Monde, Vaste Monde !

Date de publication : 12/10/2020
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Notre chroniqueur littéraire et historique François Doré est de retour. Passer plusieurs semaines sans la compagnie de ses écrivains français d’Indochine est un crève cœur. Le voici, heureusement, avec un roman emblématique. «Monde, vaste Monde» est le livre de référence d’Henry Daguerches, paru en 1909. Pour notre chroniqueur, tout est dit dans ce livre. Ou presque…

 

Une chronique littéraire et historique de François Doré

 

«Monde, Vaste Monde !» Il s’agit bien là d’un cri, celui de Louis Barbin de Tourange… Après avoir passé vingt ans de sa vie à fabriquer les meilleurs aciers du monde dans sa fonderie charentaise, pour Louis l’heure était arrivée de s’en aller plus loin que le bout de sa province, l’heure «d’enjamber le Monde»…

 

C’est en 1909 que paraît le deuxième roman d’Henry Daguerches. Pour lui, l’écriture est souffrance, et c’est de retour à Toulon qu’il peut livrer au lecteur cette belle histoire née pendant son séjour de spécialiste d’artillerie navale, six ans plus tôt, à la fonderie de canons de Ruelle, à 10 km d’Angoulême.

 

Louis de Tourange, orphelin, a hérité de son père une importante fonderie située à Magnac, près d’Angoulême. En vingt ans, il a su améliorer tous les procédés de fabrication et est arrivé à produire un acier si spécial que tous les fabricants de ces armements lourds si exigeants, souhaitent acheter. Le succès est immense, sa fortune est assurée, mais Louis n’est pas heureux. Il ne peut oublier son vieil oncle marin qui, le temps de ses escales, venait lui rendre visite dans son orphelinat. Et au triste prisonnier de ces murs sombres, le marin racontait à l’enfant des histoires merveilleuses, ces îles enchantées où grouillaient des raies géantes, des poissons perroquets et ces mers où tous les navires du monde jetaient leur obole de cadavres aux pieds plombés de boulets…

 

L’œuvre des hommes blancs

 

C’est là que Louis entendit parler pour la première fois de l’œuvre des hommes blancs, et aussi cette phrase, qui marqua tant le jeune garçon : «Tu ne peux pas savoir, petit, comme c’est beau une ville bâtie par les hommes !».. Et Louis précisera bien à Jacques, l’ami d’enfance, son projet : «Je ne suis pas le voyageur affamé d’espaces vierges… La terre sauvage et nue devant laquelle reniflent tant de touristes, je la trouve, moi, laide comme un cheval débridé…». Non ! gare au contre-sens ! le désir profond de Louis, est de couvrir le monde, de routes, de ports, de villes et de voies ferrées. La ville de Louis, c’était une ville raisonnable, de cette France douce et tempérée. Angoulême apparaissait comme un promontoire couronné de blancheur, fière de ses remparts qui dominaient d’un côté une plaine sans révolte et de l’autre un troupeau lointain de collines bleutées.

 

Suzanne, l’âme énergique

 

Si le monde quotidien de Louis se limitait à son usine et sa propriété de famille le long d’une jolie rivière à truites, l’Anguienne, par contre il aimait aller retrouver ses amies dans cette ville haute, que l’on appelait, comme dans ce Saïgon qu’il rêvait de découvrir, le Plateau, quartier d‘ancienne et bonne pierre, où l’air noble et un peu prétentieux que l’on y respirait, faisait rêver aux héroïnes balzaciennes. Et ce sont justement trois jeunes femmes du Plateau qui semblaient seules, pouvoir retenir Louis dans ses projets de départ. La distinguée Mme de Nyeuil, qui recevait dans son salon ou autour de son court de tennis, toute la bonne bourgeoisie de la ville. Elle avait été pendant quatre ans la maîtresse de Louis, ‘deux âmes également investies du sens des supériorités natives’. Et puis il y avait la jolie Suzanne Armellier, délicate artiste brune, personne aux prunelles brûlées, à la souplesse inquiétante des filles du sud. Bien que leur liaison régulière soit restée secrète, les deux amants continuaient à se voir dans le petit pavillon que possédait Louis, au pied du rempart.

 

Louis aimait Suzanne, âme énergique qui parfois lui cédait en de languides fléchissements, brune au charme exotique, image même de l’union de l’artiste et de la femme du monde. Pour elle, Louis était le héros possible d’un rêve éperdu d’évasion. Mais le monde lui faisait peur, justement ce Monde que Louis rêvait de conquérir…. C’est un matin que l’on remit à Louis une enveloppe bleutée et parfumée : elle était signée par Antoinette de Tourange, qui se présentait comme sa cousine orpheline, la fille de l’oncle marin et qui, ayant fait sa religion du souvenir de son père, souhaitait découvrir la Charente, terre de ses aïeux… Elle annonçait sa venue, et se présentait ‘libre comme un homme…

 

Exil à Hanoï

 

Nous ne dévoilerons pas la fin de cette belle histoire, que seule la relecture de l’Iphigénie en Aulide pourra vous aider à deviner. La troisième œuvre de Daguerches sera un recueil de poèmes, là encore conçu pendant son séjour charentais, mais publié beaucoup plus tard, en 1911 alors qu’il était de retour à Toulon. Un drôle de titre, ‘Le chemin de Patipata’ pour une consonance presque exotique, alors que Patipata n ‘est que le nom d’un faubourg d’Angoulême. Hélas, le livre n’aura aucun succès. Un témoin raconte, que, beaucoup plus tard, quand Henry Daguerches recevait dans son exil hanoïen un écrivain français, il lui parlait du «Chemin de Patipata», et souhaitait que l’éditeur le rééditât. Jamais, aucun de ses interlocuteurs n ‘a osé lui avouer que l’édition en avait été pilonnée…

 

François Doré. Librairie du Siam et des Colonies

 

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