Depuis un quart de siècle, la Taïwanaise Shih-Ching Tsou réside aux États-Unis. Elle y travaille étroitement avec le réalisateur Sean Baker. Cette fois-ci, c’est lui qui l’a assistée comme monteur pour son deuxième film, tout juste sorti en France.

Une histoire de femmes vue à hauteur de quatre générations et de leurs complexes émotions

Toutes ont des caractères bien trempés, fragiles et fortes, et ô bien plus sympathiques que la plupart des hommes du scénario. La plus truculente est la plus jeune : I Jing (Nina Ye), 5 ans. Mais qu’il est difficile d’être une femme à Taïwan, pourtant le 14ème pays le plus riche de notre planète ! La tristesse des vies intérieures contraste pour le moins avec les éclats de lumière et de mouvements de la mégalopole Taipei.

La cadette de la lignée familiale donne, elle, du peps au récit. Elle découvre avec émotion la malédiction d’être gauchère, notamment auprès des plus anciens, y compris de sa propre famille, en même temps qu’une société de consommation brutalisant les adultes. Les cercles vicieux de l’endettement, de la criminalité organisée, des rapports sexuels contraints, des filouteries, et des lourds secrets de famille s’entremêlent dans un film aussi sombre que léger. Bref, un récit sur « Une famille à Taïwan », comme le dit le sous-titre du long métrage.

Le marché nocturne de Taipei sert de point radiant aux principaux personnages

La mère de famille qui a émigré avec les siennes vers la cité-capitale y tient une petite cantine de rue. Des plats simples, faits de soupes et de nouilles, que l’on consomme assis sur des tabourets en plastique aux couleurs criardes. Le bruit environnant des camelots, l’étroitesse des ruelles et l’abondance des biens entassés dans les échoppes laissent à penser qu’il est impossible de s’en sortir quand les prix montent, les accidents de la vie s’accumulent et les incompréhensions intergénérationnelles s’élargissent.

Autour des tables s’entrechoquent les intimités, les héritages culturels et les volontés d’émancipation. On y discute des soucis, de l’avenir, de l’exploitation humaine, des débrouilles et des solutions. Il peut s’y manifester également des gestes, voire des pics de solidarité et d’amour. Dans ce film, on se laisse aller à regarder la vie des autres. Mais on ressent l’âme d’un lieu et des personnes qui (sur)vivent dans les quelques mètres carrés qui leur sont concédés pour leur logement et leur travail.

La mise en scène est assez sensorielle. On est pris par les capacités de résilience des uns et des autres. Là réside beaucoup de débrouillardises, mais également un peu de chaleur dans un monde de brutes et de trahisons.

Les repas s’y révèlent des moments clés, mais d’embrouilles

La vivacité ne se joue pas seulement dans quelques courses de motocyclettes à deux sur les artères de Taipei. Elle s’exprime plus encore dans les rapports de couple et lors des repas de famille, à commencer par ceux du quotidien. Elle explose même lors d’un banquet d’anniversaire donné à l’occasion des très solennels 60 ans de la matriarche.

Les relations mères – filles et de sororité sont constamment malmenées. Elles s’expriment devant des hommes dont aucun n’est vraiment à la hauteur de leurs conjointes. Pourtant, tout leur semble dû : le frère accapareur, les maris traîtres ou aux croyances révolues, sans même parler des amants indélicats. Un film de galères, mais un délicieux moment de cinéma. Il a d’ailleurs été aussi bien accueilli lors de sa présentation au festival du film américain de Deauville qu’à Cannes. Aujourd’hui, à l’écran dans les salles obscures de l’hexagone.

François Guilbert

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