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Don d’organes : pourquoi la Thaïlande manque-t-elle de donneurs ?

Journaliste : Apirujee Sitarangsee
La source : Gavroche
Date de publication : 09/05/2017
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Le royaume et les pays d’Asie dans leur ensemble possèdent les ratios de don d’organes parmi les plus faibles au monde. De nombreux Thaïlandais bouddhistes ne souhaitent pas faire de don de peur de se réincarner dans leur prochaine vie avec un handicap. Une croyance que tentent de combattre les autorités alors que de nombreuses vies pourraient être sauvées.

 

Quand il apprit le décès de sa fille, c’est comme s’il avait rendu lui aussi son dernier souffle. Malgré sa profonde détresse et devant l’urgence, le père prit une décision qu’il ne regretterait jamais : autoriser un don d’organe, se rappelant que son enfant aurait aimé sauver des vies, elle qui avait une fois donné son sang malgré sa peur des piqûres.

 

Fin 2013, selon un rapport de la Thai Transplantation Society, on comptait dans le royaume 4431 personnes en attente d’une greffe, dont 4203 en attente d’un rein. Or, pour toute l’année 2014, toujours selon la Thai Transplantation Society, 551 personnes ont reçu un rein, provenant de 222 donneurs vivants et 329 donneurs décédés.

 

A titre de comparaison, la France, dont la population est à peu près équivalente à celle de la Thaïlande (67 millions contre 68 millions), a transplanté 3232 reins en 2014, l’un des pays les plus actifs dans ce domaine avec les Etats-Unis ou encore l’Espagne, selon l’Observatoire des Dons et Transplantations d’Organes dans le monde (GODT). Avec 3.2 donneurs pour 1 million d’habitants en 2015 (contre 27.4 en France), indique le rapport annuel de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), la Thaïlande possède l’un des ratios les plus faibles au monde, alors que le nombre de demandeurs ne cesse d’augmenter.

 

 

C’est un fait connu : le nombre de malades en attente de greffes partout dans le monde n’est jamais en adéquation avec celui des donneurs. Parmi les raisons observées dans plusieurs pays, l’idée que les docteurs ne feront pas de leur mieux pour sauver la vie du patient s’ils savent qu’il est inscrit au registre des donneurs, ou que l’on n’a pas envie de penser à sa propre mort, arrivent en tête. Mais en Thaïlande, selon Wasanchai Aiemsiri, aide-soignant du Centre de dons d’organes de la Croix Rouge thaïlandaise, la raison la plus importante est que les gens ont peur de renaître avec un organe en moins. Une conséquence pas très heureuse de la croyance populaire en la réincarnation chez les bouddhistes.

 

« Il est quand même étrange de constater qu’aujourd’hui, à la suite d’un don, les gens ont encore cette peur, alors que l’on est facilement d’accord lorsqu’un médecin décide de vous amputer d’un organe pour vous sauver la vie », remarque le docteur Wisit Thitawat, directeur du Centre de don d’organes de la Croix Rouge. « De nos jours, la plupart des Thaïlandais n’ont pas encore une juste compréhension du don d’organe et de la greffe, mais c’était encore pire par le passé, car la peur du manque d’organe au moment de la réincarnation se présentait chez les gens de tous âges, estime l’aide-soignant. Mais les raisons de cette peur peuvent être attribuées à d’autres facteurs, comme par exemple la façon dont on est élevé, son environnement ou son métier. »

 

C’est ce que pense en tout cas Wit, 20 ans, pour qui « l’idée d’attachement à ce que l’on possède fait que notre moi intérieur nous dit de ne pas nous faire de mal, même à notre mort. On préfère alors ne pas se faire prélever d’organes ».

 

D’autres peuvent changer d’avis : « Un membre d’une famille dans laquelle personne n’avait jamais voulu faire de don d’organes s’est inscrite sur la liste d’attente, explique Wasanchai Aiemsiri, du centre de la Croix Rouge. Un jour, il a enfin reçu l’organe d’un donneur. Touchés par le fait qu’un inconnu avait permis de le ramener à une vie normale, les autres membres de la famille ont tous décidé de devenir à leur tour des donneurs. »

 

Des mentalités qui évoluent

 

Kittiya Anuwatmongkol, 22 ans, ne voulait pas, elle non plus, devenir donneur, « car cela fait penser aussi à la mort et aux fantômes. » Malgré sa peur, elle s’est rendue compte par la suite que le temps présent était plus important. « Du point de vue du bouddhiste, le don est une pratique de générosité », estime-t-elle.

 

Aujourd’hui, comme Kittiya, de plus en plus de personnes ont une image plutôt positive du don d’organe. « Si l’on s’en tient au temps présent et on ne fait que de bonnes actions, il est sans importance que l’on se réincarne ou pas », pense Chotivit Tumsujit, professeur de lycée. Napasorn Yampayont, 20 ans, étudiante, estime de son côté que le don est une bonne action (tam boon) dont on peut voir les résultats dans cette vie. « De toutes façons, comme on ne peut rien emmener dans notre prochaine vie, notre corps sera plus utile si on le donne à ceux qui en ont besoin maintenant », pense-t-elle. « Je serais heureuse si ma mort ne pouvait pas être en vain, ajoute Buntariga Chatburanayont, une autre étudiante. Je pense que le malentendu sur le don est lié à la cérémonie bouddhique qui accompagne le mort dans son passage vers sa prochaine vie, ce qui présume qu’il ne doit manquer de rien. Mais en fait, le Bouddha dit que seul notre esprit nous accompagne ».

 

C’est ce que confirme le vénérable P.A. Payutto (Phra Brahmagunabhorn), membre du Conseil du Sangha, l’autorité suprême de l’Ordre bouddhique en Thaïlande, dans l’un de ses livrets distribués aux fidèles : « Dans le bouddhisme, Il n’y a aucune interdiction concernant le don d’organes. Au contraire, il est encouragé car c’est un sacrifice pour les autres, pour qu’ils s’éloignent de la souffrance et soient heureux. Le don d’organes est le plus haut niveau de don (dana paramatta parami) ».

 

Un cadre législatif rassurant

 

Le nombre très bas de donneurs en Thaïlande n’est cependant pas dû uniquement à des facteurs relevant de la croyance religieuse ou de la superstition. Car comme dans d’autres pays, des contraintes d’ordre médico-légal entourent les dons d’organes. Ainsi, dans le cas de personnes décédées, le donneur doit être en état de mort cérébrale. D’après The Medical Council of Thailand (l’Ordre des médecins thaïlandais), deux examens de confirmation de la mort cérébrale à six heures d’intervalle sont nécessaires avant de pouvoir faire un prélèvement d’organe.

 

Dans le cas des donneurs vivants, le don est possible, mais seulement sous certaines conditions, comme la bonne volonté du donneur et le lien de sang entre le donneur et le receveur, ou la preuve de mariage depuis au moins trois ans pour les époux.

 

« Nous mettons un accent particulier sur l’attribution éthique, transparente et responsable des organes, sans aucun commerce », insiste le docteur Wisit Thitawat, directeur du Centre de dons d’organes de la Croix Rouge, dont l’objectif principal est d’encourager les dons afin d’aider ceux dont le seul espoir de guérir est une greffe. Parmi les organes recherchés, les reins sont les plus demandés car le nombre de personnes atteintes d’une maladie rénale chronique est toujours très élevé.

 

Ainsi, le docteur Sopon Mekthon, secrétaire permanent du ministère de la Santé, a annoncé que la transplantation était l’un des treize domaines de santé publique prioritaires dont il fallait rapidement améliorer le système de service, « en encourageant le don d’organes afin de permettre plus de greffes ; en diminuant les temps d’attente ; en augmentant le taux de survie des patients et en stabilisant le bon fonctionnement des organes greffés ».

 

Le Dr. Wachira Pengchan, ancien secrétaire permanent du ministère de la Santé, rappelle quant à lui qu’ « à partir d’un seul donneur, il est possible de greffer sept patients », mais que, étant donné la faible proportion de donneurs en Thaïlande – de dix à quinze fois inférieure à celle en Europe –, « les malades en attente de greffe meurent au rythme de trois par semaine. »

 

Sachant que le nombre de donneurs ne peut augmenter en peu de temps, la coopération des organisations publiques et privées continue de s’intensifier. Sanith Phromwong, directeur général du département des Transports terrestres, coopère ainsi avec le ministère de la Santé dans la promotion d’une meilleure compréhension et sensibilisation du public envers le don d’organes. Les personnes inscrites sur le registre des donneurs d’organes qui passent leur permis de conduire peuvent demander que le symbole de la Croix Rouge soit ajouté sur leur permis en présentant leur carte de donneur. Un geste symbolique mais qui témoigne de la volonté de changer les mentalités et de sauver plus de vies.

 

Apirujee Sitarangsee (avec Malto C.)

 

Article paru dans le numéro 268 (février 2017) du Gavroche

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