The Lady, I and Affairs of State

Date de publication : 29/01/2019
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Dans un petit livre paru en anglais et en birman, l’ex numéro 3 du régime militaire Birman U Shwe Mann revient sur ses relations avec Aung San Suu Kyi – aujourd’hui conseillère d’État et numéro un du pouvoir en Birmanie – depuis leur première rencontre en janvier 2002. L’ouvrage est succinct mais instructif à plus d’un titre. Il montre d’abord combien les militaires de haut rang en Birmanie n’ont eu pendant longtemps qu’une vue très caricaturale de la fille du général Aung San, le héros de l’indépendance qu’ils ont pourtant appris à vénérer au cours de leurs parcours politico-militaires.

 

Il est rare qu’un homme politique consacre un manuscrit entier à l’un de ses rivaux, même si au fil du temps il a changé d’avis sur l’intéressé et est devenu l’un de ses partenaires.

 

C’est pourtant ce à quoi s’est employé Thura U Shwe Mann (71 ans) à l’endroit de Daw Aung San Suu Kyi son aînée (73 ans).

 

Sans surprise, il laisse transparaître une approche singulière de la démocratie, mettant sur le même plan les pratiques des communistes et des libéraux.

 

L’ancien président de la Chambre des représentants (Pyithu Hluttaw, 2011 – 2016) revient au fil de ses pages sur les raisons qui ont conduit à faire de la Birmanie un pays parmi les moins avancés (PMA) et l’un des moins développés de l’ASEAN.

 

Il souligne ô combien les concepts et le langage tribunitien peuvent concourir à la « désunion » ou encore au « rapprochement national » (Suu Kyi) ou, pour reprendre la terminologie du général, à l’expression de « bonnes volontés » (cetana).

 

Tout au long du manuscrit, le ton d’U Shwe Mann est volontiers laudateur vis-à-vis du prix Nobel de la paix.

 

Il loue sa gentillesse, son intégrité, son esprit vif, son intelligence, sa bonne perception des temporalités politiques, un patriotisme authentique et une personnalité méthodique.

 

En contre-point, il n’hésite pas à évoquer sa propre rigidité, son caractère têtu et obstiné, voire son absence de sens des moments politiques critiques.

 

Le récit se fait même parfois intimiste quand il évoque le rôle de son épouse Daw Khin Lay Thet ou encore quand il avoue toujours dormir avec une arme sous son oreiller.

 

Une anecdote qui a lui a valu quelques polémiques médiatiques pour savoir si l’officier à la retraite dispose bien d’une licence pour détenir une arme.

 

Des doutes sur Aung San Suu Kyi

 

L’ex-dirigeant de la junte laisse poindre des doutes sur les compétences gouvernementales de Suu Kyi.

 

Il met en avant la connaissance des militaires des territoires, de leurs traditions, des situations locales et socio-économiques pour légitimer le rôle des forces de sécurité dans la gestion de l’État, tous ces savoirs découlant mécaniquement des cantonnements en provinces et des visites de terrain.

 

Si cette affirmation mérite d’être relativisée pour le moins, Thura U Shwe Mann est sur la même ligne qu’Aung San Suu Kyi pour dire que les plus grands défis et obstacles politiques auxquels doit faire face aujourd’hui le pays sont l’élaboration d’un accord de cessez-le-feu à l’échelle nationale et la situation dans le nord de l’Etat Rakhine (Arakan).

 

Pour y parvenir, comme tant d’autres Birmans, le septuagénaire s’inquiète des possibles ingérences étrangères, sans toutefois jamais les nommer.

 

Ce livre comprend d’ailleurs beaucoup de non-dits.

 

Au premier rang, la rivalité qui a opposé depuis 2010 U Shwe Mann au président Thein Sein.

 

La confrontation farouche des deux soldats n’est décrite en détails dans aucun chapitre.

 

C’est pourtant elle qui fut à l’origine de la destitution du président de la chambre basse de la tête du parti de l’armée (Parti de l’union, de la solidarité et du développement, USDP) le 12 août 2015.

 

Une destitution qui a laissé manifestement beaucoup d’amertume chez l’intéressé.

 

Se ménager un avenir politique

 

Dans ce contexte, quel dommage que le général Shwe Mann n’ait pas donné plus d’explications sur les raisons politiques de son changement d’avis sur Suu Kyi et les oppositions entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif dès les premières heures de la transition politique qui conduisit à la victoire sans conteste de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD) en novembre 2015.

 

Cette absence d’analyses politiques rétrospectives est peut être aussi une manière de se ménager un avenir politique.

 

A Nay Pyi Taw circulent à intervalles réguliers la rumeur selon laquelle le général Shwe Mann voudrait créer son propre parti politique pour concourir aux élections générales de 2020.

 

Si tel est son choix, il pourrait bien être tenté de remobiliser quelques vieux compagnons de routes de l’USDP, même s’ils sont probablement peu nombreux.

 

Une perspective qui changerait à n’en pas douter la relation qu’il peut avoir encore aujourd’hui avec la Conseillère d’État et l’influence qu’il a su bâtir sur elle.

 

En attendant, le général à la retraite peut rappeler urbi et orbi qu’il a joué plusieurs fois le rôle de relais entre les plus hauts dirigeants militaires et Suu Kyi (ex. proposition de nommer Suu Kyi à la tête de la commission d’enquête sur la mine de cuivre de Letpadaung (2012)) mais également vice versa (ex. contact avec le Senior General Than Shwe (c.r) au lendemain des élections de 2015).

 

Relations fonctionnelles

 

Pas sûr que les plus hauts gradés de l’armée voient toujours en le général Shwe Mann un intermédiaire.

 

La contestation militaire dont il fait l’objet au parlement chaque année à l’heure où est renouvelé le mandat de la Commission d’évaluation des affaires juridiques et des affaires spéciales qu’il préside, montre l’ampleur de la vindicte dont il demeure l’objet.

 

A l’inverse, Daw Aung San Suu Kyi a su établir des relations fonctionnelles avec les personnages les plus influents de la scène militaire.

 

Shwe Mann en convient lui-même en rapportant une confidence de l’ancien patron de la junte le général Than Shwe (83 ans) qui aurait affirmé fin 2015 que « nous devons reconnaître non seulement cette fois la victoire de Daw Aung San Suu Kyi, mais aussi en 2020 si elle est élue encore par le peuple ».

 

Il est vrai que La Dame a su mettre les formes avec les militaires dès son arrivée au pouvoir.

 

Par signe de respect, elle s’est adressée au général Than Shwe en prenant soin de l’appeler mon « Oncle » mais aussi en composant au parlement et au gouvernement avec d’anciens responsables issus des rangs de l’armée et de l’USDP, comme le président de la Chambre haute (Amyotha Hluttaw) le Karen Mahn Win Khaing Taw dont le grand-père fut tué à la même table qu’Aung San en 1947 ou encore le ministre des Affaires religieuses et de la Culture U Aung Ko.

 

L’iconographie abondante de ce livre où l’on voit une Daw Aung San Suu Kyi très souriante est fort utile.

 

On discerne ainsi autour de la future Conseillère d’État ses fidèles U Win Myint, l’actuel président de la République, son prédécesseur U Win Htain de mars 2016 à mars 2018 et sa femme la députée Daw Su Su Lwin, le Docteur Zaw Myint Maung le gouverneur de Mandalay, le député à la Chambre haute U Thein Swe mais aussi des compagnons de route dorénavant retirés du devant de la scène tels Thura U Tin Oo et U Win Htain.

 

François GUILBERT

 

A lire: Thura U Shwe Mann: The Lady, I and Affairs of State, U Thein Htway, Rangoun, 2018, 129 p

 

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