
Telle est la conclusion centrale de l’analyse publiée par le politologue Paul Chambers (ISEAS – Yusof Ishak Institute) dans une étude intitulée Masked Military Control : Investigating Thailand’s 2025 Military Reshuffles. Paul Chambers avait, en 2025, été un temps privé de visa par les autorités thaïlandaises et prié de quitter le pays.
Selon ce chercheur, malgré l’existence formelle d’un gouvernement civil, les remaniements annuels des forces armées thaïlandaises entrés en vigueur le 1er octobre 2025 confirment une réalité bien ancrée : l’armée demeure largement autonome du pouvoir politique, structurée autour de réseaux de factions, de promotions militaires et d’une loyauté prioritaire envers le palais royal.
Pour Paul Chambers, ces nominations illustrent la consolidation du pouvoir militaire sous couvert de procédures institutionnelles, dans un contexte de fragilisation du pouvoir civil. Le gouvernement dirigé jusqu’à l’été 2025 par le parti Pheu Thai, pourtant officiellement chargé de soumettre les nominations pour approbation royale, s’est abstenu de contester les choix de l’état-major, se contentant d’un rôle de validation formelle.
Une armée renforcée par la crise politique et sécuritaire
Deux événements survenus à la mi-2025 ont contribué à renforcer la position de l’armée. D’une part, la fuite d’un appel téléphonique entre l’ex-Première ministre Paetongtarn Shinawatra et l’ancien dirigeant cambodgien Hun Sen, qui a conduit à sa destitution par la Cour constitutionnelle. D’autre part, des affrontements armés à la frontière thaïlando-cambodgienne en juillet, offrant à l’armée l’occasion de réaffirmer son rôle de garant de la sécurité nationale.
Ces développements ont affaibli la légitimité du pouvoir civil et permis aux forces armées de reprendre un contrôle quasi total sur les nominations internes, deux ans seulement après une période où leur image avait été écornée par près d’une décennie de domination politique directe.
Le poids déterminant des factions et des promotions militaires
L’étude souligne le rôle central des réseaux informels qui structurent l’armée thaïlandaise : factions historiques, promotions de l’école préparatoire des forces armées (AFAPS) et parcours au sein d’unités d’élite. En 2025, la faction Wongthewan (« Descendance divine »), associée à la garde royale, s’impose comme la plus influente, devant les Buraphapayak (« Tigres de l’Est »), longtemps dominants.
Au cœur de ce dispositif se trouve le commandant en chef de l’armée de terre, le général Pana Khlaeoplodtuk, membre de la promotion militaire 26. Pour son premier remaniement annuel à la tête de l’armée, il a placé 38 officiers de sa promotion à des postes stratégiques, consolidant ainsi son autorité sur l’institution militaire. Cette stratégie renforce la cohésion interne, mais réduit encore les marges de manœuvre du pouvoir civil.
Une loyauté d’abord tournée vers le palais
Si les factions s’affrontent, elles restent unies par un principe supérieur : la fidélité au palais. Les remaniements de 2025 montrent que les postes clés du ministère de la Défense, de l’état-major interarmées, de l’armée de terre, de l’armée de l’air, de la marine et de la police sont occupés par des officiers considérés comme sûrs du point de vue royaliste.
L’expérience récente de la faction dite « Red Rim », créée en 2018 pour symboliser une loyauté directe à la Couronne, a toutefois été progressivement abandonnée, ravivant les rivalités traditionnelles entre Wongthewan et Buraphapayak. Cette évolution marque un retour à un équilibre ancien, fondé sur des compromis entre blocs militaires rivaux, sous l’arbitrage implicite du palais.
Un pouvoir civil marginalisé
Pour Paul Chambers, ces remaniements confirment que la suprématie civile sur l’armée n’a jamais été rétablie depuis les coups d’État successifs. La modification de la loi sur la défense en 2008 a institutionnalisé l’autonomie militaire en confiant les décisions de carrière à un comité largement dominé par les chefs des forces armées, laissant aux responsables politiques un rôle marginal.
Sous le gouvernement actuel dirigé par Anutin Charnvirakul, issu du parti Bhumjaithai, l’armée bénéficie même d’un climat plus favorable qu’avec Pheu Thai. Les dirigeants civils semblent peu enclins à remettre en cause l’influence militaire, par crainte d’un retour à l’instabilité, voire d’un nouveau coup d’État.
Une domination appelée à durer
L’analyse conclut que l’armée thaïlandaise demeure largement irresponsable devant les institutions civiles, opaque dans son fonctionnement et prête à intervenir politiquement si ses intérêts sont menacés. Le général Pana, dont le mandat court jusqu’en 2027, devrait continuer à façonner les successions à venir, avec en ligne de mire la nomination de son successeur à la tête de l’armée.
Dans ce contexte, les remaniements de 2025 apparaissent moins comme un simple exercice administratif que comme une démonstration de force silencieuse, confirmant que, derrière un vernis de gouvernement civil, le véritable centre de gravité du pouvoir thaïlandais reste solidement ancré au sein de l’institution militaire.
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