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CAMBODGE – THAÏLANDE : L’analyse du conflit par Sam Rainsy

Date de publication : 29/07/2025
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armée Cambodgienne

 

L’opposant cambodgien en exil Sam Rainsy, collaborateur de Gavroche, nous livre sa lecture de la crise frontalière.

 

Le conflit armé actuel entre le Cambodge et la Thaïlande, engagé depuis mai 2025, dépasse largement un simple différend frontalier. Alimenté par des rivalités personnelles, des réseaux criminels transnationaux et un contexte historique datant de plusieurs siècles, il menace la stabilité régionale ainsi que l’avenir de la dynastie politique fondée par Hun Sen. Cet article explore les racines profondes du conflit, ses implications géopolitiques, et les conséquences durables d’une crise susceptible de marquer la fin d’une ère politique au Cambodge.

 

Par Sam Rainsy

 

Introduction

 

Depuis mai 2025, le Cambodge et la Thaïlande sont engagés dans un conflit armé d’une intensité sans précédent depuis plusieurs décennies. Officiellement déclenché par des tensions frontalières dans des zones disputées, le conflit ne saurait se réduire à un désaccord territorial. Il résulte d’un enchevêtrement complexe de facteurs historiques, politiques, économiques et personnels.

 

Le régime cambodgien actuel, dominé depuis plus de quarante ans par la famille de Hun Sen, est au cœur de cette dynamique conflictuelle. La guerre révèle la véritable nature du pouvoir à Phnom Penh, tout en réactivant d’anciennes logiques géopolitiques où le Cambodge, au fil des siècles, a dû sa survie à son rôle d’État tampon entre puissances rivales. La crise pose aujourd’hui une question fondamentale : le Cambodge peut-il continuer à s’accrocher à un mode de gouvernance autoritaire et dynastique dans une région en pleine mutation ?

 

1.  Contexte historique : Le Cambodge entre le Siam et l’Annam

 

Pendant des siècles, la survie même du Cambodge en tant qu’État a dépendu des relations antagonistes entre ses deux puissants voisins : le Siam (actuelle Thaïlande) à l’ouest et l’Annam (actuel Vietnam) à l’est. Ces deux royaume et empire ont cherché à plusieurs reprises à soumettre et coloniser le Cambodge, provoquant une fragmentation politique permanente.

 

Un épisode clé fut l’expédition siamoise menée par le général Bodin au XIXe siècle, au cours de laquelle le Cambodge, affaibli et vulnérable, oscillait entre les hégémonies concurrentes. Il fallut l’intervention coloniale française à la fin du XIXe siècle pour stabiliser et préserver ce petit royaume. Sans le protectorat instauré en 1863, le Cambodge aurait pu disparaître de la carte régionale.

 

2. Une dépendance géopolitique persistante depuis l’indépendance

 

L’indépendance obtenue en 1953 sous le règne du roi Norodom Sihanouk n’a pas mis fin à la dépendance géopolitique du Cambodge. Au contraire, la guerre froide a transformé le pays en un champ de bataille par procuration pour les puissances mondiales et régionales. Depuis lors, le Cambodge a dû sans cesse naviguer entre l’influence du Vietnam, de la Thaïlande, de la Chine et des États-Unis.

 

Le régime de Hun Sen, installé par Hanoï en 1979 après la chute des Khmers rouges, s’est progressivement éloigné du Vietnam pour tenter un exercice d’équilibrisme entre Pékin, Washington et Bangkok. Toutefois, ces réalignements successifs n’ont jamais permis d’éliminer la vulnérabilité fondamentale du Cambodge, qui demeure le maillon faible de la géopolitique régionale.

 

3. Une rivalité politique et familiale entre Phnom Penh et Bangkok

 

Le conflit actuel est aggravé par une rivalité personnelle entre deux dynasties politiques : la famille Hun au Cambodge et la famille Shinawatra en Thaïlande. Autrefois proches — Hun Sen qualifiait Thaksin Shinawatra de “frère adoptif” — les deux clans sont aujourd’hui des ennemis jurés. Les raisons de ce brusque retournement n’ont pas été entièrement élucidées et pourraient comprendre des litiges financiers d’ordre strictement privé entre les “ex-frères adoptifs” qui auraient fait des affaires ensemble pendant plus de vingt ans.

 

Le 26 juin 2025, la Première ministre thaïlandaise Paetongtarn Shinawatra, fille de Thaksin Shinawatra, s’est rendue dans la province de Sakaeo et a publiquement désigné la ville frontalière cambodgienne de Poipet comme un centre majeur de réseaux d’escroqueries en ligne transfrontalières. Ce commentaire semblait viser directement le régime de Hun Sen, largement accusé de tolérer, voire de tirer profit, de ces activités.

 

La réaction de Phnom Penh fut immédiate. Le 27 juin, Hun Sen prononça un discours télévisé inhabituellement long et enflammé, accusant Thaksin de ne pas avoir “éduqué sa fille” et de laisser celle-ci manquer de respect envers “la deuxième personnalité la plus importante au Cambodge après le Roi”. Cette escalade verbale a mis en lumière l’animosité personnelle alimentant les tensions entre États.

 

4. Escroqueries en ligne et économie criminelle de survie

 

Ces dernières années, la région frontalière entre la Thaïlande et le Cambodge est devenue l’épicentre de réseaux d’escroqueries en ligne qui arnaquent des victimes à travers l’Asie et au-delà. Ces activités sont organisées par la mafia chinoise depuis des complexes protégés, souvent opérés avec la complicité locale, et génèrent des revenus colossaux. D’après des sources dignes de foi, dont Amnesty International, le produit de ces activités criminelles atteindrait presque la moitié du PIB cambodgien et constituerait, à travers la corruption, un pilier financier essentiel du régime de Hun Sen.

 

En effet, pour le régime actuel de Phnom Penh qui a dilapidé une grande partie des ressources naturelles du pays à travers une déforestation sauvage et l’expropriation de terres agricoles vendues à des sociétés privées souvent étrangères, cette économie souterraine est devenue une bouée de sauvetage financière. Face aux sanctions internationales pour violations graves des droits humains et à la diminution de l’aide étrangère, l’afflux d’argent illicite soutient le système de clientélisme qui fait fonctionner le pouvoir. Les efforts déployés par la Thaïlande en 2025 pour démanteler ces réseaux criminels ont été perçus à Phnom Penh comme une menace directe sur les plans économique et politique.

 

Le régime de Hun Sen a répondu en présentant les mesures anticriminelles prises par les autorités thaïlandaises comme des provocations nationalistes, dissimulant ainsi l’enjeu réel de survie financière derrière une rhétorique de souveraineté.

 

5. La stratégie malheureuse de Hun Sen pour diviser les élites thaïlandaises

 

Face à la pression thaïlandaise, Hun Sen a tenté d’exploiter les divisions politiques internes en Thaïlande. Il a cherché à opposer l’establishment royaliste et militaire au parti Pheu Thai dirigé par les Shinawatra, allant jusqu’à exprimer son espoir de voir revenir au pouvoir le général Prayuth Chan-o-cha.

 

Hun Sen est même allé jusqu’à rendre publiques de prétendues critiques privées que Thaksin aurait formulées à l’encontre de la monarchie thaïlandaise au cours de leur ancienne amitié. Mais au lieu de diviser les élites thaïlandaises, cette manœuvre s’est retournée contre lui : elle a provoqué une rare unité entre factions politiques, militaires et royalistes, qui considèrent désormais Hun Sen comme un ennemi commun et abject.

 

6. Un conflit susceptible de déstabiliser le régime de Hun Sen

 

Ce conflit risque de déstabiliser les fondements mêmes du régime Hun. Fondé sur le contrôle dynastique, la loyauté personnelle et une corruption systémique, le système en place à Phnom Penh est mal préparé à affronter une crise de longue durée ou à négocier une résolution pacifique durable.

 

La nature personnalisée du pouvoir, l’utilisation des institutions publiques à des fins privées, et la dépendance à l’égard des revenus criminels insoutenables sur la durée constituent un modèle de gouvernance de plus en plus en décalage avec les dynamiques régionales qui tendent vers une coopération fondée sur des règles de droit.

 

Conclusion : Vers un nouvel équilibre politique et régional ?

 

Quel que soit le résultat des opérations militaires ou des négociations de paix, un retour au statu quo antérieur est impossible pour le Cambodge. Un nouvel équilibre politique est inévitable. Cela impliquera probablement la formation d’un nouveau gouvernement ou la fondation d’un nouveau régime acceptable non seulement pour les Cambodgiens, mais aussi pour les puissances régionales — Vietnam, Thaïlande, Chine — et pour les États-Unis.

 

Ce scénario rappelle les Accords de Paix de Paris de 1991, qui envisageaient un Cambodge neutre, indépendant et démocratique. Préserver l’esprit de ces accords reste essentiel pour assurer une paix et une stabilité durables.

 

En définitive, la guerre qui fait rage aux frontières du Cambodge est aussi une guerre pour une transformation politique. L’ère du pouvoir personnel sans comptes à rendre, touche peut-être à sa fin. Le Cambodge entre dans une nouvelle phase historique, où il lui faudra redéfinir sa place parmi ses voisins et retrouver une souveraineté fondée sur le droit, la transparence et des relations assainies.

 

Sam Rainsy

 

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2 Commentaires

  1. Hun Sen et sa progéniture sont des fripouilles de première catégorie et corrompus jusqu’à l’os ! Vivement la fin, le Cambodge a tout à y gagner !

  2. La lecture de cet article, qui, du point de vue d’un opposant, s’apparente à une tribune, conduit à une première observation : il n’est plus question de temples, ceux-ci ayant été remplacés par des casinos et autres officines générant des fortunes accaparées par des familles complices et mafieuses.

    Mais surtout, l’analyse me paraît trop insister sur les racines locales du conflit, réduit à l’accaparement de « butins » extorqués par des voies mafieuses et à grande échelle. La responsabilité en est entièrement attribuée à l’un des camps, ce qui se comprend quand on sait l’implication de l’auteur de la tribune dans la politique intérieure de son pays.

    Si la dimension géopolitique du conflit est évoquée, l’analyse en demeure inexistante. La réunion, en Malaisie, des deux « belligérants » faisait clairement apparaître, en arrière-plan, les représentants américains et chinois. S’agissant de la présence chinoise, cela se comprend au vu de son emplacement géographique et de son importance dans toute la région, mais pourquoi les États-Unis ? La rivalité entre ces deux protagonistes et leurs ambitions dans la région apparaissent comme une donnée déterminante de la situation actuelle — notamment en ce qui concerne la question concomitante et immédiate des droits de douane qui seront imposés aussi bien au Cambodge mais surtout à la Thaïlande, selon le degré de soumission aux USA — et surtout de l’avenir.

    Ce ne sont pas les USA qui sont géographiquement dominants et surtout en voie de le devenir dans la région, mais la Chine, une puissance « montante » et une puissance « descendante ».

    La Thaïlande, comme souvent dans son histoire, est très exposée, mais sa situation n’est plus celle qu’elle était il y a 50 ans vis-à-vis des États-Unis. Les économies chinoise et thaïlandaise sont fortement connectées et intégrées, notamment du point de vue militaire. Dans le contexte actuel, la Thaïlande fera quelques concessions en faveur des États-Unis (une diplomatie du bambou exprimant par ailleurs une division au sein des élites gouvernementales, entre un versant américain et un versant chinois), le temps que l’étape intermédiaire, favorisant le rôle dominant de la Chine dans la région, soit encore mieux établie, s’il en était besoin.

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