Une chronique du conflit Birman par François Guilbert
Une fois encore au menu de la réunion annuelle des chefs d’État et de gouvernement de l’Association des nations d’Asie du sud-est (ASEAN), la crise birmane. Pas moins de trois temps forts lui ont été consacrés. Après un échange en format troïka de la présidence de l’organisation régionale (Laos (2024), Malaisie (2025), Philippines (2026) autour de l’Envoyé spécial de Kuala Lumpur l’ambassadeur Tan Sri Othman Hashim, les ministres des Affaires étrangères ont partagé avec leurs pairs leurs analyses de la situation et les perspectives qu’ils espèrent avoir été ouvertes par le meurtrier séisme du 28 mars.
Sur cette base, une nouvelle discussion nourrie s’est engagée entre leaders. Mais à lire le communiqué des dirigeants sur « un cessez-le-feu prolongé et élargi » et celui rapportant l’ensemble de leurs discussions, les avancées diplomatiques pour une sortie de crise semblent, pour le moins, bien minces. Ce statu quo est le fruit des divisions de l’ASEAN, des attitudes timorées des chefs des pouvoirs exécutifs et de leur absence d’adaptation aux évolutions politico-militaires du terrain. Il y a d’autant moins d’urgence à agir que la junte n’a pas fait obstacle au bon fonctionnement quotidien de l’organisation régionale.
Les 5 points de consensus demeurent le cœur de l’approche de l’ASEAN
Ni les déconvenues de la junte sur le champ de bataille, ni son refus de mettre en œuvre les attentes régionales notamment en termes de désescalade combattante et d’accès sans entrave des aides humanitaires auront conduit les responsables aseaniens à ajuster leur stratégie, arrêtée voici quatre ans. Elle a pourtant donné jusqu’ici de bien piètres résultats aux cinq présidences successives (Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie).
Aujourd’hui dans les capitales d’Asie du Sud-Est, on veut néanmoins croire que le tremblement de terre d’il y a deux mois offre une fenêtre d’opportunité pour une sortie de crise négociée. Le premier ministre malaisien Anwar Ibrahim juge même que le « moment est venu » pour les parties au conflit de se parler. On en appelle donc à la protection des civils, à un acheminement non discriminé des aides humanitaires et à un usage restreint de la violence. Chacune des parties est rendue responsable de la guerre civile et sur un même pied d’égalité. Pas un mot n’est dit sur les actes les plus meurtriers et répétés : les bombardements aériens.
Pire, on feint de croire que les cessez-le-feu énoncés depuis le début avril ont quelque matérialité, peuvent être étendus géographiquement et dans la durée. Même en off, personne ne semble vouloir relever que le général Min Aung Hlaing et les généraux putschistes n’ont pas pris le soin de proroger leur soi-disant trêve avant le 46ème sommet de l’ASEAN, alors qu’elle a été édictée jusqu’au 30 mai seulement. Dans un tel contexte, on ne voit pas comment le dialogue « national inclusif » espéré par les chefs d’État et de gouvernement de l’ASEAN peut prendre forme. Qu’à cela ne tienne, une délégation de ministres des Affaires étrangères va venir prochainement à Nay Pyi Taw pour présenter les attendus du sommet de Kuala Lumpur.
Un nouveau temps de dialogue avec le chef du conseil militaire birman s’esquisse
Le ministre des Affaires étrangères malaisien devrait se rendre une nouvelle fois en Birmanie. Ce déplacement est prévu début juin. Il devrait s’effectuer en compagnie d’un responsable gouvernemental philippin, voire laotien et thaïlandais. Bangkok tient particulièrement à être du voyage. Du côté du Conseil de l’administration de l’État (SAC), on ne peut que se réjouir d’une telle perspective, tant le gouvernement de Mme Paetongtarn Shinawatra se montre bienveillant vis-à-vis du régime militaire voisin. Toutefois, dans les textes rendus publics, il n’est nulle part fait mention d’une présence thaïlandaise agréée, ni même d’une mission de la troïka. Son objet est également relativement flou. S’il ne fait aucun doute que les questions humanitaires seront abordées, reste à savoir comment les sujets politiques, eux, le seront.
Du côté malaisien, on laisse entendre qu’il s’agira de rapprocher les points de vue. Lors de son échange vidéo avec le premier ministre Anwar Ibrahim, le chef du gouvernement d’opposition (NUG) a décliné ses attentes dont on sait qu’elles ne rencontrent aucun écho favorable du côté du SAC. Elles sortent en effet du périmètre de la Constitution de 2008 et ont pour objet d’exclure à l’avenir la Tatmadaw et ses chefs des arènes politiques. Dans les objectifs de la Révolution du Printemps figurent explicitement la fin de la dictature militaire, l’établissement d’une union démocratique fédérale et la recherche d’une justice transitionnelle. Mais au-delà de ces objectifs affichés, le NUG se veut coopératif et traite l’ASEAN avec déférence. Il parle de son « rôle vital » mais ne veut pas s’en faire conter pour autant.
L’opposition à la junte propose une supervision internationale des cessez-le-feu
Elle renvoie l’ASEAN à ses responsabilités en soulignant qu’il convient de disposer d’un « mécanisme international de surveillance du cessez-le-feu solide et structuré, sous la direction de l’ASEAN ». Une perspective qui n’enchante pas les pays de la région, tant que les combats se poursuivent nationalement avec intensité.
Un appel aux Nations unies n’est pas considéré pour autant. Dans tous les textes endossés lors du 46ème sommet de l’ASEAN, aucune référence n’a été faite à une fonction médiatrice de l’Envoyée spéciale du Secrétaire général des Nations unies. Non seulement aucun rôle n’a été prêté à Mme Julie Bishop mais à l’égard de l’ONU, il n’est attendu que des financements en plus grand nombre, tant pour répondre aux besoins humanitaires d’urgence que pour la reconstruction post-séisme. Pas sûr que la communauté internationale réponde favorablement et promptement à un tel appel tant qu’aucune solution politique sérieuse de sortie de crise n’émerge.
Une dissonance au sein de l’ASEAN se fait toutefois jour. Le président Philippin Marcos veut une approche nouvelle et forme le vœu que les élections ouvrent la voie à un véritable cessez-le-feu ; un espoir vraisemblablement vain.M. Hasan l’a fait savoir sans ambages avant même le sommet. Il a ainsi proclamé qu’il n’y a aucun intérêt à ce que la Birmanie organise des élections si son peuple n’y participe que très partiellement et s’il s’agit d’une simple tentative de « blanchiment » des actions de la junte.
Dans cette perspective, il est à craindre à court terme, que la diplomatie aseanienne n’apporte que peu d’améliorations à la situation peu enviable des Birmans. Tout au plus, elle s’apprête à poursuivre ses aides humanitaires modestes et, peut être aussi, à se doter d’un Envoyé spécial pour trois années. Le principe d’un missi dominici « permanent » a été bien accueilli par le NUG, le SAC n’en dit mot, mais personne ne sait qui sera l’intéressé(e) et quand il ou elle sera en place, et plus encore son mandat.
François Guilbert
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