
Une chronique de Patrick Chesneau
À Bangkok, capitale d’un pays bouddhiste à 95 %, Noël n’est pas un jour férié, mais l’événement ravit toutes les strates des foules thaïlandaises.
Certes, la dimension mercantile s’impose. À chaque épisode festif, les méga-malls et autres centres commerciaux de la capitale voient leur fréquentation augmenter en flèche. En conséquence, aucun de ces foyers de fièvre acheteuse ne lésine sur le décorum de la nativité chrétienne.
Le sapin de Noël, dont on doute qu’il provienne des jungles profondes — habitat des éléphants et des tigres —, est toujours majestueux. Boules et guirlandes composent une entraînante symphonie visuelle, favorisant, à l’évidence, un engouement débonnaire et facétieux.
Quelles qu’elles soient, les fêtes farang sont recyclées dans ce coin d’Éden oriental. On s’approprie les codes culturels venus des antipodes. Mission assignée à l’événement : procurer de la joie à tout l’éventail des générations et faire naître le scintillement dans les prunelles des enfants siamois.
Le Père Noël, appelé ici Santa Claus depuis ses séjours répétés en pays anglo-saxons, a appris à saluer d’un wai empathique. Exercice méritoire à hauteur de poitrine, si l’on songe à son épaisse barbe septentrionale, trop fournie pour une halte tropicale. Mais personne ne lui tient rigueur de cet aspect un peu hirsute, qui ne va pas sans une intense sudation dans sa panoplie molletonnée.
En rouge vif de la tête aux pieds, chaussé de bottines. Mieux : cette extravagance colorimétrique est admise dans le Royaume encore soumis au temps du deuil, où le noir et le blanc restent les couleurs de rigueur.
La générosité du patriarche à la hotte bombée de cadeaux lui attire force sourires. Chaque Thaï se sent complice de sa pérégrination du bonheur autour du monde. N’a-t-il pas poussé son effort d’acculturation jusqu’à troquer son traîneau et l’attelage de rennes afférent contre un tuk-tuk vrombissant ?
De son tricycle motorisé s’échappent d’insolites airs de molam, vite relayés, il est vrai, par des ritournelles de saison. Genre Jingle Bells… à tue-tête.
Dans sa tournée sur les chapeaux de roues, le vieillard bienfaiteur des tout-petits constate la mue de la Cité des Anges. Partout, des décorations et des enluminures. Le soir, la ville tentaculaire scintille. Elle enfile sa tenue d’apparat.
Aux badauds, brochette de moo ping (boulettes de porc) à la main, d’écarquiller les yeux en déambulant dans les allées de Rattanakosin, le quartier des origines, déployant ses trésors architecturaux entre le Grand Palais, l’esplanade Sanam Luang, Wat Arun, Wat Pho et le fleuve mythique Chao Phraya.
L’histoire patrimoniale, objet de fierté nationale, s’accommode magnifiquement des facéties de cette fin décembre. En Thaïlande, on est poreux à tous les souffles du monde, pour reprendre la belle expression du grand poète martiniquais Aimé Césaire.
Des montagnes qui ceinturent Chiang Mai aux rivages indolents de la mer d’Andaman, du Mékong, dont le lit s’arrondit en boucles mystérieuses, au golfe du Siam parsemé d’îles idylliques, via une pause-découverte de l’enivrante capitale, on s’ouvre pour la circonstance enjouée aux influences intercontinentales.
De l’Ouest, on triture et malaxe les apports immédiatement accessibles et convertibles en rites vernaculaires. Ce sont les plus réjouissants. Façon d’en extraire un suc appelé divertissement, amusement, émerveillement. Ici prospère chaque année une version endémique des traditions occidentales, évidemment avec l’accent ancestral, telle une valeur ajoutée.
Sous cette latitude, Joyeux Noël à tous, Merry Christmas, se déclame à la thaïe :Mèli Kismas tuk khon.
Patrick Chesneau
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