Notre ami Richard Werly, conseiller éditorial chez Gavroche, offre chaque semaine sa vision de la France sur le site d’actualités suisse Blick. Nous reproduisons ici son dernier éditorial.
Ce n’est plus une crise politique. C’est une déroute dans laquelle la France semble en train de s’enfoncer, après la démission surprise de son Premier ministre ce lundi 6 octobre. Sébastien Lecornu a lâché prise avant même son premier Conseil des ministres, prévu ce jour.
Il ne prononcera donc pas son discours de politique générale, comme cela était prévu mardi 7 octobre à 15 heures devant l’Assemblée nationale. Emmanuel Macron, plus isolé que jamais au palais présidentiel de l’Élysée, se retrouve directement mis en cause. Même son «socle commun», le bloc de députés qui lui est favorable, a explosé dans la nuit de dimanche à lundi, après l’annonce du nouveau gouvernement.
Les trois responsables
Cette déroute politique a trois responsables. Le premier est évidemment le président de la République qui, en France, est au sommet de la pyramide du pouvoir. Depuis sa décision très controversée de dissoudre l’Assemblée nationale le 9 juin 2024, au soir des élections européennes marquées par la défaite de son camp, Emmanuel Macron a nommé en vain trois chefs du gouvernement.
Les deux premiers, le gaulliste Michel Barnier (septembre-décembre 2024) et le centriste François Bayrou (décembre 2024-septembre 2025) ont été censurés par une majorité de députés, qui ont refusé leur projet budgétaire. Le troisième, Sébastien Lecornu, nommé le 9 septembre dernier, n’a même pas pu assumer ses fonctions. Il vient, fait inédit et extraordinaire, de démissionner avant même d’avoir réuni les 18 ministres dont les noms ont été annoncés dimanche soir.
L’endettement, ce fardeau
Le second responsable de cette crise est la situation financière du pays. La France va mal. Sa dette record de 3345 milliards d’euros pèse de tout son poids sur les finances publiques, dans un pays où l’État est omniprésent. La preuve ? Michel Barnier envisageait une réduction de dépenses publiques de 60 milliards d’euros. Échec ! François Bayrou proposait lui 44 milliards d’euros d’économies. Échec !
Sébastien Lecornu se retrouvait dans une équation impossible et le retour au gouvernement de l’ancien ministre des Finances Bruno Le Maire, considéré comme l’un des responsables de l’aggravation brutale de la dette sous la présidence Macron depuis 2017 (entre 800 et mille milliards de plus) a été la bombe qui a fait tout exploser. Le Maire avait été nommé, dimanche, au ministère de la Défense. L’homme, venu de la droite qu’il avait trahi pour rejoindre Macron, a aussitôt concentré les tirs de barrage. C’est donc bien la dette et les comptes publics du pays qui ont tué ce gouvernement mort-né alors qu’un projet de budget pour 2026 doit être présenté au Parlement avant le 13 octobre.
La déroute du « socle commun »
Le troisième responsable de cette déroute politique est le «socle commun», le bloc central jusque-là favorable au président, mais minoritaire à l’Assemblée nationale. Il va théoriquement de la droite traditionnelle au centre gauche. Mais il a échoué à plusieurs reprises à rallier les socialistes dont le soutien est crucial avec leurs 66 députés, faute de volonté de mettre en œuvre quelques mesures fortes réclamées par la gauche sociale-démocrate, comme la taxation des plus riches ou l’abrogation de la réforme des retraites promulguée en avril 2023.
Le « bloc central » a donc viré à droite, et sa survie dépendait du soutien des « Républicains », l’ancien parti de Nicolas Sarkozy et François Fillon. Or celui-ci a tiré la prise dans les heures qui ont suivi l’annonce du gouvernement. Son chef, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, a refusé de cautionner le retour au gouvernement de Bruno Le Maire. Fin de partie. L’explosion a tout emporté.
Un président démuni et assiégé
Le quatrième point à retenir est que cette déroute politique, qui transforme Emmanuel Macron en président démuni et assiégé jusqu’à la fin de son mandat en mai 2027, est que deux partis sortent vainqueurs de cette crise : le Rassemblement national (droite nationale populiste) et La France Insoumise (gauche radicale). Tous deux réclament depuis le début une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale. Tous deux réclament (moins fortement du côté du RN) la démission d’Emmanuel Macron
L’explosion politique qui vient de survenir montre qu’ils ont donc eu raison. Les socialistes, qui avaient refusé leur soutien à Sébastien Lecornu, peuvent eux aussi espérer sortir par le haut de cette déroute mais ce sera compliqué, vu qu’ils ont négocié avec le Premier ministre démissionnaire. La France politique radicalisée sort victorieuse de cette séquence. Emmanuel Macron sort pulvérisé. Les institutions sont ébranlées pour la première fois depuis la promulgation de la Constitution de 1958. Le pays du Général de Gaulle, réputé pour sa stabilité, ressemble à un navire politique en pleine tempête, qui se rue sur les icebergs.
(Pour débattre : richard.werly@ringier.ch)
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