 

A la croisée des chemins

 

L’essentiel de la production est destiné à la Thaïlande, premier marché mondial, ainsi qu’à la Chine et au Viêt-Nam. À la croisée des chemins entre producteurs et consommateurs, les itinéraires de trafic traversant le Laos se sont rapidement multipliés dès la fin des années 90, encouragés par un durcissement de la lutte antidrogue en Thaïlande. Des investissements massifs venus de Chine et de Thaïlande pour développer l’axe Kumming-Bangkok, reliant ainsi Boten à la « zone économique spéciale » de Houeisay (à la frontière thaïe), où un autre casino vient d’être inauguré en septembre 2009, a également servi le narcotrafic. Généralement payés en nature, les nouveaux intermédiaires chargés de faire transiter les stupéfiants par le Laos encouragent inévitablement une demande sur le marché local. De nombreux groupes organisés interétatiques, anciens trafiquants d’opium ou d’héroïne, se sont tournés vers ce nouveau marché en pleine expansion. Car contrairement au pavot dont le gouvernement laotien a interdit la production en 2005, la culture d’éphédrine servant à la fabrication de méthamphétamine est complètement légale.

 

PAUL THELES

 

(1) Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime
(2) Centre for HIV/AIDS and STI
(3) Dr. Chansy Phimphachanh, Directeur du CHAS, « Amphetamine type stimulants use in Laos : Implications for individuals and public health and public security »
(4) Michael Black et Roland Fields, « Virtual gambling in Myanmar’s drug country », Asia Times, août 2006

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