Une chronique géopolitique de Ioan Voicu, ancien ambassadeur de Roumanie en Thaïlande
Dans un monde confronté à des crises, à des inégalités croissantes et à une érosion de la confiance dans les institutions mondiales, les Nations Unies ont lancé un ambitieux projet visant à renforcer leur action au service des populations, partout dans le monde. L’initiative UN80, lancée par le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, est une initiative à l’échelle du système visant à rationaliser ses opérations, à renforcer son impact et à réaffirmer la pertinence de l’ONU dans un monde en rapide mutation.
Le déclin actuel du multilatéralisme est une réalité qui reflète une évolution inquiétante des relations internationales, marquée par un recul de la résolution collective des problèmes et une importance croissante accordée aux approches unilatérales et transactionnelles face aux défis mondiaux. Autrefois pierre angulaire de la paix et du développement après la Seconde Guerre mondiale, le multilatéralisme est aujourd’hui de plus en plus mis à mal par les rivalités géopolitiques, une absence de confiance manifeste entre les États et la résurgence du nationalisme et du protectionnisme. Des institutions clés, dont les Nations Unies, l’Organisation mondiale du commerce et l’Organisation mondiale de la santé, sont confrontées à des déficits de financement, à la politisation et à des remises en question de leur légitimité. Les accords multilatéraux sur le changement climatique, le contrôle des armements et la santé mondiale se heurtent à des engagements hésitants, voire à des retraits catégoriques de la part d’États influents.
C’est dans cette perspective peu optimiste que nous souhaitons, dans cette chronique, rappeler les idées les plus pertinentes développées le 26 juin 2025 lors de la réunion informelle de la plénière de l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) pour commémorer le quatre-vingtième anniversaire de la signature de la Charte des Nations Unies à San Francisco. Le ton de la discussion a été donné par Philemon Yang, le président de l’AGNU, qui a affirmé : « Nous célébrons cet anniversaire à un moment très douloureux de la vie de cette Organisation… » « Les fondements du multilatéralisme sur lesquels reposent les Nations Unies sont de plus en plus ébranlés. » Cependant, selon lui, la conférence de San Francisco « a été un moment de célébration de la solidarité internationale ».
À son tour, le Secrétaire général de l’ONU a invité tous les États membres à une action « de repenser notre manière d’agir, en bâtissant un multilatéralisme plus fort, renouvelé, inclusif et en réseau — en somme, un multilatéralisme adapté au XXIᵉ siècle. »
Réaction convaincante
Heureusement, ces idées ont été développées dans les déclarations des représentants d’un grand nombre d’États membres de l’ONU. Nous en évoquerons quelques-unes, à commencer par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité.
Le représentant des États-Unis a déclaré : « Nous aspirerons à une ONU au service des États membres, respectueuse de la souveraineté des États et convaincue que la paix est possible et peut effectivement être maintenue, et non à une ONU au service de la bureaucratie. Nous nous efforcerons de réduire les inefficacités et les dépenses excessives, et d’accroître la transparence budgétaire. Nous rejetterons les initiatives qui ne relèvent pas de la mission fondatrice de cette institution. »
Le représentant du Royaume-Uni a déclaré : « Le Royaume-Uni collaborera avec le Secrétaire général et les États membres pour mener à bien une réforme significative à l’ONU80, afin de rendre l’ONU plus efficace et efficiente, qui tienne les promesses de la Charte et qui permette à chacun d’entre nous de réaliser ses droits fondamentaux et d’espérer un avenir meilleur. »
Selon le représentant de la France, « La Charte est le socle d’un multilatéralisme ouvert, fondé sur les valeurs universelles et encadré par le droit. Cet ordre international ne se résout pas à traduire les rapports de force, mais cherche au contraire à les dépasser. »
Le représentant de la Chine a rappelé la position de son pays, selon laquelle « nous devons pratiquer ensemble un véritable multilatéralisme, nous rallier au rôle central de l’ONU dans les affaires internationales, poursuivre la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030 et œuvrer de concert pour relever les défis mondiaux. La Chine a été le premier pays à signer la Charte. Nous continuerons de prendre des mesures concrètes pour honorer notre engagement solennel envers la Charte et œuvrerons sans relâche pour la paix et le développement dans le monde, ainsi que pour une communauté de destin pour l’humanité. »
Selon le représentant de la Russie, « l’ONU est un bastion du multilatéralisme et un garant du principe d’égalité souveraine des États. Il est donc logique de voir notre organisation mondiale à l’avant-garde du mouvement vers un monde véritablement multipolaire. Cependant, ce n’est qu’ensemble que nous pourrons guider l’humanité à travers tous les obstacles et rendre le monde plus sûr pour tous. Pour y parvenir, il est nécessaire d’abandonner les phobies, les stéréotypes et les divers projets géopolitiques, de respecter les intérêts de chacun, d’œuvrer de manière constructive et créative pour l’avenir de l’humanité tout entière et d’abandonner la logique des “jeux à somme nulle”. »
Voix de l’Asie-Pacifique
L’Asie étant le plus grand continent représenté aux Nations Unies, nous sélectionnons quelques idées pertinentes sur le multilatéralisme issues des déclarations des représentants de la région Asie-Pacifique.
L’Inde estime que « réformer les Nations Unies, et le multilatéralisme en général, est essentiel pour créer une ONU forte et juste, capable de répondre à ses objectifs, de relever les défis actuels et de saisir les opportunités offertes à nos citoyens. Cela implique de remédier à deux lacunes structurelles : mettre de côté les intérêts personnels et se concentrer sur les laissés-pour-compte : les citoyens du Sud, les personnes vulnérables, les femmes et les jeunes. Le développement ne peut être indéfiniment reporté pour la majorité de l’humanité. »
Le Japon estime que « l’ONU doit se réformer de toute urgence, y compris le Conseil de sécurité. Les initiatives de réforme ne doivent pas perdre de vue l’objectif primordial de l’ONU : défendre la dignité humaine. À cet égard, le Japon est fermement convaincu que l’approche axée sur la sécurité humaine est plus que jamais nécessaire pour unifier les différentes fonctions de l’ONU. »
L’Indonésie estime que « l’ONU doit s’adapter au rythme du temps. Si les buts et principes de la Charte demeurent valables, le système conçu en 1945 ne peut rester figé. Le Pacte pour l’avenir a fourni la feuille de route. L’initiative UN80 doit s’appuyer sur ce Pacte, visant à réformer l’ensemble de l’ONU. »
Le Bangladesh estime que « en ce moment critique de l’histoire, où les tensions s’intensifient, les conflits couvent et le multilatéralisme est remis en question, réaffirmons notre confiance dans les valeurs communes qui nous unissent. Pour que le multilatéralisme réussisse, nous devons garantir un processus décisionnel plus transparent et plus responsable au sein de l’ONU. Le Bangladesh reste attaché à l’esprit de la Charte et nous sommes prêts à contribuer, avec détermination et dévouement, à notre avenir collectif. »
Le représentant des Philippines a rappelé que « au cours des huit dernières décennies, les Philippines ont tout mis en œuvre pour que la Charte continue de servir de phare d’espoir et de pilier du multilatéralisme, renforçant les capacités de l’ONU à mesure qu’elle évolue parallèlement aux transformations mondiales façonnées par le changement climatique, la technologie, les rivalités géopolitiques et la concurrence stratégique, ainsi que par l’aggravation des inégalités. »
Dans une déclaration collective des petits États insulaires en développement du Pacifique, il est souligné que « nos actions reflètent la détermination des petits États à protéger le système multilatéral et à garantir son fonctionnement pour tous. Aujourd’hui, ce système est sous pression. Les conflits persistent, les inégalités se creusent et la confiance s’érode. Les principes convenus à San Francisco restent importants, mais ils doivent être renouvelés par des actions concrètes. Pour le Pacifique, la crise climatique demeure notre priorité absolue. La montée du niveau de la mer et l’intrusion saline menacent nos communautés, nos économies et, dans certains cas, la viabilité future de nos territoires. »
Enfin, nous nous référons à la déclaration prononcée au nom du Groupe des 77 et de la Chine — en fait 134 États, dont les dix membres de l’ASEAN — appelant « toutes les nations à saisir cette occasion pour renouveler l’esprit multilatéral de cette auguste Organisation et sa Charte, à laquelle nous avons tous adhéré avec l’espoir d’œuvrer ensemble à la création d’un avenir meilleur pour la génération actuelle et pour les nombreuses générations à venir. Rappelons-nous pourquoi nous avons choisi de nous réunir : l’espoir de nous soutenir mutuellement pour relever les problèmes et défis présents et futurs de l’humanité, et de parvenir à des solutions dans un cadre global convenu multilatéralement, de manière démocratique et équitable, et inspiré par les intérêts et aspirations communs de “nous, peuples des Nations Unies”. Nous devons travailler, coopérer et coexister dans l’harmonie, la solidarité et la paix, car nous savons que “l’union fait la force, la division fait la chute”. »
Conclusion
Il n’est pas nécessaire d’être très imaginatif pour espérer que toutes ces idées et aspirations soient réaffirmées et développées lors de la 80ᵉ session de l’Assemblée générale des Nations Unies, qui débutera en septembre prochain. En effet, le déclin du multilatéralisme est particulièrement regrettable à l’heure actuelle, compte tenu de l’interdépendance des crises actuelles — des pandémies et du changement climatique aux cybermenaces et aux migrations forcées — qui exigent des réponses coopératives et fondées sur des règles. Pourtant, au lieu de renforcer les cadres multilatéraux, certains États privilégient leurs intérêts nationaux à court terme, souvent au détriment de la stabilité mondiale à long terme. L’affaiblissement du multilatéralisme non seulement entrave l’efficacité de la gouvernance, mais risque également d’aggraver les inégalités mondiales et de réduire la capacité à préserver la paix et la sécurité internationales.
Redynamiser un multilatéralisme efficace est donc une tâche collective plus urgente que jamais, qui exige une volonté politique renouvelée, des réformes équitables des institutions mondiales et le plein respect des principes communs inscrits dans la Charte des Nations Unies.
Ioan Voicu
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