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THAILANDE, crise politique : l’armée entre en scène

Journaliste : Redaction
La source : Gavroche
Date de publication : 02/03/2016
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La loi martiale a été instaurée depuis ce matin dans tout le pays. L’armée prend le contrôle des opérations de sécurité alors que la tension était montée d’un cran à Bangkok entre opposants et sympathisants au gouvernement intérimaire qui reste en place. Une opération destinée avant tout à diminuer le risque de violence et rassurer la population (et les touristes), pour un temps.

 

Les Thaïlandais se sont réveillés ce matin avec une nouvelle qui n’a pas vraiment surpris beaucoup de monde, voire même rassurée : l’imposition de la loi martiale sur l’ensemble du territoire par le général Prayuth, chef des armées, diffusée sur toutes les chaînes de télévision.

 

Dans le quartier des affaires de la capitale thaïlandaise, à l’heure de pointe, rien n’avait pourtant changé : comme chaque jour, transports en commun et rues étaient bondés, chacun se rendant à son travail ou à l’école sans se soucier de la présence de militaires, d’ailleurs invisibles.

 

Car ni blindés, ni troupes n’ont été déployés dans les rues cette nuit après l’annonce à 3 heures du matin de la loi martiale. Seuls quelques points stratégiques, comme les chaînes de télévision, étaient gardés par des militaires en tenue de combat et armés.

 

Devant le siège de la police, sur Rama I, trois jeeps équipées de fusils mitrailleurs attiraient la curiosité des passants qui se prenaient en photo pour alimenter les réseaux sociaux. Un butin d’images bien maigre pour la presse étrangère également sur le pied de guerre et qui se demandait, elle, comment alimenter les rédactions…

 

Dans le quartier de Ratchadamnoen, autour du Monument de la Démocratie et du Palais du gouvernement, investi par les opposants anti-gouvernementaux du PDRC emmenés par Suthep Thaugsuban, aucun barrage, ni la moindre présence militaire…

 

Avec leurs treillis noirs, leurs fausses Ray-Ban, leurs tatouages sur une peau tannée par le soleil du Sud d’où la plupart sont originaires, les gardes du PDRC, cible d’attaques à main armée régulières, semblaient bien plus détendus que d’habitude et levaient à peine le nez à votre passage.

 

A l’intérieur du village où quelques milliers d’irréductibles campent dans les rues depuis plus de six mois, chacun vaquait tranquillement à ses occupations, les uns jouant au makruk, le jeu d’échecs thaïlandais, les autres préparant le premier repas de la journée ou sortant des douches mobiles installées sur les trottoirs.

 

Près du siège des Nations Unies, quartier général des gardes du PDRC, quelques militants regardaient d’un œil un écran de télévision où Abhisit, leader du parti d’opposition Démocrate (soutien politique et financier du mouvement), commentait la situation.

 

En face du Palais du gouvernement, là où Suthep, qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt pour insurrection avec une trentaine d’autres leaders du mouvement, s’est installé avec la bénédiction des militaires, tout était calme et rien ne laissait transpirer une quelconque tension.

 

Coup d’Etat ou pas coup d’Etat ?

 

Depuis ce matin, les commentaires et « analyses » sur les réseaux sociaux tournent autour de la même question : le contrôle des opérations de sécurité par l’armée est-il l’antichambre d’un coup d’Etat miliaire ?

 

Si on ne peut pas l’affirmer avec certitude, tellement les acteurs de ce conflit nous ont habitués à un jeu de dupe, il semble que non. Du moins pas dans le sens « militaire » du terme.

 

Peu de gens ont de doutes sur le parti pris du commandement pro-conservateur de l’armée, proche de Prem, le président du Conseil du Roi. Mais Prayuth a toujours gardé la même ligne de discours depuis novembre dernier : l’armée ne veut pas s’impliquer (du moins directement) dans un conflit qu’elle considère aux mains des politiques. Elle ne laissera pas toutefois le pays basculer dans la violence, ou pire, dans une guerre civile.

 

La décision d’imposer la loi martiale, maintenant et sans l’avis du Premier ministre, est pourtant sans réelle surprise depuis que Prayuth a menacé, il y a quelques jours, d’intervenir après la dernière attaque par des hommes armés qui a laissé trois manifestants du PDRC sur le carreau près du Monument de la Démocratie, et alors que les deux clans préparaient pour les prochains jours des opérations et contre-opérations à haut risque sécuritaire qui risquaient de finir en confrontation directe (le conflit a déjà fait 28 morts et des centaines de blessés depuis six mois).

 

Le premier ordre a été de dissoudre le CAPO, le centre de commande des opérations de sécurité contrôlé par le gouvernement, qui avait, de toute façon, pieds et mains liés par la justice pour lancer des opérations de répression contre les manifestants.

 

Le deuxième a été de prendre le contrôle des chaînes de télévision, un acte habituel sous une loi martiale.

 

Puis Prayuth s’est empressé de rassurer la population (et les pays étrangers) en déclarant que la loi martiale n’était pas un coup d’Etat et que le gouvernement intérimaire, ou du moins ce qu’il en reste, restait en place.

 

Craignant sûrement une réaction des Chemises rouges réunies dans une lointaine périphérie de la capitale, il a tout de même déployé des soldats armés autour de leur camp où Jatuporn, leur leader, a appelé ses troupes à « coopérer avec les militaires ».

 

Sur le plan politique, la situation reste très compliquée. La loi martiale, si elle permet aux militaires de s’interposer partout dans le pays et de contrôler un éventuel mouvement de manifestants pro-gouvernementaux vers la capitale, ne résoudra pas à elle seule la crise qui paralyse l’appareil d’Etat depuis des mois.

 

Le Sénat, qui reste le seul organe législatif en place, tente de trouver une solution via le levier constitutionnel. Mais son pouvoir de décision, et notamment celui d’invoquer l’article 7 pour mettre en place un Premier ministre « neutre », est contesté par le gouvernement et le Pheu Thai, le parti pro-Thaksin au pouvoir, alors que la Chambre haute a basculé du côté des conservateurs depuis l’éviction du président du Sénat.

 

A qui profite la situation ?

 

Suthep a annulé ce matin la préparation des manifestations de grande ampleur prévues cette semaine, une énième et ultime tentative de renverser le gouvernement après avoir échoué à maintes reprises.

 

L’ancien numéro deux du parti Démocrate, aidé en ce sens par le pouvoir judiciaire, a toutefois quelques beaux trophées accrochés devant sa tente, puisque ses actions sont à l’origine de la dissolution du Parlement en décembre dernier, de l’annulation des élections du 2 février et ont contribué à l’éviction de la Première ministre Yingluck Shinawatra et de neuf de ses ministres.

 

Mais il n’a pas réussi jusqu’à maintenant, malgré les soutiens visibles et invisibles des conservateurs, à chasser du pouvoir le Pheu Thai et son dirigeant en exil Thaksin Shinawatra, accusé avec force (et beaucoup de rhétorique) d’avoir corrompu l’appareil d’Etat au profit de ses propres intérêts. Ni à imposer un Conseil du Peuple non élu chargé de mettre en place des réformes et de barrer l’accès au pouvoir aux « bad people », ces politiciens affairistes qui manipuleraient les classes populaires à coups de mesures populistes et d’achats de vote et détruiraient les fondements du pays (à savoir l’Ordre historique établi par les conservateurs et les royalistes).

 

La loi martiale va-t-elle bénéficier au PDRC ? Non, du moment où l’armée ne prend pas le contrôle du pays par un coup d’Etat. Suthep ne pourra plus non plus – à moins de défier Prayuth, ce qui semble peu probable – pourchasser des ministres, occuper des lieux stratégiques, menacer ou faire pression sur les fonctionnaires et agences gouvernementales ou le Sénat, ou encore appeler la population de Bangkok à descendre massivement dans la rue.

 

Son choix aujourd’hui est donc restreint : ou bien il participe aux tables rondes aux côtés du gouvernement, du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire (avec comme médiateur imposé l’armée), pour tenter de trouver un compromis à une sortie de crise « acceptable » (ce qu’il a toujours refusé avec force et conviction jusqu’à présent), ou, ce qui est plus probable, il attend que le Sénat décide, ou non, d’activer l’article 7 de la Constitution qui permettrait de soumettre au Roi la nomination d’un Premier ministre « neutre » en cas de vacance du pouvoir.

 

Une vacance rendue possible que si le gouvernement intérimaire démissionnait. Ce que le Pheu Thai n’a pas l’intention de faire, ses dirigeants gardant pour objectif d’appeler à de nouvelles élections – espérant les gagner – et d’engager une feuille de route de réformes ensuite, alors que leurs opposants veulent exactement le contraire…

 

Dans le cas où le président du Sénat reviendrait sur sa décision de nommer un premier Ministre sans la démission préalable du gouvernement en place, l’UDD, mouvement des Chemises rouges, pourrait bien se retrouver dans la même position qu’en 2010, lorsqu’il s’est confronté à l’armée.

 

Un scénario « noir » qui enfoncerait un peu plus le royaume dans une crise de pouvoir partie pour durer, tellement les divisions semblent avoir atteint aujourd’hui un point de non retour.

 

Philippe Plénacoste

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