Une chronique du conflit birman par François Guilbert
Le 25ème sommet des chefs d’État de l’Organisation de coopération de Shanghai (SCO) tenu à Tianjin (31 août – 1er septembre) a eu un retentissement démesuré en Occident. La réunion de ses 10 États-membres a eu bien plus d’échos internationaux que les précédentes éditions à Astana (2024), New Delhi (2023), Samarkand (2022) et probablement que celles à venir à Bichkek en 2026 voire à Islamabad en 2027.
L’emballement politico-médiatique pour la rencontre tenue en Chine dans une ville portuaire qui compta des concessions internationales tient bien plus aux analystes présentistes des commentateurs, aux coups de menton de Donald Trump, aux idées que les relations internationales fonctionnent comme un jeu à somme nul (montée du Sud – dé-occidentalisation, né-autoritarisme – démocrate) et à la mise en scène grandiose de l’événement adossé au défilé militaire convoqué pour commémorer le 80ème anniversaire de la fin de la Seconde guerre mondiale.
Au-delà des images et des dimensions narratives, les avancées tangibles de l’organisation panasiatique tardent à se matérialiser. N’oublions pas par ailleurs que la déclaration des chefs d’État de la SCO au ton très anti-occidental n’a pas été discuté et, à fortiori, endossé par nombre des délégués venus au défilé de la Victoire, à commencer par ceux de la Corée et de la plupart des pays de l’ASEAN.
La SCO est un club asiatique et non l’organe central du Sud Global
Les Cinq de Shanghai (Chine, Kazakhstan, Kirghizstan, Russie, Tadjikistan) ont élargi leur cercle constitué en avril 1996. Ils se sont donnés un nouveau nom (SCO, 2001), se sont ouverts un peu plus vers l’Asie centrale, le golfe arabo-persique et l’Asie du sud mais ce cénacle n’est qu’un parmi d’autres à agréger peu à peu les pays d’Asie. A vrai dire, cette dynamique asio-centrée est loin d’être nouvelle et est d’abord tribunitienne.
Les organisations macrorégionales (re)définissent l’Asie comme courant des États du Proche-Orient à ceux des rives occidentales du Pacifique. Par ses emprises institutionnelles, Pékin entend en être le centre, renvoyant à des rôles « seconds » la Russie, l’Inde et, plus encore, l’ASEAN et le Japon ; en excluant autant que possible Tokyo et en subordonnant les capitales des 10 nations d’Asie du sud-est. C’est la centralité de l’ASEAN en Indo-Pacifique qui s’en voit questionnée.
Si l’ASEAN 10 est constitutive de l’ACD ; à la CICA seuls 3 Aseaniens sont présents (Cambodge, Thaïlande, Vietnam) et à la SCO, sous le statut de partenaires de dialogue depuis le 1er septembre 2025, 3 d’entre eux (Birmanie, Cambodge, Laos). Dans ce contexte, la Chine cherche à bâtir en Asie un multilatéralisme de subordination dont la SCO est un des éléments constitutifs et l’Asie du sud-est continentale un de ses objectifs majeurs.
Au fond, ces connectivités nouvelles dénotent combien l’idée d’eurasianisme demeure anti-occidentale mais prend à Moscou et à Pékin une acception géographiquement très étendue, bien au-delà de l’Asie centrale et de l’Eurasie. De fait, elle se confond de plus en plus avec les projets panasiatiques. Dès lors, on peut les considérer comme le pendant néo-autoritaire d’un indo-pacifisme libre et ouvert s’étant émancipé de l’Asie-Pacifisme conçu à l’heure de la fin de la Guerre froide à Canberra, Tokyo, Washington et chez les Européens. Ils ne sont en rien l’expression du multilatéralisme « authentique » que le président Xi Jinping a dit vouloir promouvoir lors du sommet de Tianjin.
Le sommet de la SCO est un succès en trompe l’œil
Le moment consacré aux partenaires de dialogue (SCO+) n’a été qu’un temps de communication politique bien orchestré. Un véhicule narratif chinois pour ajouter un volet gouvernance mondiale (GSI) aux chapitres énoncés par le passé au travers des initiatives pour la civilisation mondiale (GCI, 2023), la sécurité (GSI, 2022 et le développement (GDI, 2021). Il a visé à faire apparaître la République populaire comme un pôle de stabilité, soucieux de l’équité entre les nations et non-interventionniste, alors que la politique conduite par le parti communiste chinois veut réordonnancer le multilatéralisme onusien, le mettre sous sa coupe, y compris en pratiquant la coercition sur ceux qui s’opposent à lui au pays ou sur la scène internationale. Un unilatéralisme qui ne dit pas son nom, mais qui pèse immédiatement et lourdement y compris par le recours à la force sur ses voisins.
Nay Pyi Taw l’a bien compris et en joue. Taisant sa défiance viscérale vis-à-vis de l’Empire du Milieu et de ses intentions néo-impérialistes de ses dirigeants, le général Min Aung Hlaing en tête se montre disponible à tenir au plus tôt de nouvelles élections, vante les ressources primaires de la nation à exploiter et endosse sans barguigner le corps de doctrine et les « solutions » énoncés par Pékin (cf. une seule Chine, principes de la coexistence pacifique, GCI, GDI, GSI, leader du Sud Global). En retour, Zhongnanhai le traite désormais comme le président de la République par intérim et non plus comme le « simple » commandant-en-chef des services de défense.
La République populaire l’invite aux sommets multilatéraux (cf. Lancang – Mékong, SCO, défilé de la Victoire) ce qui lui donne un semblant de respectabilité internationale, offre des possibilités de réunions en tête-à-tête (ex. Xi Jiping, N. Modi, V. Poutine) mais aussi un grand nombre d’apartés diplomatiques (ex. Kim Jong-un). Il n’en demeure pas moins qu’à Tianjin, le chef de la Commission de la sécurité et de la paix (SSPC) a pu présenter son point de vue à de nombreux interlocuteurs asiatiques au cours de discussions plus ou moins longues (vice-présidents chinois et singapourien ; président laotien ; président du parlement sud-coréen ; premiers ministres cambodgien, malaisien et vietnamien ; ministre des affaires étrangères indonésien ; secrétaire général de l’ASEAN).
Jamais en un laps de temps aussi court le général Min Aung Hlaing n’aura eu autant de conversations avec les leaders asiatiques. En quelques jours bien plus qu’en 1 673 jours d’exercice d’un pouvoir absolu ! Un avantage (géo)politique alors que ses ennemis ethniques et du gouvernement d’unité nationale (NUG) n’accèdent que très épisodiquement et à un petit nombre de leaders de la région. Toutefois à Tianjin, le chef de la junte n’a rencontré des dirigeants que de 2 nouveaux pays (Corée du Nord, Singapour), ce qui au final est bien peu.
Mais toute chose égale par ailleurs, la distorsion relationnelle junte – opposition fait apparaître urbi et orbi un général Min Aung Hlaing moins isolé sur la scène internationale que par le passé et capable de jouer de la complexité du pluri-multilatéralisme. Cette nouvelle donne ne lui est profitable qu’au sein de l’armée où de sérieux doutes persistent toujours sur ses capacités à conduire avec efficience les affaires de la Birmanie. Elle n’est pas encore un « game changer » auprès d’une bonne partie de la communauté internationale.
L’opinion publique birmane, elle, lui est toujours aussi hostile. Les rencontres de Tianjin ne changeront rien à l’affaire. Être au second rang d’une photo où s’affichent les dirigeants de 20 pays ne suffira pas pour faire du général Min Aung Hlaing un leader légitime et incontesté en interne. A l’inverse, la perspective de voir la Birmanie s’agréger aux forums intergouvernementaux BRICS, EAEU ou encore SCO qui prend corps depuis 2023, s’imposera à tous les gouvernements birmans futurs, qu’ils soient militaires ou civils. En attendant, nombre de dirigeants asiatiques dans leurs stratégies d’intégration régionale font comme si la Birmanie n’était pas un pays en guerre civile et que le régime militaire en place dans la capitale était à même de maîtriser ses frontières.
François Guilbert
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