Chaque semaine, notre ami Richard Werly, conseiller éditorial de la rédaction de Gavroche, partage sa vision de la France sur le site d’actualités helvétique Blick. Vous pouvez vous abonner ou consulter sa lettre d’information Republick.
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Ils ont rendez-vous avec la France. « Ils » ? Dominique de Villepin qui vient de lancer son mouvement « La France humaniste » et de publier « Le pouvoir de dire non » (Éd. Flammarion). Bruno Retailleau, le ministre de l’Intérieur, convaincu qu’il existe encore un couloir à la droite de la droite sans être à l’extrême droite. Mais aussi Marine Le Pen, Jordan Bardella, Édouard Philippe (officiellement candidat à la présidentielle depuis septembre 2024) et même, dit la rumeur parisienne, le champion de judo Teddy Riner !
J’ai déjà écrit, ici, sur l’aspect désolant de cette aveuglante obsession. Comment gérer le pays, ou simplement répondre aux problèmes du moment, si l’on est prisonnier de l’engrenage à promesses qu’est la compétition présidentielle ? Mais rien n’y fait. Surtout lorsque le Premier ministre, supposé calmer le jeu et tenir la baraque, donne davantage l’impression de dériver que celle de tenir fermement la barre. En six mois passés à la tête du gouvernement, François Bayrou a surtout réussi à mettre le pays en mode pause. Pas de grabuge social, mais pas d’avancée, comme on vient de le voir avec l’échec du « conclave » supposé détricoter la réforme des retraites pour mieux la recoudre.
Une motion de censure présentée par le PS ce mardi pour faire monter la tension.
Un mur budgétaire (endettement record, déficit record, ralentissement économique record) dont la hauteur doit être dévoilée avant le 14 juillet. Et une dissolution de l’Assemblée nationale qui redeviendra possible le 7 juillet. En bref, Bayrou n’est pas du tout une digue qui empêche les prétendants de penser à l’Élysée. Il est au contraire, un toboggan vers la campagne présidentielle.
Le problème de ces présumés rendez-vous avec la France est que les Français, à en croire les sondages, n’en ont pas grand-chose à faire. Ils regardent donc – et encore – gesticuler les candidats. Lesquels ont les yeux rivés sur des enquêtes d’opinion réalisées en général auprès d’un millier de personnes. Chacun scrute ses réseaux sociaux et son nombre de « followers ». La canicule règne. Le grand sommeil estival s’annonce. L’économie française piétine. Mais la boussole politique n’indique qu’une direction : 2027
Bonne lecture, sans coup de chaud.
(Pour débattre : richard.werly@ringier.ch)
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Si le futur n’est pas écrit, Dominique de Villepin, lui, a connu son heure de gloire.
Sans remonter à l’article de notre éditorialiste daté du 15 avril 2025 — qui lui consacrait une place de choix et trahissait une forme d’admiration, peut-être réveillée à la lecture du livre de Mme Richard-Fabre — force est de constater que cette admiration passée mériterait d’être renouvelée.
Nous sommes aujourd’hui conviés à nous extasier devant le président qu’il pourrait devenir. Un président du NON. Mais pas un « non » à la poésie. Un NON qui fait écho à celui retentissant du 14 février 2003 à la tribune de l’ONU, écho lointain de l’appel du 18 juin.
Avec son sang vif et neuf, sa crinière romantique façon XIXᵉ siècle, se rêvant en Victor Hugo, il disait non. Trois fois NON.
« So gorgeous », lâchèrent les Américains, médusés face à ce personnage un peu fou, sorti de la naphtaline, un Français comme on se les imagine, se référant constamment à De Gaulle… et se prenant pour lui.
« La France, la Froonce, doit être prise comme une femme, une amante », vociférait-il avec des accents libidineux. Il affirmait même qu’il fallait « la prendre par le bassin ». Un Baudelaire de pacotille.
Son fait d’armes ? L’avènement d’un gouvernement socialiste.
La droite, pourtant majoritaire, était trop dispersée. Juppé était Premier ministre. Villepin, le calife qui voulait être à la place du calife, rêvait de devenir ayatollah. Son idée géniale et poétique : dissoudre l’Assemblée nationale. Une dissolution de confort, pour son propre confort espérait-il. L’objectif ? Calmer les ambitions centrifuges, discipliner les dissidences, ressouder une majorité brouillonne, éliminer les balladuriens et, si possible, se propulser lui-même.
Il se voyait en Napoléon à Austerlitz, admiré par Claire Chirac — mais certainement pas par Bernadette, qui l’affubla du sobriquet mémorable de « Néron ».
Séguin, Monory et les autres — ces « vieux de la vieille », comme il les appelait — furent renvoyés à leur passé de « sépulcres blanchis », de dinosaures.
La droite perdit 221 députés. Jospin prit le siège de Juppé pour cinq ans. La gauche fit son retour à l’Assemblée, malgré les plaidoiries de Chirac pour un nouveau souffle.
De là date l’amour immodéré de la gauche pour de Villepin, qui espère encore en jouer, flattant aussi une autre corde : la détestation d’Israël, et un amour plus ou moins assumé pour certains imams discrets.
Villepin s’installa au Quai d’Orsay. Mais avec Sarkozy à l’Intérieur, les couteaux étaient sortis. Villepin s’ingénia à fomenter des coups bas : une affaire de comptes à l’étranger, dans une banque italienne, des listings sulfureux… Un procès en correctionnelle plus tard, il fut blanchi sous les applaudissements d’Édouard Plenel.
À la manière de Bayrou, il parvint à décrocher Matignon, coiffant Raffarin au poteau.
« Moi ou le chaos », avait-il lancé. Chirac céda. Bernadette fulmina.
De Villepin n’a jamais daigné passer par la case Assemblée nationale. Il déteste le suffrage universel, déteste le peuple, et gratifie les représentants de ses plus belles citations littéraires :
« des cons », « des c…ns ».
Pourtant, il semblait être un grand homme, pérorant devant la presse, emphatique, cassant :
« Un type qui ne peut pas garder sa femme ne peut pas garder la France », lançait-il à propos de Nicolas et Cécilia.
Le CPE aura eu raison de lui. Un million de jeunes dans la rue. Pour eux, le contrat de première embauche n’était qu’un contrat de précarité. Le projet fut retiré. Villepin, humilié, se résigna à soutenir Sarkozy.
Et voici qu’il revient. Tel un ludion. Auréolé des revenus confortables de ses activités de conseil, le revoilà tel qu’en lui-même, mais grimé en alter ego mélenchonesque. Difficile parfois de distinguer leurs tics vocifératoires et leurs positions : pourfendeur d’Israël, adorateur des régimes autoritaires, flatteur de l’électorat de Mélenchon.
Il encense le régime algérien, ignore Boualem Sansal et la politique des otages, cultive une fascination trouble pour les guides de Téhéran.
Avec Dominique de Villepin, un malaise persiste. Surtout lorsqu’il baptise son nouveau parti « Humaniste ».
S’il est un mot qui ne lui convient pas, c’est bien celui-là.