Paetongtarn Shinawatra, destituée ce vendredi 29 août de ses fonctions de Première ministre par six juges de la Cour constitutionnelle contre trois, laisse désormais aux députés la responsabilité d’élire un nouveau chef de gouvernement. La coalition gouvernementale actuelle, qui gère les affaires courantes, n’a aucune certitude de rester en place. Le Pheu Thai souhaiterait imposer son troisième et dernier candidat au poste, Chaikasem Nitisiri, mais le chemin s’annonce semé d’embûches.
La politique thaïlandaise ne suit jamais une ligne droite : le parti Kla Tham de Thammanat Prompao, actuellement membre de la coalition, ne s’est pas présenté hier soir à la réunion des partis coalisés organisée à l’invitation du Pheu Thai. Pire encore, ses 26 députés soutiendront le leader du Bumjaithai, Anutin Charnvirakul, dans sa quête de devenir Premier ministre, un rêve qu’il caresse depuis longtemps. Voici les dernières évolutions.
Le Parti du Peuple, de l’opposition aux affaires ?
Le Parti du Peuple (People’s Party), première force à la Chambre basse avec 143 députés, n’a pas de candidat à proposer pour le poste de Premier ministre. Chacun se souvient que son leader en 2023, Pita Limjaroenrat, a dû provisoirement quitter la politique après la dissolution de son parti Move Forward, accusé d’atteinte à la monarchie en raison de sa volonté de réformer l’article 112 du Code pénal (loi de lèse-majesté). Force d’opposition, le Parti du Peuple, héritier du Move Forward, observe la situation d’impasse politique actuelle avec attention.
Pannika Wanich, stratège de la première version du parti « orange », Future Forward, a expliqué clairement le raisonnement du Parti du Peuple sur son compte X (ex-Twitter). Selon elle, « si le Pheu Thai ne parvient pas à rassembler les voix de sa coalition initiale – ce qui est clairement impossible aujourd’hui, puisque Thammanat (Kla Tham Party) avec ses 26 voix, et Suchart Chomklin (branche concurrente de Pirapan à l’UTN) avec ses 18 voix ont déjà annoncé leur soutien à Anutin –, aucun parti ne pourra former un gouvernement. Dans ce cas, Prayut, qui reste candidat de l’UTN, pourrait être invité à devenir Premier ministre, car il serait le seul à recueillir les suffrages de tous les partis, à l’exception du Parti du Peuple. »
Le PP a donc posé une condition pour sortir de l’impasse et empêcher le retour de Prayut au pouvoir : ses 143 députés voteront pour le candidat qui acceptera de dissoudre le Parlement dans un délai de quatre mois et d’organiser en même temps que les élections un référendum sur une nouvelle constitution. Le PP restera dans l’opposition et ne participera pas au gouvernement. Et si le parti élu refuse de dissoudre le Parlement, il fera immédiatement l’objet d’une motion de censure, ce qui le réduira à la minorité.
Le Parti du Peuple, entre le Bumjaithai et le Pheu Thai ?
L’offre du parti « orange » a rapidement trouvé preneur. Dès hier soir à 22 h (heure de Bangkok), le Bumjaithai annonçait qu’il acceptait les conditions du Parti du Peuple. Anutin Charnvirakul affirme désormais disposer d’un potentiel de 280 députés pour le soutenir dans sa course au poste de Premier ministre. Le rêve devient-il enfin réalité pour le relais politique de Newin Chidchob, parrain du Buriram et du Bumjaithai ? La partie est-elle en passe d’être gagnée contre l’éternel rival Thaksin Shinawatra ?
L’annonce d’Anutin paraît cependant prématurée : ce samedi 30 août, le Parti du Peuple a fait savoir que le vote de ses 143 députés n’était pas encore acquis. Presque au même moment, une rencontre de haut niveau entre Thaksin et Thanathorn Juangroongruangkit, fondateur du Future Forward Party (la première incarnation du parti « orange »), a fuité sur les réseaux sociaux. Le patriarche Shinawatra voulait sonder Thanathorn sur la possibilité que le PP soutienne Chaikasem Nitisiri comme Premier ministre.
Thaksin a même proposé que le Pheu Thai accepte les conditions du Parti du Peuple, mais avec une nuance : organiser des élections anticipées dans un délai de six mois au lieu de quatre, pour mieux s’y préparer. Thanathorn a confirmé l’entretien et précisé qu’il avait conseillé à Thaksin de s’adresser directement au leader du PP, Natthaphong Ruengpanyawut.
La Thaïlande, ou la politique des surprises
Le Parti du Peuple, évincé du pouvoir après la dissolution de son ancêtre en 2023, marginalisé par le Sénat et par toutes les forces conservatrices – dont le Bumjaithai –, revient paradoxalement au centre du jeu politique. Mais des précautions s’imposent. Il est presque surréaliste de voir Anutin Charnvirakul et le BJT, gardiens de l’ordre établi, accepter aujourd’hui le principe d’une réécriture de la constitution militaire de 2017, réputée confiscatoire. Jusqu’ici, ils avaient toujours refusé de modifier ce texte, que ce soit depuis le gouvernement ou au Sénat, fort de son bloc de sénateurs « bleus », qui permettait de corriger le vote du peuple.
Ces tractations en coulisses illustrent une nouvelle fois les retournements permanents de la politique thaïlandaise. Le Parti du Peuple a annoncé clairement son offre : il ne réclame aucun poste ministériel et restera une opposition constructive avant le retour aux urnes. Ses partisans restent perplexes face à l’idée d’une alliance de circonstance avec Anutin, jugée contre-nature. Les conservateurs proches du Palais, eux, gardent le silence. Reste à savoir si Anutin et le BJT agissent seuls dans cette manœuvre ou s’ils ont reçu le feu vert d’en haut. Une chose est sûre : si elle se concrétise, cette stratégie marquera la fin du cycle Shinawatra en termes d’influence politique.
Philippe Bergues
Chaque semaine, recevez notre lettre d’informations Gavroche Hebdo. Inscrivez-vous en cliquant ici.
