Mogok

Date de publication : 20/01/2021
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«Mogok», le roman qui raconte les entrailles birmanes et…parisiennes

 

Un roman noir a la facture classique, tel est le premier roman publié par le consultant Arnaud Salaün. Le récit ?  Un tueur à gages d’origine serbe, recruté via le darknet, a reçu pour mission de liquider un industriel privé de l’armement, pas n’importe le lequel : un fabricant de drones armés, bien évidemment peu regardant sur les destinataires finaux, publics ou privés, de ses bijoux technologiques. Un récit violent mais évoquant, avec lenteur, l’ensauvagement des rapports sociaux voire celui du monde des entreprises, sans pour autant tomber dans l’analyse géopolitique.

 

Dans cette histoire sombre sans enquêteur policier, le sujet principal traîne sans surprise son mal-être de bar en bar, voire de fille en fille. Mais d’une rencontre totalement fortuite naît une histoire, souvent intimiste et centrée sur un nombre limité de protagonistes.

 

L’anti-héros pour ne pas dire le criminel est happé par le monde underground parisien, celui du sur-moi de ses plasticiens, de la musique techno, des fêtards et des consommateurs de stupéfiants. Un univers dépeint avec réalisme et beaucoup de maîtrise. Il est vrai que le narrateur a eu un passé dans divers médias culturels.

 

Tous les lieux d’errements évoqués ne sont pas imaginaires. Loin de là même ! C’est vrai pour les espaces de libation, comme celui consacré au bar Dirty Dick (rue Nicolas Frochot dans le IXème arrondissement) et ses cocktails Tiki, ou encore certaines descriptions de la géographie et de l’histoire de la capitale, à l’image du parcours passant par la passerelle Debilly sur la Seine (Paris XVIème arrondissement) ou un diplomate est-allemand, travaillant pour les services secret communistes, fut retrouvé à ses pieds baignant dans son sang un jour de 1989.

 

Les deux tiers du récit à Paris

 

Au fil des chapitres, le choix du titre intriguera le lecteur, aussi bien celui qui connaît le nord-est de la Birmanie, que celui qui n’en a jamais entendu parler. Les deux-tiers du récit se déroulent en effet à Paris et dans sa proche banlieue nord. C’est seulement à la fin du roman que les principaux personnages se retrouvent en Asie du Sud-Est. Après un très court passage par Bangkok ou l’île de Koh Tao dans le golfe de Thaïlande, le récit s’achève en Birmanie.

 

Contrairement à ce que pouvait laisser présager le titre du roman, Mogok n’est qu’une des étapes du parcours birman de la chasse à l’homme. La vallée des rubis, si chère à Joseph Kessel, est dans les faits un lieu de passage éclair, sans même un lien avec les pierres précieuses, à commencer par les rubis qui ont fait sa renommée littéraire. Le marketing rural et la promotion du dentifrice ont ici, ô surprise, plus d’importance que le commerce des gemmes ! En trois chapitres, on passe donc de la région du Sagaing à celle du nord de l’Etat Kachin.

 

Contreforts himalayens

 

On pousse même jusqu’aux contreforts himalayens de Putao mais en traversant pas moins au pas de course : Mandalay, Shwebo ou encore Myitkyna. De courtes incursions, trop furtives pour parler des autochtones en détails (ex. Lisu, Shan,…), de leurs vies, de leurs histoires mais sans toutefois trop de clichés sur la société birmane et les groupes ethniques. La connaissance affichée des royaumes birmans est parfois pour le moins approximative mais ce n’est pas non plus ce que l’on attend en premier de l’exposé d’une traque meurtrière.

 

A contrario, Les savoir-faire militaires (ex. camouflage, rôle du producteur musical Pierre Spray, stalking,…) sont mentionnés avec précision. Un souci du détail et de la précision des données que l’on retrouve dans les descriptions de la variété des stups (cf. Captagon, cocaïne, ecstasy, GBL, kétamine, LSD, MDMA, méphédrone, poppers, speed, 3-MMC..) et de leurs effets cliniques, en particulier immédiats. Il est tout aussi chirurgical sur les ambiances musicales. Si un scénariste veut s’atteler à une adaptation télévisée, sa bande son est toute trouvée. Au fil des avancées du manuscrit, titres de chansons et interprètes lui sont donnés (cf. Eduard Artemiev, Drake, Nicki Minaj, Jackie Mittoo, Rihanna, The Black Madonna, Kanye West, Johnny Thunders…).

 

En attendant une telle diffusion ou une suite à ce premier essai réussi, peut-être plus « birmanisé » encore, les petits curieux pourront consulter les musiques évoquées sur Spotify. Je leur recommande de jeter également un œil aux travaux photographiques talentueux de l’iranien Abbas Kiarostami et du malien Malick Sidribe qui ont attiré, comme on peut le lire, toute l’attention du narrateur. Un texte fluide, bien écrit notamment dans l’évocation des émotions de ses quelques personnages structurant.

 

Francois Guilbert

 

Arnaud Salaün : Mogok, Seuil, 2020, 248 p, 18 €

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