
Une chronique cambodgienne de Yann Moreels
Au Cambodge, alors que le conflit perdure, le temps est en partie occupé par la lutte contre le crime organisé. Ce qui aurait dû être entrepris depuis longtemps est désormais mis en œuvre par la police cambodgienne avec détermination. L’attente de la résolution du conflit frontalier profite donc au nettoyage des écuries d’Augias. Pas une semaine sans arrestations, par dizaines, voire plus, à Phnom Penh mais aussi dans d’autres provinces. Aucun répit pour affréter des avions et expulser des étrangers menottés. Même des Vietnamiens seraient impliqués dans des escroqueries en ligne.
Plusieurs nationalités de l’ASEAN sont concernées par ce carrefour du crime dénoncé par la Corée du Sud. Mais ce sont surtout des Chinois, qui ne refusent pas de reprendre leurs ressortissants menottés après avoir relevé soigneusement le nom des leaders.
Il est tout de même surprenant que la communication des autorités ne donne aucun chiffre sur le nombre de Khmers arrêtés pour trafics de jeux en ligne. Cela laisse penser qu’il existe un risque de couverture d’un certain laxisme ayant permis le développement de ces activités illégales, ou même que des fonctionnaires aient fermé les yeux.
Pendant ce temps, les autorités thaïlandaises restent silencieuses, interrompues seulement par des vociférations de bas niveau. D’un côté, des militaires affirment que l’un des temples khmers de la frontière serait thaï et qu’il faut écarter tous les Cambodgiens présents, par exemple en diffusant la nuit des bruits effrayants de loups et de fantômes. De l’autre, les agitations politiciennes semblent montrer que cette « pauvre guerre » résulte d’un combat intérieur entre leaders et factions pour le pouvoir et les postes à pourvoir.
Comme en France, la préparation des prochaines élections provoque tractations et revirements, paralysant les décisions nécessaires face au conflit avec le Cambodge. Au Cambodge, la répartition des postes est faite depuis longtemps, et peu de gens attendent vraiment les prochaines élections. En revanche, les Khmers attendent le respect des clauses de l’accord de Kuala Lumpur, notamment la libération des 18 prisonniers. Le porte-parole du gouvernement le rappelle aux autorités thaïes, probablement un peu trop sourdes et peu enclines à avancer vers des solutions diplomatiques.
Hun Sen, président du Sénat, envoie des messages qui résonnent au-delà de la frontière. Il s’adresse aux Cambodgiens pour saluer les efforts économiques visant à pallier les manques d’importations. Le Cambodge se félicite de la disparition de certains contrats imposés aux importateurs et qui gênaient la concurrence. Le Khmer boit désormais son propre Coca-Cola, et la dépendance de l’économie à l’importation a opportunément diminué.
Le leader charismatique provoque même un sourire en déclarant que « la Thaïlande peut fermer la frontière pendant 100 ans ou même 500 ans, c’est l’histoire de la Thaïlande ». Cela revient toutefois à fermer les yeux sur les souffrances des régions frontalières, où les points de passage continuent de nuire aux habitants et aux entreprises.
De l’autre côté, le Premier ministre Anutin fait face à une pression intérieure intense avant les élections de 2026. Fin octobre, il a énoncé quatre conditions strictes : retrait des armes lourdes, déminage, coopération contre les escroqueries en ligne et progrès dans la démarcation des zones contestées. Ces étapes sont en cours, mais le dialogue reste quasi rompu.
La fierté nationale prévaut de chaque côté, mais il existe une forme de responsabilité partagée face au « crime » du conflit et à l’éloignement de la paix à court terme. Soyons patients : des armes ont été retirées de chaque côté, malgré les déclarations tonitruantes de certains médias. Pendant que l’opinion publique s’enflamme pour des déclarations cassantes, la confiance entre les deux gouvernements signataires reste fragile, mais elle pourrait croître dans l’ombre.
Ainsi, la guerre des mots ne constitue pas un crime. Les deux gouvernements royaux, eux, ne sont pas menottés. Alors ? Il y a de quoi espérer se serrer à nouveau la main un jour.
Yann MOREELS
Chaque semaine, recevez notre lettre d’informations Gavroche Hebdo. Inscrivez-vous en cliquant ici.








