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BIRMANIE – POLITIQUE : Aung San Suu Kyi : 80 ans dont 19 années, 5 mois et 1 jour sans liberté

Date de publication : 19/06/2025
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Aung San Suu Kyi 80 ans

 

Une chronique birmane de François Guilbert

 

Le 19 juin, Daw Aung San Suu Kyi connaît un nouvel anniversaire en détention. Le seizième, et cinquième de rang, sans pouvoir être entourée de sa famille et de ses proches. Une épreuve affective de plus pour la dirigeante de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD). Mais pour bien comprendre ce que cela signifie pour chacun, examinons cette réalité en quelques chiffres.

 

À 80 ans, la prix Nobel de la paix vient de passer sa 7 094e journée en résidence surveillée ou derrière les barreaux d’une prison.

 

Au cours des 36 dernières années, la Dame a donc été privée de liberté par les régimes militaires successifs durant 54 % du temps écoulé. De 1989 à 2010, toute ou partie de 18 des 22 années. Si sa mise à l’isolement carcéral depuis le coup d’État militaire du général Min Aung Hlaing, le 1er février 2021, constitue sa plus longue retenue en cellule (1 318 journées), elle n’est toutefois pas son temps de mise à l’écart le plus prolongé.

 

Depuis sa première assignation à résidence, le 20 juillet 1989, la Conseillère pour l’État renversée, a déjà été soumise à trois reprises à des contraintes résidentielles. À son domicile familial du 54 avenue de l’Université dans le township de Bahan, jusqu’au 10 juillet 1995 (2 181 jours), puis du 23 septembre 2000 au 6 mai 2002 (590 jours) et enfin du 30 mai 2003 au 11 novembre 2010 (2 724 jours). Cette dernière séquence s’ouvrit d’ailleurs par un séjour à la maison d’arrêt rangounaise d’Insein, de très sinistre réputation.

 

Autrement dit, en un peu plus de trois décennies et demie, la fille du général Aung San (1915-1947), le père de l’indépendance de la Birmanie contemporaine, n’aura été libre de ses mouvements que 10 ans, 2 mois et 17 jours. Un temps aussi court que lointain, d’autant que les condamnations pénales qui pèsent aujourd’hui sur la désormais octogénaire ne lui font entrevoir une libération qu’à l’horizon 2049. Daw Suu aura alors …104 ans. Cette perspective temporelle et son état de santé présent font cependant craindre le pire.

 

Aung San Suu Kyi est une femme totalement isolée du monde depuis 4 ans et 4 mois

 

Son lieu d’incarcération est incertain. Une chose est sûre : elle n’a pas été placée en résidence surveillée, comme par le passé et la rumeur le voudrait. Si, en avril 2024, elle a été amenée vers un nouveau lieu de vie du fait des fortes chaleurs sur Nay Pyi Taw selon le porte-parole de la junte, elle n’en est pas moins demeurée en prison dans la capitale. Mais, faute de contacts avec l’extérieur, son sort est mal connu. Une situation douloureuse pour ses proches et ses partisans. Chacun est sans nouvelles d’elle.

 

Sa famille rapprochée n’est pas mieux informée. Son fils cadet, Kim (48 ans), n’a reçu qu’une seule lettre au cours des deux dernières années. Quant à ses avocats, ils ne sont plus en contact depuis des mois. Ils ont pourtant à traiter un dossier délicat et d’actualité immédiate : la vente de la propriété rangounaise léguée par sa mère Ma Khin Kyi, octroyée par voie judiciaire à son frère aîné, U Aung San Oo, avec la bienveillance administrative des services aux ordres de la junte. Mais au-delà de la gestion de ce long et pénible contentieux politico-familial, la communauté internationale est aussi sans nouvelles fiables d’Aung San Suu Kyi.

 

Autrefois, la détenue a pu bénéficier, de temps à autre, de visites de personnalités étrangères (ex. le membre de la Chambre des représentants américaine Bill Richardson (février 1994), le moine bouddhiste Rewata Dhamma (août 1994), le sous-secrétaire général des Nations unies Ibrahim Gambari (mai 2006), mais avec les autorités du Conseil de l’administration de l’État (SAC), rien de comparable n’a eu lieu depuis l’entrevue de juillet 2023 avec le vice-Premier ministre thaïlandais Don Pramudwinai.

 

L’ex-Premier ministre cambodgien Hun Sen s’est pourtant employé à obtenir cette faveur à plusieurs reprises mais sans succès. Dans sa fin de non-recevoir de mai 2024, le porte-parole de l’armée, le général Zaw Min Tun, a précisé sans détour qu’il n’y avait « aucune raison de faciliter en ce moment » un tel entretien, ne serait-ce que pour « éviter les problèmes qui pourraient retarder ou perturber les processus politiques futurs », à commencer par les élections générales prévues en décembre 2025 – janvier 2026.

 

Incommunicado depuis des années, Daw Aung San Suu Kyi pourrait bien le demeurer encore fort longtemps, en dépit des efforts combinés de la communauté internationale, du Comité international de la Croix-Rouge et de l’un de ses enfants. Dans ce contexte relationnel réduit à néant, en dehors des personnels pénitentiaires, la seule ouverture au monde de la captive se résume à un accès à la presse écrite d’État, à quelques ouvrages en anglais et des romans en français. La lecture et la méditation rythment apparemment sa vie, de 4h30 à 20h30. Un isolement source de rumeurs (ex. blessures lors du tremblement de terre du 28 mars 2025) et d’inquiétudes sur la survie de l’internée.

 

L’enfermement de Suu Kyi est psychologiquement pesant et non sans effet sur son physique

 

Les rares témoignages visuels obtenus de l’intéressée (cf. le ministre thaïlandais Don Pramudwinai, l’économiste australien codétenu Sean Turnell) ont évoqué une femme très amaigrie depuis sa mise sous les verrous. À dire vrai, Daw Aung San Suu Kyi ne bénéficie pas de conditions d’incarcération particulièrement privilégiées en matière d’habitat, d’alimentation et de soins. Son environnement est très spartiate. L’ex-cheffe du gouvernement se refuse, en outre, à obtenir des avantages qui ne seraient pas octroyés aux autres détenus, notamment les 16 264 personnes incarcérées actuellement pour des raisons politiques. Ainsi, elle aurait décliné l’installation d’une clim dans sa geôle.

 

Sa nourriture est peu abondante et guère variée. Les soins dont elle est l’objet traitent plus les symptômes (ex. infections buccales et cutanées) que les maux eux-mêmes. Ces insuffisances la rendent vulnérable, en particulier à la propagation des maladies vectorielles. A bien des égards, on peut considérer que son pronostic vital se trouve engager par ses conditions carcérales prolongées. La disparition de cette figure vénérée de la scène politique intérieure serait un obstacle de plus à un retour vers la paix. Suu Kyi demeure la figure la « plus appréciée » du pays : 32 % des citoyens lui expriment « plutôt de la confiance » et 48 % « beaucoup de confiance ».

 

Aucun autre dirigeant de la République de l’Union de Birmanie n’est aussi populaire et, pour tout dire, aussi légitime. Cela ne veut pas dire pour autant qu’elle dispose clés en main d’une solution pour retrouver, ici et maintenant, la voie de la démocratie, de l’État de droit, de la concorde et de la prospérité. Sa libération n’en est pas moins attendue et souhaitée. Elle est d’ailleurs un désidérata explicitement exprimé par la communauté internationale, comme en a témoigné la résolution 2669 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies, le 21 décembre 2022. Elle est aussi une espérance chez nombre de Birmans, y compris au sein de la génération Z qui a pris les armes.

 

Les 80 ans d’Aung San Suu Kyi sont l’occasion de multiples manifestations pacifiques

 

Le jour J, la NLD ne manque pas de tenir une cérémonie commémorative pour la « dirigeante du peuple ». Mais plus encore, c’est son fils Kim (Htein Lin) qui a pris les devants. Depuis des mois, le Londonien multiplie les messages de mobilisation en faveur de sa mère. Sa voix porte comme jamais. Les initiatives se multiplient. Si, par le passé, chaque année l’anniversaire de Suu Kyi était l’objet de gestes publics en Birmanie et à l’étranger, ceux de cette année ont bien plus d’ampleur. La campagne « Suu 80 » s’est fixée, par exemple, de rassembler 80 000 vidéos. Le 18 juin, l’objectif était atteint, pouvant ainsi espérer être inscrit au livre des records Guinness.

 

En écho avec des opérations politiques passées, on relèvera également les appels à s’afficher sur les réseaux sociaux avec une fleur rouge (Flower Campaign), couleur de l’étendard de la NLD et symbole de la démocratie, ou encore avec une chemise bleue (Blue Shirt Campaign), coloris des uniformes des prisonniers. Des activistes appellent aussi à 8 jours de grève (14 – 21 juin), à effectuer des actions recourant ostensiblement aux nombres 8 et 80 (ex. course de 80 km en 8 jours, temps de prières de 8 minutes, dons de 80 livres et 80 crayons pour la rentrée scolaire, présents de 80 fleurs, 80 colis alimentaires…). Happenings, ventes de goodies (ex. calendriers), dîners de charité les manifestations sont aussi nombreuses, individuels et collectifs que divers.

 

Ces gestes de générosité, associés à la numérologie, le plus souvent relayés sur Facebook, peuvent apparaître anodins, mais ils ne sont pas sans danger pour ceux qui les commettent en Birmanie. S’ils sont identifiés par l’appareil de sécurité ou dénoncés nominativement par les relais de la junte, leurs auteurs sont susceptibles d’être arrêtés, poursuivis et condamnés sévèrement. A fortiori si leurs gestes s’accompagnent de donations à la résistance, notamment sur des plateformes en ligne dédiées, telle GoFundMe.

François Guilbert

 

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